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4. 1. Visite de la Grand-Place de Bruxelles - 1ère partie
Visite de la Grand-Place de Bruxelles
Première partie
Localisation de l’antique marché
Il est difficile d‘assigner une date précise et certaine à la création du marché primitif de Bruxelles. Celui-ci s’est probablement créé dès l’époque où la ville s’est formée, c’est-à-dire au 11ème – 12ème siècle.
Jusque-là il n’existait qu’un château fort, un « castrum », situé dans l’île Saint-Géry, château édifié par Charles de France, duc de Basse-Lotharingie, dans le but de protéger la route marchande qui unit le Rhin à l’Escaut et le long de laquelle des villes se sont formées, soit au passage d’une rivière, soit au pied d’un château fort.
A partir du 11ème siècle mais surtout au 12ème, le Brabant, qui était resté longtemps agricole, se réveille économiquement et devient une région de villes. Les relations commerciales suivies entre Cologne, métropole du Rhin, et les villes de Flandre, Gand et Bruges, ont déterminé cette profonde transformation. Sur cette route commerciale se produisait un va-et-vient permanent de marchands.
« Bruocsella » est précisément née à côté de ce « castrum », dans une île de la Senne où la rivière devenait navigable, et s’est développée grâce à sa situation sur la route commerciale entre Bruges et Cologne. Cette route traversait le site primitif de « Bruocsella ». Elle correspondait au tracé des actuelles chaussée de Gand, rue de Flandre, rue Sainte-Catherine, rue Marché-aux-Poulets et rue du Marché-aux-Herbes.
Cette route empierrée, dénommée « Steenweg », s’articulait d’une part sur un embranchement du « diverticulum » – ancienne voie de communication romaine devenue voie agricole – qui suivait approximativement l’actuelle rue de la Montagne, en direction de la chapelle Saint-Michel édifiée sur le « Treurenberg » ; d’autre part, ce « Steenweg » se prolongeait également, au bas de la rue de la Montagne, par la voie d’accès au château qui suivait l’actuelle rue de la Madeleine et la Montagne de la Cour jusqu’au Coudenberg.
C’est tout naturellement le long de cette route que naquit le premier marché, rendez-vous des commerçants, des artisans et des acheteurs, endroit où les marchands pouvaient pratiquer leur négoce, et les artisans, écouler les produits de leur industrie. Il est facile d’imaginer que c’est à ce carrefour (photo ci-contre) que se situa logiquement le marché primitif de « Buocsella » tandis que l’espace occupé actuellement par notre Grand-Place actuelle n’était vraisemblablement qu’un marécage.
Il semble bien, en effet, qu’un marécage s’étendait depuis l’emplacement actuel de l’hôtel de ville jusqu’à l’ancienne boucherie. Tout autour de ce marécage, le sol était sablonneux.
L’histoire de la Grand-Place, du Marché ou du « Nedermerct » se confond presque avec l’histoire de la cité elle-même. C’est autour du marché que s’est déroulée l’enfance commerciale et industrielle de la ville, que les marchands ont édifié les premières maisons, le jour où l’économie urbaine naissante refoula la vieille économie agricole et transforma le sol rural en terrain à bâtir.
Les origines de la Grand-Place
Topographie primitive
Des observations géologiques jointes à l’étude des lieux-dits ont permis à Guillaume Des Marez d’établir la topographie primitive de la Grand-Place.
Dans le fond de la Grand-Place, une colline de sable se relevait sensiblement et on peut remarquer aujourd’hui encore que le niveau aux deux extrémités de la place est sensiblement différent.
La toponymie témoigne de l’état du sol. Une des maisons s’appelle « den Heuvel » (la Colline), et la rue avoisinante porte le nom caractéristique de « Heuvelstraat » (rue de la Colline). D’autres dénominations font allusion à l’ancien marécage. Une maison s’appelait « Au Marais » tandis que la rue de Tabora, voisine de l’église Saint Nicolas, portait à l’origine le nom significatif de « Broeckstraat » ou « rue du Marais ».
Le niveau monte
A travers les siècles, le niveau de la Grand-Place s’est sensiblement élevé. Au-dessus du pavé primitif du 11ème – 12ème siècle, qui gît à une profondeur de 1 m 20 environ, sont venues se poser des couches successives de sable et de terre : chaque repavage a provoqué un exhaussement du terrain.
Ce serait une erreur de croire que le Marché ait eu, dès son origine, la forme rectangulaire que nous lui connaissons aujourd’hui : ce marché primitif devait être le résultat d’une formation spontanée, naturelle, inconsciente, sans plan préconçu, au gré des besoins successifs. Il devait présenter les mêmes irrégularités que les rues. Nous pouvons aisément imaginer qu’aucun alignement n’était respecté entre les maisons, construites en bois, et qui étaient isolées par des allées dans le but de diminuer les dangers d’incendie. De plus, des espaces vides, vagues ou cultivés, séparaient les demeures. Des flaques d’eau permettaient aux chevaux et au bétail de s’abreuver. Quelques habitations pouvaient être situées au fond d’une cour, d’autres entourées d’un jardin.
Avec le temps, la nouvelle place est devenue bien plus qu’un marché. Point de rencontre de toute une population, son rôle social a gagné en importance. Des événements tragiques ou glorieux y ont été célébrés ; des festivités somptueuses s’y sont déroulées en présence des souverains régnants : tournois, joutes, processions religieuses, parades militaires...
Au 13e siècle, conscients de la nécessité d’une esthétique urbaine, les Magistrats ont ordonné le recul de certaines demeures ou en ont fait avancer d’autres, dans le but de former un espace aux maisons plus ou moins alignées, plus propice au bon déroulement des activités économiques et autres d’une ville digne de ce nom.
La justice y était rendue sous le regard de « l’amman » de Bruxelles, justicier qui exécutait les sentences au nom du souverain. Les lois et ordonnances étaient lues au peuple du haut du balcon de l’hôtel de ville.
Le bombardement de 1695
On a souvent parlé du bombardement de Bruxelles de 1695, un événement qui allait complètement modifier la physionomie de la ville et que Napoléon traita d’ « aussi stupide qu’inutile ». Il eut lieu pendant la guerre entre Louis XIV et les Alliés ligués par un accord conclu à Augsbourg. Tandis que Guillaume III faisait le siège de Namur, Louis XIV fit marcher les 70 000 hommes du maréchal de Villeroy sur Bruxelles afin d’obliger les alliés à lever le siège de Namur.
Le 11 août 1695, le maréchal de Villeroy établit son quartier général dans le couvent des Minimes à Anderlecht. Le gros de ses troupes s’adossait aux villages d’Itterbeek et de Dilbeek d’où l’on découvrait aisément l’ensemble de la ville. Le 13, l’ennemi arma ses batteries – 18 pièces de gros calibre et 25 mortiers – installées derrière la ferme de Ransfort, sur le territoire de Molenbeek-Saint-Jean. Vers 19 heures, le bombardement commença. La tour de l’hôtel de ville était prise comme point de mire car elle constituait un dangereux poste d’observation d’où l’on suivait beaucoup trop bien les mouvements des troupes françaises. Les bombes et les boulets chauffés au rouge s’abattirent sur le centre de la cité durant toute la nuit, y allumant l’incendie de centaines de maisons. Le lendemain, le 14 août, le bombardement recommença vers 9 heures du matin pour ne cesser que vers 16 heures. Trois mille bombes et douze cents boulets rouges avaient été lancés. De plus, un fort vent d’ouest ayant activé les foyers d’incendie, le cœur de la ville était devenu un immense brasier. Lorsque celui-ci fut maîtrisé, la population se rendit compte de l’importance de la catastrophe. Trois mille huit cent trente immeubles avaient été anéantis. Quatre cent soixante autres étaient fortement endommagés et, parmi eux, des monuments publics, entre autres l’hôtel de ville, avec ses inestimables tableaux de Roger van der Weyden, peintre officiel de Philippe le Bon, la Halle aux Draps, la Maison du Roi, la Boucherie communale ; des hôtels seigneuriaux comme l’hôtel d’Aremberg, l’hôtel Bergeyck, l’hôtel Arschot ; des églises comme Notre-Dame de la Chapelle et l’église Saint Nicolas, et de nombreux couvents.
Dès le lendemain du désastre, les Bruxellois reprirent courage. Ils déblayèrent les ruines, les rues furent dégagées et les plus gros dégâts réparés. Après ce bombardement de terreur, la reconstruction coûta une fortune. Le Magistrat se préoccupa aussitôt de la reconstruction de la Grand-Place et invita les corporations à contribuer à la reconstruction du centre. Chaque corporation se fit un point d’honneur à réaliser la plus belle de toutes les maisons de la Grand-Place ! La moitié de Bruxelles fut donnée en hypothèque à de grands commerçants anversois, dont les capitaux dormaient depuis la fermeture de l’Escaut en 1648.
Sagement inspiré, le Magistrat promulgua une ordonnance enjoignant aux propriétaires de ne relever leurs maisons qu’après en avoir fait approuver les plans par l’autorité communale. Cette ordonnance explique l’unité de la Grand-Place d’aujourd’hui, son harmonie et sa beauté. Les maisons de bois furent remplacées par des maisons de pierre bien alignées. Caractéristiques des constructions du Moyen Age, les étages surplombants furent supprimés.
Les magnifiques façades des maisons de métiers sur la Grand-Place sont le résultat de cette reconstruction. Elles revêtent leur état actuel à la fin du siècle dernier, lors de la restauration de la place, qui s’inspire des dessins du 18ème siècle. Contrairement à ce que l’on pense souvent, ces maisons n’ont aucun rapport avec l’âge d’or des métiers : elles n’ont été construites que deux siècles plus tard !
Reconstruction de la Grand-Place en style italo-flamand
Les maisons bordant la place ont été reconstruites dans les quelques années qui suivirent le bombardement de Bruxelles, suivant les dispositions du règlement de bâtisse imposées par le magistrat urbain et dû à Guillaume de Bruyn (1649 – 1719), doyen du métier des Quatre Couronnés, les saints patrons des maçons opératifs (sculpteurs, tailleurs de pierre, maçons, ardoisiers). Elles devaient être en style baroque italo-flamand qui succéda à la Renaissance classique du 16ème siècle.
Mais à bien considérer l’ensemble des maisons de la Grand-Place, il apparaît que les projets de de Bruyn n’ont été réalisés que très partiellement. Les idées particularistes du magistrat et des métiers l’ont souvent emporté. Le complexe couvrant l’aile est de la place – la Maison des Ducs de Brabant – en tient lieu d’exemple. A cet égard ce bâtiment semble plus moderne.
Le plan de la Grand-Place est médiéval. Sa forme est irrégulière. Sept petites rues étroites y aboutissent, tant sur les coins de la place que sur ses côtés, sans aucun souci de symétrie ou de perspective.
Le style baroque italo-flamand continua à se servir des éléments essentiels du style classique, à savoir, le plein cintre, les pilastres et les chapiteaux des ordres dorique, ionique et corinthien, mais il dégénéra en une fantaisie ornementale incompatible avec la sévérité du style classique d’où son nom qui lui fut appliqué au 18ème siècle.
Seul l’hôtel de ville date du 15ème siècle. L’aspect actuel de la Maison du Roi qui lui fait face date de la fin du 19ème siècle.
Ailleurs, les corporations, soucieuses d’affirmer leur autonomie par rapport au Prince et au magistrat, parvinrent à imposer leur vision individualiste, malgré le contrôle esthétique. Souvent, trois ordres ont été superposés sur les façades des maisons de la place : le dorique, l’ionique et le corinthien. Selon Paul de Saint-Hilaire, auteur féru d’ésotérisme, leur symbolique correspondrait aux trois grades maçonniques d’Apprenti, de Compagnon et de Maître, mais cette succession est fréquente dans la composition baroque à ordre colossal.
Les maisons de la place se sont rapidement détériorées au cours du 18ème siècle. En pleine décadence, les corporations ne disposaient plus des ressources nécessaires pour entretenir leurs bâtiments. Aussi les maisons corporatives furent vendues.
La restauration des petites maisons
A partir de 1852, la ville de Bruxelles accorda des subsides pour la réalisation de quelques travaux de réparation aux maisons de la Grand-Place. Sous prétexte d’élargir une des voiries qui y menait, la maison de l’Etoile (au n° 8) fut détruite en 1853.
La restauration des petites maisons démarra définitivement en 1883. Au nom du collège, l’échevin De Mot défendit l’idée que les maisons privées de la Grand-Place constituaient un ensemble architectural monumental. Il proposa que la ville signe des accords avec les propriétaires concernés. Ceux-ci paieraient une contribution modeste. En échange, la ville prendrait en charge l’entretien des façades. Très vite l’accord fut signé par certains propriétaires mais, en 1894, le projet fut bloqué par la mauvaise volonté de certains autres.
C’est le bourgmestre Charles Buls qui débloqua le dossier en menaçant de les exproprier pour cause d’utilité publique ! L’avenir de la Grand-Place entra en effet dans une phase décisive lorsque Charles Buls frappa, en 1883, l’ensemble des façades d’une servitude architectonique, de manière à assurer la conservation des dimensions, des dispositions d’ensemble et de détail, de la décoration et de l’aspect. Pour autant que les propriétaires s’acquittent d’une redevance, la ville se chargerait dorénavant de l’entretien des façades.
Pour retrouver le caractère fermé de la place, c’est encore Charles Buls qui donna instruction à Adolphe Samyn de reconstruire en 1896 – 1897 la maison de l’Etoile (n° 8), mais avec une galerie au rez-de-chaussée pour faciliter la circulation.
C’est dans la restauration de la Grand-Place que s’est exprimé le plus spectaculairement le souci de Charles Buls de valoriser un passé mythique d’autonomie urbaine fondé notamment sur des créations littéraires comme celle de Thyl Uilenspiegel de Charles De Coster.
On peut donc affirmer que le bourgmestre Charles Buls aura été l’animateur de la restauration de la Grand-Place mais il n’eut pas l’occasion de terminer lui-même l’œuvre de sa vie. Lors du décès du bourgmestre en 1914, toutes les façades étaient terminées sauf celles de trois immeubles situés à gauche de la Maison du Roi. Ces dernières furent réalisées après la guerre.
Pour la petite bourgeoisie libérale commerçante et artisanale de la fin du 19ème siècle, il s’agissait d’affirmer les valeurs de liberté et d’autonomie par rapport au pouvoir central de l’Etat et par rapport à l’Eglise.
De nombreux artistes, souvent francs-maçons, prirent part à la rénovation de la Grand-Place.
Les travaux de restauration des maisons se sont appuyés sur des dessins du 18ème siècle, dus à F.J. De Rons. L’architecte Adolphe Samyn a rétabli plusieurs de ces maisons dans leur style primitif. Elles ont été enrichies de sculptures allégoriques, remplaçant celles qui avaient disparu pour cause de vétusté. Les artistes sculpteurs étaient tous francs-maçons. Il s’agit de Victor Rousseau (1865 – 1954), Isidore De Rudder, Godefroid Devreese, Julien Dillens, Egide Aerts et Louis Samain.
Les travaux d’embellissement de l’hôtel de ville ont multiplié les statues de la façade. C’est à Charles-Auguste Fraikin (1817 - 1892) que l’on doit les sculptures du portail d’entrée de l’hôtel de ville, datées de 1845 - 1854 et de 1887 - 1889. Elles figurent des patrons de serments ou de gildes militaires. La restauration de l’édifice s’est achevée en 1902 par la reconstruction de la tourelle à l’angle de la rue de la Tête d’or par Adolphe Samyn.
Les grands groupes d’édifices depuis le 19ème siècle
Nous analyserons successivement :
Les six maisons du groupe nord :
- le « Heaume ».
- le « Paon »,
- le « Petit Renard »,
- le « Chêne »,
- « Sainte-barbe »,
- l’ « Âne »,
Les sept maisons du nord-est :
- la « Chambrette de l’Amman » ou « Aux Armes de Bruxelles »,
- le « Pigeon »,
- la « Maison des Tailleurs » ou la « Chaloupe d’Or »,
- l’ « Ange »,
- « Anne »,
- « Joseph »,
- le « Cerf ».
La Maison du Roi
Les sept maisons du groupe ouest :
- le « Roi d’Espagne »,
- la « Brouette »,
- le « Sac »,
- la « Louve »,
- le « Cornet »,
- le « Renard »,
- la « Tête d’Or ».
La Maison des Ducs de Brabant
composée de :
- la « Demi-Lune »,
- la « Balance »,
- la « Bourse »,
- la « Colline »,
- le « Pot d’Etain »,
- le « Moulin à vent »,
- la « Fortune »,
- l’ « Ermitage »,
- la « Renommée ».
Les cinq maisons du groupe sud-ouest :
- l’ « Etoile ».
- le « Cygne »,
- l’ « Arbre d’Or »,
- la « Rose »,
- le « Mont Thabor »,
L’hôtel de ville (voir dernière partie de cette série)
A. B.
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