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3. 3. L'enceinte de Bruxelles du 13ème siècle
L’enceinte de Bruxelles datant du 13ème siècle
Sommaire de ce troisième article (3. 3.)
Le tracé de l’enceinte au 13ème siècle
Quelques problèmes liés à la construction de l’enceinte
Utilité et évolution de l’enceinte
Des restaurations et des vestiges
Le tracé de l’enceinte au 13ème siècle
Le premier rempart urbain de Bruxelles semble avoir été entièrement édifié au 13ème siècle. Il englobait les différents pôles constitutifs de la ville : le château ducal du Coudenberg, le port marchand établi sur la Senne ainsi que la collégiale des Saints-Michel-et-Gudule. Il a structuré de façon déterminante la forme urbaine du centre-ville. N'ayant jamais fait l'objet d'une campagne de démantèlement systématique, sa structure s'est petit à petit fondue dans le tissu urbain. Aujourd'hui de nombreux vestiges matériels de ce rempart subsistent un peu partout dans la ville. D'autres traces plus indirectes sont également présentes dans la forme d'une place ou le nom d'une rue.
L'absence de documents écrits ne permet pas de dater avec précision l'âge de cette muraille ; la construction de la première enceinte de Bruxelles reste pour les historiens une énigme. Ne perdons pas de vue qu'une grande partie des archives de Bruxelles fut détruite lors du bombardement de Bruxelles en 1695 !
L'archiviste G. Des Marez (1918) et le professeur Bonnenfant (1934) se basant sur un écrit non daté, un acte d'Henri Ier, Duc de Brabant, estiment que l'enceinte devait être achevée vers 1200. Aujourd'hui, les chercheurs situent sa construction de la fin du 11ème au début du 12ème siècle.
Intéressons-nous tout d'abord au tracé de cette muraille en nous aidant du plan de Messieurs P. Combaz et A. de Behault datant de 1888. Bien des vestiges ont disparu depuis lors !
Plan de Bruxelles au 12ème siècle de Combaz et de Behault (1888)
A. La Porte Sainte-Catherine
B. La Tour Noire
C. La Porte de Laeken ou Porte Noire
D. Le Viquet de Wolf
E. La Warmoespoort ou Porte aux Herbes Potagères
F. La Tour des Dames de Berlaimont
G. La Tour du Pléban
H. La Porte du Treurenberg ou Porte Sainte-Gudule
I. La tour retrouvée rue du Coude, place de la Chancellerie
J. La Tour Matthieu
K. La Porte du Coudenberg
L. Le Viquet du Ruysbroek
M. La tour d’angle, dite Tour d’Anneessens
N. La Steenpoort
O. La Tour Saint-Jacques ou Tour de Villers, rue des Alexiens / rue de Villers
P. La Porte Saint-Jacques ou Porte d’Overmolen
Q. Ancienne écluse (Oude Spuy)
R. Le Guichet du Lion
S. Tour retrouvée rue des Chartreux
T. Le Viquet du Driesmolen
En ayant le Steenweg comme axe, et protégeant à la fois la ville haute et la ville basse, l’enceinte suivait un itinéraire que l’on peut aisément retrouver dans le tissu urbain du 20ème siècle.
Les profondes modifications que ce dernier a subies au cours des quarante dernières années nous empêchent parfois de bien localiser l’emplacement de la muraille et des portes. C’est en consultant des ouvrages comme celui de Léon Van Neck datant de 1909, celui de René Dons datant de 1947, mais surtout le plan des rues de la ville à ces mêmes époques que la localisation gagnera en précision.
D’une manière très arbitraire, prenons comme point de départ l’actuelle place de la Monnaie, à l’entrée de la rue du Fossé-aux-Loups dont l’appellation est assez fantaisiste. La traduction correcte devrait être «rue du Fossé de Wolf» car la famille Wolf avait des propriétés dans ce quartier.
De la rue Fossé-aux-Loups, la muraille se dirigeait vers l’ancienne rue de Berlaimont, au niveau des anciens Bains Saint-Sauveur (actuellement le parking de la Banque Nationale), s’infléchissait derrière le bâtiment de la Banque Nationale et le chevet de la cathédrale Saint-Michel (rue du Bois Sauvage).
C’est quasi en ligne droite, en longeant le fond des propriétés bâties en bordure de la rue Royale, face au Parc, qu’elle aboutissait à la place des Palais où elle bifurquait vers l’hôtel de Belle-Vue pour contourner le château ducal. Elle contournait ainsi l’église Saint-Jacques pour couper la rue de Namur à la hauteur de la rue Bréderode où se trouvait la Porte du Coudenberg.
La muraille redescendait alors vers le bas de la ville, parallèlement et à l’arrière de l’alignement nord-est de la rue de Ruysbroeck et descendait jusqu’à l’ancien Palais de Justice où, par un coude en angle droit, elle remontait par le côté gauche de la rue d’Or, parallèle au Boulevard de l’Empereur, jusqu’à la rue Haute où se trouvait la Steenpoort puis reliait une tour marquant elle-même un nouveau coude vers la place et la rue de Dinant.
Suivant alors la limite arrière des bâtiments de l’Athénée de Bruxelles, entre la rue du Chêne et la rue des Alexiens, l’enceinte rejoignait la porte Saint-Jacques ou d’Overmolen sur le bras oriental de la Senne, à hauteur de l’église Notre-Dame de Bonsecours.
Elle traversait la Senne à la hauteur du Jardin des Olives et de la place Fontainas. Par un arc de cercle englobant l’église des Riches-Claires et le Marché Saint-Géry, elle suivait la rue Saint-Christophe, gagnait le côté droit du Marché-aux-Grains pour atteindre la Porte Sainte-Catherine puis l’aile droite de la place Sainte-Catherine et, passant vis-à-vis de la place De Brouckère, elle rejoignait la rue du Fossé-aux-Loups à travers l’espace occupé de nos jours par le bâtiment du Centre administratif de la Ville de Bruxelles !
Près de 80 hectares de territoire étaient ainsi intimement soudés intra muros !
Quelques problèmes liés à la construction de l’enceinte
Les problèmes de datation, déjà évoqués, ne sont pas les seuls que pose la construction de l’enceinte. Mina Martens en évoque quatre autres :
1. La propriété du sol
On peut également se demander si l’assiette de l’enceinte était la propriété du duc. C’est en tout cas l’avis du Professeur Paul Bonenfant. Il semble en effet difficile d’imaginer que l’enceinte ait pu être construite sur un sol appartenant à la population qui occupait les lieux ! Ces habitants n’auraient eu aucun intérêt à entreprendre de tels travaux qui n’étaient finalement destinés qu’à protéger des intérêts comtaux : la nouvelle demeure du Coudenberg, l’église collégiale de Saint-Michel et l’ancien castrum de la vallée dont l’infrastructure domaniale subsistait avec ses moulins et ses viviers notamment.
2. La main d’œuvre
Le problème de la main d’œuvre nécessaire à une telle édification mérite également d’être posé. Allait-on la chercher dans une population locale ou éloignée ? Le nombre de maçons nécessaires à la réalisation de l’ouvrage évoque l’image d’une population largement accrue depuis que Charles de France était venu s’établir à Bruocsella 100 ans plus tôt. Sont-ce des corvées de transport et de service qui le permirent ? Il est difficile de se prononcer.
3. Les matériaux
L’ampleur de la masse de pierres à fournir et à acheminer vers les endroits prescrits du tracé amène tout naturellement à se demander si ces pierres étaient extraites des environs de la ville comme le veut la tradition ou si certaines sinon toutes ont tout simplement été extraites de carrières situées sous les collines du versant oriental de la Senne.
Qu’en pensent les historiens ?
Marcel Vanhamme prétend que le système défensif primitif s’est perfectionné par l’utilisation de matériaux durs solidement cimentés les uns aux autres, notamment de grès lédiens provenant des carrières d’Evere et de Diegem et de grès ferrugineux de Groenendael. Il n’avance cependant aucune preuve.
Selon Léon Van Neck, l’enceinte était composée de pierres massives extraites des carrières de Groenendael. C’est l’idée la plus répandue, sans doute sous le poids de la tradition, mais aucune preuve n'a été fournie !
En évoquant la solidité des pierres de la Steenpoort comme du reste des quatre kilomètres de l’enceinte, Jacques Dubreucq reprend aussi cette supposition de leur provenance des carrières de Groenendael. Celles-ci furent mises à jour en 1847 lors de la construction de la ligne de chemin de fer Bruxelles-Namur. Ces pierres avaient une dureté incroyable. Elles auraient également servi à la construction de l’église Sainte-Gudule. On savait de tradition, mais de tradition seulement, qu’elles venaient des environs de Bruxelles. Ces vieilles carrières de Groenendael ont été vaguement remblayées depuis lors.
Mina Martens avance une autre hypothèse, à savoir que tous les vestiges de la première enceinte de Bruxelles sont faits de pierres jadis bien équarries et provenant de carrières de grès qui furent exploitées souterrainement dans l’agglomération même, au Solbosch et à Laeken, comme aussi rue Meyerbeer à Uccle, avenue Ducpétieux à Saint-Gilles et rue de Linthout à la limite de Schaerbeek et d’Etterbeek.
Jean d’Osta, dans son ouvrage consacré aux rues disparues de Bruxelles nous signale que la rue Cantersteen fut officiellement dénommée rue des Carrières entre 1770 et 1853. L’extrémité nord de cette rue fut souvent appelée place des Carrières au début du 19ème siècle. Mais, si Jean d’Osta estime que cette appellation est due à une traduction fantaisiste, d’autres témoins anonymes auxquels se réfère Daniel Ch. Luytens, affirment qu’il était encore possible d’accéder à d’anciennes carrières situées sous la colline du Blindenberg par les caves de l’ancien hôtel Ursel rue du Cardinal Mercier, juste avant sa démolition. La rue des Carrières en rappellerait donc l’existence et son appellation ne serait pas une fantaisie ! Cette dernière hypothèse permettrait aussi de résoudre le problème de la main d’œuvre nécessaire au transport des pierres !
Ancien hôtel Ursel, rue du Cardinal Mercier
dont les caves donnaient accès aux anciennes carrières sous le Blindenberg
Précisons enfin que l’analyse à laquelle s’est livré Pierrik de Hénau en 1974 a révélé que le matériau utilisé là où se dressent les vestiges de la rue de Villers est du grès bruxellien.
4. Récupération de certaines parties du castrum
Aux environs de 977 une tête de pont avait été construite sur la rive droite, renforçant ainsi la défense du castrum. Originellement ce premier rempart était constitué de remblais de terre ou de palissades de bois mais fut sans aucun doute rapidement empierré. Ainsi, en dehors de la Grande Ile s’étendait un espace appelé «Oude Borch» qui était protégé par cette enceinte qui semble bien avoir été utilisée pour faire partie de l’enceinte de la ville au 12ème siècle. Entre le Guichet du Lion et la porte Sainte-Catherine approximativement, l’enceinte urbaine ne fut rien d’autre que le rempart remanié du castrum primitif. C’est en tout cas l’avis du Professeur Paul Bonenfant, conforté par la similitude des matériaux utilisés.
Plan montrant l'emplacement de la Porte du Lion
Utilité et évolution de l’enceinte
C’est donc une enceinte de pierre qui donna à Bruxelles son caractère de «ville» en englobant une nouvelle résidence du duc établie aux environs de 1047 au Coudenberg, diverses institutions pieuses implantées çà et là à flanc de coteau et le marché qui s’était formé petit à petit à l’est de l’ancien castrum. C’est avec cette enceinte et ces murailles que pendant plusieurs siècles, de 1040 à 1355, les princes de la Maison de Louvain, notamment Godefroid 1er, Henri 1er et Jean 1er, soutinrent les sièges et les combats les plus valeureux.
Mais au 13ème siècle, Bruxelles débordait déjà de ses remparts : la ville était entièrement entourée de faubourgs. Au milieu du 14ème siècle, le duché de Brabant fut confronté à une crise dynastique. Le comte de Flandre Louis de Maele occupa la ville. Une coalition dirigée par le patricien Evrard T’Serclaes la libéra. Ce conflit a démontré que les anciens remparts n’ont plus eu aucune utilité. Par la suite, de nouveaux moyens de défense ont été construits : de petits remparts et des hamèdes puis une nouvelle enceinte.
- Les petits remparts étaient une ligne de défense avancée composée d’un fossé et d’un talus de terre qui devaient protéger les faubourgs à l’ouest de la ville et peut-être aussi le grand béguinage. Plus tard ce système défensif a été appelé le Rempart des Moines.
- Les hamèdes étaient des systèmes de défense provisoires, composés probablement de talus de terre, renforcés de palissades et bordés d’un fossé. Il est peu probable que les hamèdes aient jamais formé un système continu. Philippe Godding, cité par Roel Jacobs a situé et délimité quatre hamèdes, notamment dans le Warmoesbroeck, au Sablon et le long de la petite Senne.
Par la suite, entre 1357 et 1383 de nouveaux remparts ont été construits. La coutume veut qu’on les désigne sous l’appellation de deuxième enceinte de Bruxelles. Mais, selon Roel Jacobs entre autres, c’est pratiquement la quatrième ! Elle coïncide approximativement au pentagone bien connu et la Porte de Hal en est un des derniers vestiges à ciel ouvert mais profondément transformé.
Au fil des siècles, notamment du fait de la construction de cette seconde enceinte au 14ème siècle, la première enceinte a vu ses fonctions originelles disparaître. A partir de la fin du Moyen Age, elle a fait l’objet de nombreux percements et démantèlements destinés à faciliter la communication interne à la ville ou aux propriétés riveraines.
Les grands travaux d’urbanisme de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle ont achevé de la faire disparaître. Cependant quelques vestiges ont survécu à cette évolution destructrice et ont été classés au titre de monument.
Des restaurations et des vestiges
Le centre de Bruxelles a longtemps gardé un nombre important de vestiges de remparts. Ils font pour la plupart partie d’une même enceinte que l’on a appelée généralement « la première » dans les anciens manuels scolaires. Mais, en ne perdant pas de vue qu’il subsiste aussi quelques vestiges bien cachés du castellum du 10ème siècle, il serait plus logique de l’appeler la deuxième enceinte !
Il faut savoir en effet que des vestiges d’un castellum subsistent dans certaines caves proches de la Grand-Place et que les propriétaires des lieux en nient même l’existence ! C’est le cas à la Maison Dandoy. Pour le Professeur Paul Bonenfant, ces remparts sont les premiers que Bruocsella ait connus. Ce castellum édifié sur la rive droite de la Senne dans le dernier quart du 10ème siècle devait occuper l’espace compris entre la rue au Beurre, la rue Maus, le boulevard Anspach, une ligne qui occupe le pâté de maisons de la rue des Pierres, la rue de la Tête d’Or et la Grand-Place.
Ces remparts de l’enceinte du 11ème siècle n’ont pas été détruits après la construction de l’enceinte du 13ème siècle car une telle démolition aurait demandé beaucoup trop de travail. De plus, les fossés pouvaient encore servir de terrain d’exercice pour les serments. Les murs ont souvent servi de point d’appui aux maisons qui y ont été accolées !
Ainsi, Roel Jacobs affirme que du 16ème au 18ème siècle, un vestige de l’enceinte séparait encore le couvent des dames de Berlaimont de celui des bénédictines anglaises. Ce fait est par ailleurs confirmé par Daniel Ch. Luytens qui précise qu’une tour de l’enceinte du 13ème siècle se trouvait encore dans le couvent de Berlaimont avant que ne furent érigés les bâtiments de la Banque Nationale le long du nouveau boulevard de Berlaimont.
Il est souvent arrivé de découvrir, au cours du 20ème siècle, des parties de cette enceinte serrées entre deux vieux immeubles.
De la « Vieille Enceinte », comme les habitants l’ont surnommée pendant quelques temps, de nombreux éléments ont donc longtemps subsisté. Mais les anciennes portes, tombant en ruines, ont été abattues les unes après les autres, de sorte qu’en 1760, il n’en restait plus aucune sur pied.
Au début du siècle, il était encore possible de rencontrer l’une ou l’autre tour habitée ! En période de crise du logement, certaines tours ont été louées et leur intérieur était même tapissé ! Avant 1914, on pouvait découvrir au bas de la Montagne du Parc, une tour de défense du rempart. Située dans la propriété du banquier Mathieu, la Tour « Mathieu », fut démolie en 1909 lors de l’extension de la Société Générale.
La tour Mathieu
Dans un ouvrage daté de 1909, Léon Van Neck signale également la redécouverte d’une tour et d’un morceau de muraille qu’il situait dans un immeuble de la rue du Coude. Le percement de la rue des Colonies, en 1903, sonne le glas de cette tour nommée « Tour de la Chancellerie ».
Plan indiquant l’emplacement de l’enceinte entre le parc et la rue d’Isabelle.
En 1911, lors de la construction de l’Athénée Léon Lepage, 30 rue des Riches Claires, les substructions d’une tour (« Tour des Carmes ») et un pan de mur avec contreforts de l’enceinte du 12ème siècle ont été découverts à proximité de l’aile sud de l’ancien couvent des Riches-Claires. Malheureusement ces vestiges n’ont pas été intégrés au complexe scolaire.
Découverte des substructions d'une tour de la première enceinte lors de la construction de l'Athénée Léon Lepage en 1911.
Enfin, Léon Van Neck indiquait également que le pont rustique du Bois de la Cambre aurait été construit avec des pierres provenant de ces murailles.
A. B.
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