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  • Les bâtisseurs de cathédrales

    Sommaire

    Introduction

    De nombreuses questions

    Le carnet de Villard de Honnecourt

    Qui était Villard de Honnecourt ?

    L’origine du mot « cathédrale »

    Les bâtisseurs de Dieu

    La construction des édifices religieux en France médiévale

    Le temps des cathédrales

    Les cathédrales

    La cathédrale Notre Dame de Paris

    La cathédrale de Bourges

    La cathédrale de Chartres

    La cathédrale de Reims

    La cathédrale d’Amiens

    La cathédrale de Beauvais

    Caractéristiques de l’architecture gothique en France

    Un art de la lumière

    Les différentes périodes

    Le gothique primitif

    L’apogée

    Le gothique flamboyant

    Du style roman au style gothique

    Les bâtisseurs de cathédrales

    Les métiers spécifiques de la construction des cathédrales

    Les chanoines bâtisseurs

    Les origines du chapitre

    Le travail de la pierre

    Francs-maçons et sculpteurs

    La sculpture et le vitrail, nouvelles techniques d’expression

    Les architectes

    Les moines constructeurs

    Ingénieurs et techniciens

    Un art de « professionnels »

    Le message des bâtisseurs de cathédrales

    Du temple à la cathédrale

    L’art sans la science n’est rien

    Capter le mystère

    Notre mère, la cathédrale

    Déchiffrer une cathédrale

    Tradition et traditions

    Voyager parmi les symboles

    Les deux chemins

    Pour conclure : l’éternelle sagesse des cathédrales

    Quelques ouvrages traitant des cathédrales de France

    Bibliographie

     * * *

    Introduction

    L'envergure des églises construites au Moyen Age et la qualité de leurs sculptures et de leur décoration nous étonnera toujours.

    Ces églises symbolisent la puissance du mouvement religieux dans la société médiévale. Il suffit d'imaginer la somme d'efforts nécessaires à leur réalisation pour s'en convaincre surtout avec les moyens techniques de l'époque.

    Presque toutes les villes de France conservent une ou plusieurs de ces églises médiévales dignes d'intérêt. Ces ouvrages ont été construits, pour l'essentiel, du 10ème au 15ème siècle. Ils illustrent la capacité de conception des architectes et le savoir-faire des bâtisseurs de cette époque.

    Le Moyen Age n’a pas toujours été la période obscure que l’on croit : les 11ème et 12ème  siècles comptent, au contraire, parmi les siècles les plus lumineux de notre histoire. Nous avons aussi pour habitude de considérer le Moyen Age comme une époque de lenteur mais rien n’est plus faux pour les années 1150 – 1250.

    En deux siècles seulement, les 12ème et 13ème siècles, les sujets du roi de France se sont mis à ériger pas moins de 80 cathédrales. Très rapidement le style gothique a gagné toute l’Europe. L’inventivité technique qu’a nécessitée l’érection de monuments aussi grands est comparable à celle qui a prévalu après la découverte de l’électricité à la fin du 18ème, après l’invention du béton au 19ème ou du transistor au 20ème.

    De nombreuses questions

    De Chartres à Amiens en passant par Lausanne, qui, aujourd'hui, se souvient des couleurs éclatantes qui accueillaient les fidèles à l'entrée et à l'intérieur des cathédrales ? Que signifie ce prolifique décor ? Quel éclairage donnaient les vitraux d'origine aujourd'hui disparus ?

    Comment ont été érigées, parfois en peu de temps, ces constructions aux dimensions et aux proportions impressionnantes ? Qui peut imaginer l'orgueilleuse flèche de Beauvais au 13ème siècle atteignant 48 mètres mais qui s'écroula en 1284 ? Quelle impression, quelle émotion pouvait ressentir le fidèle du Moyen Age qui entrait dans la cathédrale ? Les chantiers de ces cathédrales ne font-ils pas penser à ceux de l'Egypte ancienne, aux chantiers des pyramides ou à ceux de l'Amérique moderne, aux chantiers des gratte-ciel ? Qui sont les commanditaires et les bâtisseurs ? Qui se cache derrière ces génies créateurs ? Quels sont les techniques et les outils utilisés ? Ces constructions sont-elles l'imitation d'un modèle donné ou le fruit d'une imagination ? Les questions se bousculent au sujet du temps des cathédrales.

    C’est pourquoi, dans la présente synthèse, nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces nombreuses questions, de comprendre pourquoi et comment furent bâties ces cathédrales, qui en furent les bâtisseurs et comment ils étaient organisés.

    Le carnet de Villard de Honnecourt

    Un homme du 13ème siècle, maître d'œuvre et dessinateur, Villard de Honnecourt, nous a laissé un carnet exceptionnel composé de notes et de croquis. La précision de ses schémas, la qualité de ses esquisses, l'exactitude de ses plans sont remarquables.

    Ce carnet ne traite pas seulement de la construction des cathédrales mais plus généralement des techniques de construction de l'époque. On y trouve les plans de la tour de Laon, l'élévation intérieure des chapelles absidiales de la cathédrale de Reims ainsi que des motifs décoratifs, tels une rose rappelant celle de Chartres ou un pavage vu en Hongrie. Les connaissances techniques se cachent souvent derrière des figures énigmatiques, cavaliers, visages humains ou figures animales qui sont autant de figures mnémotechniques que l'historien et architecte Roland Bechmann s'est appliqué à déchiffrer et à interpréter.

    Le manuscrit de Villard de Honnecourt est composé de feuilles de parchemin portant des dessins sur les deux faces et réunies en cahiers comportant un nombre de feuilles variables. Il se présente comme un carnet de format réduit, d'environ 14 cm sur 22, relié et recouvert de cuir marron. Il est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Entre un tiers et la moitié des feuilles du manuscrit, estimées au départ à une centaine, ont disparu. D'autres ont été modifiées ou grattées ; 33 folios subsistent, soit 66 pages.

    Certains dessins du carnet dévoilent l'étendue des connaissances de Villard de Honnecourt dans cet art de la coupe des pierres. Soucieux de ne pas divulguer ses méthodes à des profanes, il n'y a indiqué que l'essentiel. Pendant cent cinquante ans, ces petits croquis ont paru sans intérêt aux commentateurs du manuscrit qui n'en comprenaient pas la signification. Et pourtant, ces dessins énigmatiques proposent des recettes pratiques pour faciliter et optimiser la taille des pierres ou indiquent comment disposer les joints d'une colonne, comment tailler les pierres d'un arrachement ou encore celles d'une voûte biaise.

    Certains dessins rappellent de façon frappante les rituels des Compagnons du Devoir. Quelques indices, dans l'histoire, tendent à démontrer que, malgré l'opposition – attestée par des édits – des autorités civiles et religieuses de l'époque, il existait des associations ouvrières qui pratiquaient la solidarité, se transmettaient une tradition initiatique et partageaient des signes de reconnaissance.

    Elles seraient les ancêtres des Compagnons du Devoir actuels qui, par un esprit de rigueur dans le travail comme dans le comportement, maintiennent une tradition de l'ouvrage bien fait. Les Francs-maçons, dont les traditions et les rituels sont souvent analogues, revendiquent également une filiation avec le monde du travail du Moyen Age.

    Qui était Villard de Honnecourt ?

    La figure de Villard de Honnecourt demeure mystérieuse. Seul son manuscrit livre quelques indices qui permettent de le situer. Son nom indique son lieu d'origine ou peut-être le monastère dont il faisait partie : Honnecourt, petite ville de Picardie, au bord de l'Escaut près de Cambrai, non loin de Saint-Quentin et Amiens, et formée autour d'une abbaye bénédictine.

    Villard est né picard. Au 13ème siècle, la Picardie était dans une situation privilégiée, au cœur de l'Europe, à un carrefour d'échanges économiques importants, et se trouvait au centre des foyers intellectuels. Villard a pu résider et étudier à Honnecourt mais il a probablement aussi travaillé à l'abbaye cistercienne de Vaucelles.

    Ses représentations des cathédrales de Laon et de Reims, ses plans des églises de Cambrai, de Vaucelles et de Meaux permettent de situer l'activité de Villard pendant le premier tiers du 13ème siècle, au moment de l'apogée du gothique.

    Sans pouvoir établir de chronologie claire et juste, nous pouvons imaginer les pérégrinations avérées, probables ou éventuelles de Villard de Honnecourt, sans qu'il soit non plus possible de préciser s'il s'agissait de participations à des chantiers ou de déplacements pour étudier des édifices réputés, voire ce qu'on appellerait du tourisme culturel. Il est probable qu'il soit allé à Meaux mais rien ne prouve qu'il ait été à Chartres.

    Sur son chemin vers la Hongrie, il est passé par Reims, ce qui l'aurait conduit à faire étape dans quelques monastères cisterciens et à visiter quelques églises telles que Clairvaux, Cîteaux ou Morimond, et expliquerait son intérêt pour le plan type d'église cistercienne conforme à la simplicité d'origine. François Bucher, médiéviste américain, a tenté de retrouver les traces de Villard en Bavière ou en Hongrie.

    Villard est-il dessinateur, concepteur de plans, ingénieur, constructeur, architecte, maître d'œuvre, géomètre, inventeur, voyageur, observateur de chantiers et d'édifices, chef de chantier, clerc, intellectuel ou savant ?  La réponse est complexe. Mais il ne fait aucun doute qu'il était un artiste habile.

    Le manuscrit de Villard de Honnecourt est un témoignage révélateur de l'intense période de progrès, de la curiosité intellectuelle immense, de l'intérêt pour la nature et l'expérimentation qui se manifestaient à l'époque. L'élan intellectuel du 13ème siècle a été alimenté par la diffusion des écrits d'Aristote, transmis par les Arabes, par le développement de la logique qui supplante alors la rhétorique, et par l'usage croissant de la langue vulgaire dans la littérature, les actes publics ou les écrits scientifiques.

    Ainsi Villard de Honnecourt fut-il le contemporain d'une période qui vit s'affronter deux conceptions du monachisme : celle des clunisiens, dont l'abbé Suger, l'ami du roi de France, en charge de l'abbaye de Saint-Denis, fut le plus éminent représentant, et celle des cisterciens.

    L'origine du mot « cathédrale »

    L'évêque et la cathédrale : les deux termes sont étroitement liés par l'étymologie. Cathédrale dérive de « cathedra » et désigne la chaire, c’est-à-dire le siège à dossier sur lequel s'assoit l'évêque dans son église et qui symbolise à la fois son autorité et sa présence dans le lieu.

    Apparu à l'époque carolingienne, le terme « cathédrale » s'est imposé définitivement au détriment des autres expressions, telles que « mater ecclesia » ou « ecclesia major », voire « ecclesia » simplement, au cours du 13ème siècle, au moment où se sont élevés de terre dans les villes de France ces immenses vaisseaux de pierres gothiques devenus depuis lors l'archétype de l'église épiscopale.

    Cela a entraîné d'ailleurs quelques abus de langage, comme par exemple l'habitude de donner à la collégiale de St Quentin, le nom de cathédrale, car ce n'est pas la taille qui fait la cathédrale.

    Au niveau de l'architecture, rien ne permet de distinguer la cathédrale d'une autre église. La confusion s’est renforcée par le fait que la suppression d'un diocèse n'entraîne pas la disparition du titre de l'église. Ainsi, la cathédrale de St Omer n'est plus qu'une église paroissiale depuis 1790 et ce n'est qu'en 1553 que cette abbatiale des 13ème et 14ème siècles accueillit le siège d'un diocèse, après que Charles-Quint ait rasé Thérouanne. En fait, sur le plan architectural, rien ne distingue en théorie la cathédrale d'une autre église.

    Les bâtisseurs de Dieu

    Après la reconquête des lieux saints à Jérusalem, les croisades ont favorisé l’essor des cathédrales gothiques dans tout l’Occident. Fondé sous l’impulsion de saint Bernard de Clairvaux, l’Ordre des Templiers a protégé les bâtisseurs de cathédrales auxquels il a confié de nouveaux savoirs.

    Nous pouvons nous demander pourquoi et comment il s’est trouvé tout à coup dans l’Occident chrétien, des « dompteurs » de pierre comme on n’en avait jamais vu depuis les pyramides, d’où ils tenaient leur savoir d’initiés, combien de générations de maçons et de tailleurs de pierre il faudrait aujourd’hui pour produire des maîtres capables de réaliser l’équivalent des cathédrales de Chartres ou d’Amiens.

    Des bâtisseurs de jadis ont laissé leurs signatures sur des poutres ou des pierres. Nous connaissons des noms d’architectes et de maîtres d’œuvre, notamment pour Amiens, mais pas pour Chartres… Le fait est que nous savons peu de choses sur l’origine de ces constructeurs, sur le savoir-faire dont ils ont été les dépositaires.

    Ce dont nous sommes certains, c’est qu’ils étaient réunis en confréries, en fraternités ou en compagnonnages, un mot qui vient de « compas », leur outil de prédilection, et qui signifie aussi « qui partage le même pain ».

    Les confréries les plus connues avaient pour nom « les Enfants du père Soubise », « les Enfants de Maitre Jacques » ou « les Enfants de Salomon ». Elles ont aujourd’hui pour héritiers « les Compagnons des Devoirs du Tour de France ».

    Certains d’entre eux ont gardé une tradition initiatique et morale de savoir-faire et de « chevalerie de métier » en refusant, par exemple, de construire des forteresses et des prisons, leur œuvre étant dévolue aux hommes libres. La cathédrale, dans cette éthique, apparait paradoxalement comme un édifice laïc, au sens originel du terme, car construit pour l’âme du peuple et non pour la gloire des seigneurs.

    Pour comprendre l’esprit qui a présidé à la construction des cathédrales gothiques, il convient de retracer tout d’abord succinctement les origines philosophiques, intellectuelles et sociales de deux mouvements que tout oppose :

    • d'un côté, les moines irlandais ainsi qu'Alcuin, Gerbert, Suger, Abélard et l'Ecole de Chartres, pour qui chaque être humain est au centre de la création avec, quels que soient son origine ou son statut, son pouvoir de rendre le monde intelligible, de le transformer et de l'améliorer ;
    • de l'autre, Bernard de Clairvaux, l'esprit de chevalerie et l'ordre cistercien, qui postulent un homme livré au mal et devant se contenter de faire pénitence pour que Dieu lui pardonne ses péchés ;
    • d'un côté, les bâtisseurs de cathédrales qui pratiquaient une éducation ouverte à tous ;
    • de l'autre, l'obscurantisme monastique prêchant la croisade et exhortant à abandonner les villes et les livres.

    Education populaire contre féodalisme populiste : Bernard de Chartres et Bernard de Clairvaux seront toujours incommensurables et incompatibles !

    En l'espace de deux siècles seulement, quelque quatre-vingts cathédrales ont été construites en Europe ! Malgré les effets du temps, leur beauté est restée intacte. Pourtant, elles n’ont pas été bâties pour « réaliser une œuvre de prestige » ni pour    « faire joli dans le décor ».

    A une époque où la grande majorité de la population était traitée comme du bétail, la cathédrale fut l'affirmation la plus visible et la plus indéniable du pouvoir créateur de l'homme, étincelle divine.

    De saint Louis, ardent croisé, les bâtisseurs de cathédrales obtinrent des franchises royales qui en firent des « maçons francs ». C’est dire la reconnaissance et l’estime dont ils jouissaient. Ces privilèges, le roi Philippe le Bel, dans son acharnement pour anéantir les Templiers, les supprima sèchement…

    En effet, les bâtisseurs de cathédrales furent pourchassés lors du procès des Chevaliers du Temple, leurs protecteurs. Si bien que beaucoup disparurent, signe de leur inclusion dans l’Ordre, d’autres entrant dans la clandestinité.

    La cathédrale de Chartres a dû être construite par « les Enfants de Salomon », qui édifièrent la majorité des autres grands sanctuaires gothiques, comme Amiens et Reims.

    Les bâtisseurs étaient très liés aux Templiers, qui les avaient instruits et pris sous leur protection. Et nous pouvons remonter plus loin dans le temps car ces constructeurs puisent leurs origines dans les écoles initiatiques de l’ancienne Egypte.

    L’art gothique, en tout cas, a prospéré en même temps que l’Ordre du Temple. Et il déclinera avec lui, de même que l’art du vitrail, tel que splendidement pratiqué à Chartres, lorsque l’Ordre sera brisé, au terme d’un des procès les plus scandaleux de l’histoire. Plusieurs auteurs, dont Louis Charpentier auteur des « Mystères de la cathédrale de Chartres » et des « Mystères templiers » ou Patrick Rivière, historien et philosophe, auteur de l’ouvrage « Les Templiers et leurs mystères », sont convaincus que les Templiers étaient les « dépositaires des arcanes majeurs de la tradition primordiale », connaissances qui leur ont permis d’instruire les bâtisseurs.

    Les premiers Templiers auraient en effet occulté leur mission officielle de défenseurs des routes pèlerines pour se livrer à d’intenses fouilles dans les ruines du Temple de Salomon à Jérusalem et en auraient ramené des objets porteurs de lois mathématiques régissant l’univers, la clé, en quelque sorte, du progrès humain. Ramenés secrètement en France pour être mis en lieu sûr, ces objets auraient été contemplés par quelques initiés, dont saint Bernard de Clairvaux, le phare spirituel de l’Occident. Mais il n’existe aucune preuve de cela… Une absence qui participe au mystère des Templiers.

    C’est au retour des neuf Templiers qu’a été promulguée, en 1128, la règle de l’Ordre du Temple lors du Concile de Troyes, convoqué sous l’impulsion de saint Bernard. Dès lors, l’Ordre du Temple s’est développé d’une façon extraordinaire. Il a organisé un solide système d’économie publique, protégé cultures et récoltes, sécurisé routes et transport et créé la lettre de change. Les Templiers se sont mués en trésoriers.

    Ce sont eux qui ont financé les chantiers des cathédrales et qui ont prêté des sommes faramineuses à Philippe le Bel, qui prit peu à peu ombrage de la puissance grandissante de cet état dans l’Etat. Rappelons que les Templiers, avec à leur tête le Grand Maitre Jacques de Molay, ont été accusés d’hérésie et ont péri sur le bûcher en 1314.

    Richissime, l’Ordre du Temple avait réussi à poser les fondements d’une nouvelle civilisation. Les cathédrales, dans la mystique de saint Benoit puis de saint Bernard, en étaient la dimension spirituelle, l’aboutissement du long labeur élaboré à l’abbaye de Cluny, où ont été établies les fondations de la civilisation chrétienne occidentale. Plus de 1300 monastères se rangeront en effet sous la règle clunisienne.

    Parfaitement organisés, les Templiers avaient assuré le nécessaire vital, le blé, l’outil, l’argent. Avec les cathédrales, ils ont donné au peuple la clé de l’éveil spirituel qui lui manquait. Pour agir sur la pierre, il fallait des constructeurs initiés à certaines lois, à l’instar des constructeurs de dolmens sacrés et des pyramides d’Egypte.

    C’est si vrai que, sept siècles plus tard, lorsque des compagnons travaillèrent sous les ordres de l’architecte et restaurateur de cathédrales Viollet-le-Duc (1814-1879), ils s’effarèrent, raconte Louis Charpentier, « de ce que le moindre choc sur certaines pierres provoquait des ondes sonores comme on en obtient sur des ressorts tendus ou sur des cordes d’instruments de musique ».

    La construction des édifices religieux en France médiévale

    L'époque médiévale, et particulièrement les 12ème et 13ème siècles, a donc été marquée par un essor considérable de la construction religieuse. Les grandes cathédrales ont alors été rebâties, de nouveaux ordres religieux ont multiplié les fondations, les églises collégiales se sont multipliées et, dans les campagnes comme dans les villes, les communautés paroissiales ont érigé de nouveaux sanctuaires.

    Ce mouvement bâtisseur, qui correspond chronologiquement à la naissance et à la diffusion de l'art gothique, trouve un écho à l'extrême fin du Moyen Age, dans la seconde moitié du 15ème siècle, avec la restauration de la plupart des édifices religieux à la suite des troubles de la guerre de Cent ans.

    Les travaux de construction et de restauration du patrimoine religieux au Moyen Age ont nécessité un apport financier considérable, des ouvriers compétents, des techniques efficaces dans la production et la mise en œuvre des matériaux. Des sources historiques de natures diverses rendent compte de l'organisation de certains grands chantiers religieux urbains à partir de la seconde moitié du 13ème siècle et permettent de décrire avec une précision satisfaisante les étapes des travaux, depuis l'élaboration du projet jusqu'à l'achèvement du bâtiment.

    Cependant, la plus grande part des constructions religieuses médiévales ne sont pas documentées et la diversité de leurs statuts – églises paroissiales, conventuelles, hospitalières… – implique des organisations de chantiers différentes de celles connues pour les cathédrales ou les grandes églises urbaines.

    Le temps des cathédrales

    L'art est le reflet de l'âme d'un peuple, le souvenir inoubliable d'une époque révolue. Avant le 11ème siècle, comme les gens vivaient dans l'insécurité des invasions et croyaient que la fin du monde viendrait avec l'an mil, ils n'éprouvaient guère d'enthousiasme pour les grands projets matériels.

    C'est plutôt après le 11ème siècle, avec les profonds changements d'attitude mentale, que l'Europe médiévale s’est transformée. Ainsi, les gens commencèrent à cette époque à s'unir de plus en plus, autant au niveau économique et social qu'au niveau politique. Ceci permit la réalisation de grands projets architecturaux comme la construction de vastes églises pouvant abriter les pèlerins et permettant aux habitants de pouvoir y circuler librement.

    Vers le 12ème siècle, on commença à construire encore plus grand en bâtissant des cathédrales. Ces dernières avaient des dimensions qui surprennent encore aujourd'hui. Ainsi, la cathédrale d'Amiens pouvait accueillir 10 000 personnes dans ses murs et la voute de la cathédrale de Notre Dame de Reims s'élève à près de 38 mètres (37 mètres 95 très exactement).

    Après le 12ème siècle, celui de la naissance puis des premiers perfectionnements du style gothique, la France est entrée dans un nouveau siècle : celui des cathédrales. S'il est vrai que la course parfois acharnée à la construction se répandit dès la fin du 11ème siècle, elle le fut encore plus aux premières années du 13ème siècle. La population était en quête d'une spiritualité quasi absolue qui s’est matérialisée dans les cathédrales.

    Cette majesté, ces dimensions que les bâtisseurs ont toujours voulu augmenter ont donné à la France ses plus belles cathédrales en moins d'un siècle. Le siècle se prêtait d'ailleurs très bien à cette « compétition » entre villes, entre évêchés, tant il fut l'âge d'or du Moyen Age. La paix perdurait, les récoltes étaient bonnes, le pouvoir assurait l'ordre : l'argent était suffisant pour répondre aux exigences d'une telle construction. Dans le courant créatif qui balayait alors la France et l'Europe, sept grandes cathédrales contribuèrent chacune à l'essor technique et esthétique du gothique.

    Les cathédrales exigeaient énormément de temps et de capitaux pour leur construction. Elles furent construites sur l'initiative de monastères (ex : les églises de Conques, Caen, Saint-Benoit-sur-Loire, Cluny, etc.) et de riches cités qui rivalisaient entre elles (Sens, Noyon, Laon, Autun, Paris, Bourges, etc.).

    Le vaste mouvement de construction des cathédrales s'étendit de 1050 à 1350 et le siècle où l'on en construit le plus, « le siècle des cathédrales », fut le 13ème siècle.

    Pendant la guerre de Cent ans, on arrêta de construire. Une fois la guerre terminée, il était trop tard, l'enthousiasme n'y était plus, c'était terminé...

    Néanmoins, il reste que ces immenses trésors architecturaux, témoignages incontestables de la foi et du savoir-faire des hommes de l'époque, ont joué un rôle plus qu'important. Ils permirent de développer de nouvelles techniques de construction.

    En effet, les églises romanes, basses et sombres, construites avec des murs épais, de grandes voûtes et de puissants contreforts placés à l'extérieur de celles-ci, posaient comme problème celui de la hauteur et du manque de clarté.

    Cependant, avec la venue du style gothique, les choses changèrent. En effet, la voute sur croisée d'ogives permit aux murs d'être plus légers et, ainsi, d'être percés de magnifiques vitraux. Le style gothique permit également d'élever les murs à une hauteur bien plus impressionnante que le permettait le style roman.

    Outre les nouvelles techniques de construction, les cathédrales permirent aux gens du clergé d'instruire les fidèles grâce aux vitraux et aux tapisseries. Elles permirent également aux gens de se rencontrer, le parvis se prêtant bien aux rencontres, et d'assister à des pièces de théâtre nommées mystères.

    Les cathédrales

    La cathédrale Notre Dame de Paris

    Le 13ème siècle débute avec la poursuite des travaux de Notre Dame de Paris. Commencée en 1163, soit à peine vingt ans après Saint-Denis, sous l'initiative de son évêque Maurice de Sully, elle ne sera achevée dans son gros œuvre qu'en 1245. Ensuite, un siècle de modifications puis une intervention au 19ème siècle lui donneront son aspect d'aujourd'hui.

    Toutes les parties ne sont donc pas du même âge : le chœur est plus ancien que la façade qui date d'environ 1210. A cheval entre la période de naissance du gothique et celle de son affirmation, la cathédrale Notre Dame porte en elle cette transition architecturale.

    C'est ainsi qu'à l'intérieur, de gros piliers qui soutiennent la retombée des voutes rappellent un art roman mourant. La façade, elle, à part la rose centrale, est dominée par une succession verticale d'arcs brisés, ce qui tranche nettement avec la façade de Laon édifiée à peine quelques années plus tôt.

    Quant aux dimensions de Notre Dame de Paris, elles dépassent largement celles d'une autre cathédrale du gothique primitif, celle de Noyon avec ses 130 mètres de long et ses 35 mètres de hauteur sous la voute. De telles dimensions annoncent celles plus grandes encore des cathédrales à venir.

    La cathédrale de Bourges

    Quand débutent les travaux de la cathédrale de Bourges vers 1195, l'art gothique a déjà une certaine maturité. La construction occupera presque la moitié du 13ème siècle pour des raisons techniques et financières, mais l'architecte rendit un travail soigné qui favorisait plus qu'à Paris la pénétration de la lumière, point ô combien important de l'art gothique.

    L'originalité de la cathédrale vient du fait qu'elle marque un point de rupture par rapport à celles bâties antérieurement. Son plan n'a pas de transept ni de chapelles rayonnantes à l'origine, ce qui favorise un espace soigneusement mis en valeur. La cathédrale utilise également davantage les arcs boutants par rapport à celle de Paris et cette technique sera dès lors abondamment utilisée. Bourges est l'une des premières cathédrales n'ayant plus rien de commun avec le premier art gothique dit « primitif ». Avec elle, l'Europe entre dans un chantier de construction effrénée.

    La cathédrale de Chartres

    Suite à un incendie en 1196, l'ancienne cathédrale a été détruite, ce qui laissa à l'évêque le soin de bâtir un nouvel édifice imposant par sa largueur. En effet, sa nef possède sept travées auxquelles s'adjoignent les collatéraux. D'où une largueur de 64 mètres, ce qui ne manque pas de surprendre le visiteur. De plus, la cathédrale a été construite avec des innovations propres à son architecte ce qui la rend bien différente de celles qui existent en France.

    Au contraire de Bourges, le transept existe et est mis en valeur par ses façades extérieures. Les arcs boutants sont à double étage ce qui favorise l'élévation à trois niveaux de l'édifice : arcade, triforium et fenêtres hautes. Chartres marque un net progrès dans l'évolution de l'art gothique.

    La cathédrale de Reims

    Comme à Chartres, c'est un incendie qui a entraîné la construction d'une nouvelle cathédrale dans la ville où les rois de France sont sacrés. Commencée vers 1215, elle ne fut achevée qu'en 1275. L'architecte de cette cathédrale est resté en partie fidèle aux principes de celle de Chartres et a adopté la même élévation mais gardé sa propre sensibilité dans la réalisation finale en touchant aux proportions des différents niveaux. La cathédrale de Reims a donc été édifiée selon l'initiative propre de son bâtisseur et inspirée des progrès antérieurs.

    La cathédrale d'Amiens

    Dans la course frénétique à la majesté, Amiens marque une étape importante. Le chantier a commencé vers 1220 et son architecte a voulu donner à l'édifice une taille impressionnante. Il a réussi en atteignant plus de 42 mètres de haut sous les voûtes, une hauteur jamais égalée dans la course à la spiritualité et à l'élévation vers Dieu. Mais, à toujours vouloir pousser les limites de la physique, l'architecte s’est rapproché du risque d'écroulement. Celui-ci eut lieu dans la cathédrale d'Amiens où une partie des voûtes s'écoulèrent en 1284, ce qui obligea à reconstruire en doublant les supports intérieurs. Quant au chœur achevé en 1270, il dut être reconstruit suite à l'écroulement. Les travaux de la cathédrale se sont poursuivis jusqu'au tout début du 16ème siècle.

    La cathédrale de Beauvais

    Les travaux ont commencé vers 1245 à une période où l'art gothique avait déjà une certaine expérience, une expérience qui pouvait jusqu'alors manquer aux architectes pour jouer d'une audace particulière. Mais avec les évolutions techniques de Chartres, avec l'impressionnante hauteur d'Amiens, l'architecte de Beauvais a voulu aller plus loin.

    Si Amiens nous offrait 42 mètres sous voûtes, Beauvais nous en offre 48. Cette cathédrale a utilisé tous les progrès et l'expérience amassés pendant un siècle d'évolution architecturale. Mais une telle entreprise a récolté les conséquences de son ambition : au 16ème siècle, la flèche s'est écroulée avec une partie du toit. Encore aujourd'hui, la cathédrale est percée de nombreux consolidants métalliques et soutenue à l'intérieur par d'imposantes pièces de bois.

    L'essor de l'art gothique a été si rapide qu'une personne née vers 1200 avait le temps de découvrir la nouveauté de Notre Dame de Paris, d'être charmé par la luminosité de Bourges, émerveillé de la réussite de Chartres avant de mourir époustouflée par la hauteur sous voûte de celle Beauvais. Quant aux siècles suivants, ils ont offert moins de nouveautés techniques mais ont gardé des réalisations intéressantes.

    Caractéristiques de l'architecture gothique en France

    Les grandes cathédrales gothiques du Moyen Age sont des exemples d'une architecture révolutionnaire qui a commencé en France pendant le douzième siècle avec l'église Saint-Denis à Paris. L'architecte, qui s'appelait Suger, était un visionnaire et ses idées ont trouvé l'expression dans plusieurs projets architecturaux en Ile de France.

    Personne jusqu’à l’abbé Suger n'avait trouvé les moyens d'évoluer. Suger voulait  reconstruire l’église Saint-Denis avec une spiritualité religieuse plus intense et insister sur trois aspects nouveaux qui allaient devenir les caractéristiques de l'art gothique : luminosité, hauteur, et gestion de la poussée.

    Examinons les caractéristiques principales qui définissent l'essence de l'architecture gothique.

    L'intérieur d'une cathédrale gothique est très spacieux avec des détails délicats, mais forts. Le style gothique apporte un espace en trois dimensions, éclairé par une lumière extérieure qui symbolise la présence du divin. Mais pour obtenir un tel esthétisme entre les hommes et Dieu, il fallait résoudre un problème technique insurmontable jusque-là : faire plus haut et plus lumineux avec un poids de plus en plus important. Or l'art gothique permet de mieux répartir le poids grâce à une série de techniques ingénieuses dont la voûte à croisée d'ogive et l'arc-boutant sont les principales.

    La voûte à croisée d'ogives, déjà existante avant, connut son essor avec l'église  Saint-Denis. C'est un croisement de deux arcs qui permet d'augmenter la résistance. Le mot « ogive » vient du latin « augere » signifiant « augmenter ».

    Les différents arcs (formeret, doubleau) permettent de répartir la poussée sur quatre points d'appui. Le poids de la voûte étant conduit par les arcs et absorbé par ces quatre points, le mur n'est plus un support mais un élément de remplissage au travers duquel les architectes percent de nombreuses fenêtres. Grâce à la voûte à croisée d'ogive, la luminosité devient désormais inséparable de l'art gothique.

    Quant à l'arc boutant, il est particulièrement utilisé au 13ème siècle. Ce système d'arcs extérieurs qui donne à la cathédrale vue de haut l'aspect d'une araignée géante, permet d'absorber la poussée extérieure des murs pour la diriger vers le sol. La poussée passe d'abord par l'arc reliant l'édifice à la culée, héritière des contreforts romans, et qui reçoit l'ensemble de la poussée. Cette innovation importante augmente la hauteur.

    Mais le style gothique n'est pas seulement le recours aux possibilités architectoniques offertes par la croisée d'ogives et l'arc-boutant. C'est aussi la recherche d'une lumière toujours plus abondante, d'une élévation toujours plus haute et d'une unification de l'espace par le décloisonnement des volumes.

    Un art de la lumière

    L'art gothique est d'abord un art de la lumière. La conquête de la lumière passe par l'agrandissement progressif des fenêtres et par l'emploi de plus en plus fréquent de verre plat, blanc ou coloré, même sur les constructions civiles. Précurseur du « mur de verre » moderne, l'art gothique utilise le verre à grande échelle dans l'architecture civile et religieuse. D'immenses verrières inondent de lumière l'intérieur des édifices.

    Du 12ème au 14ème siècle, des verreries voient le jour au voisinage des forêts pour alimenter les constructions urbaines. Le développement de cette industrie nouvelle, lié aux progrès de la métallurgie, est possible grâce à l'amélioration des systèmes de soufflerie et d'utilisation des combustibles. Le verre est ainsi amené plus facilement à l'état de fusion.

    Au même moment apparaît l'éclairage sans fumée, chandelle ou cierge, qui remplace la torche résineuse ou la lampe à huile. Lecture, étude, dessin s'en trouvent considérablement facilités.

    Les différentes périodes

    Le gothique s'étend du premier tiers du 12ème siècle jusqu'au 16ème siècle, de la fin du monde roman à la Renaissance. On le divise généralement en trois grandes périodes :

    Le gothique primitif (premier tiers du 12ème siècle – premier tiers du 13ème siècle).

    Les premiers édifices gothiques sont encore assez trapus. L’arc en plein cintre ne disparaît pas immédiatement. On le trouve encore dans les grandes roses de façade.

    Les voûtes sont généralement conçues sur un plan carré, six branches d’ogives reposant sur des piles alternativement fortes ou faibles, ce qui permet de canaliser la poussée vers des points de retombée entre lesquels les murs ne seront plus porteurs.

    A l'extérieur, apparaissent des arcs-boutants dont la fonction est de contrebuter la poussée des voûtes qui, avant leur invention, s'exerçait uniquement sur les murs. Ces techniques rendent possible la construction de nefs de plus en plus hautes. Les fenêtres restent pourtant d'une taille relativement modeste. L’élévation comporte généralement quatre niveaux : les arcades, les tribunes, les arcatures aveugles et les fenêtres hautes. Les chapiteaux, points de jonction de la voûte et de la pile, sont ornés de motifs végétaux dont l'extrémité est recourbée en forme de crochets.

    Ce style s'affirme avec la construction de l'abbatiale de Saint-Denis. Suger (v. 1081 – 1151) est nommé abbé de Saint-Denis en 1122 et décide vers 1137 de reconstruire l'abbaye bénédictine de Saint-Denis. Pour ce faire, il utilise pour la première fois de manière systématique tous les procédés architecturaux du gothique. Grâce à lui, le nouveau style s'exprime totalement. La basilique devient le modèle dont se sont inspirés les bâtisseurs des cathédrales de Chartres, de Senlis et de Meaux.

    La rapidité de la construction s'explique par la ferveur des fidèles qui y participent et l'habileté de Suger. Le chœur est consacré en 1144 en présence de Louis VII. On découvre alors une création architecturale originale.

    Principaux édifices : la basilique de Saint-Denis (1137 – 1144), les cathédrales de Bourges (1172 – 1235), Chartres (1194 – 1220), Laon (1150 – 1233), Noyon (1150 – 1220), Paris (1153 – 1250) et Sens (1130 – 1168).

    L'apogée (vers le milieu du 13ème siècle).

    Le style atteint sa pleine mesure grâce à l'emploi de l'arc brisé, plus résistant que l'arc en plein cintre. Son usage se généralise, ce qui permet d'accroître considérablement la hauteur des murs et d'alléger l'allure de l'ensemble. Les verticales jaillissent du sol et montent vers le ciel, toujours plus haut, plus près de Dieu. Malgré ce goût pour la démesure, la recherche de l'harmonie est constante : la succession régulière des piliers et des arcs produit une impression d'équilibre et de régularité.

    Les voûtes deviennent rectangulaires ou barlongues, le plus souvent à quatre quartiers. Ceci permet de répartir le poids de manière homogène sur des piliers cantonnés (piliers à fût central cerné de quatre colonnettes engagées).

    Les murs s'évident considérablement pour laisser place à de grandes fenêtres. Les ouvertures l'emportent sur les pleins et la lumière inonde ces vastes édifices ornés de sculptures, de miniatures et de rosaces.

    Les tribunes, dont l'inconvénient principal était de diminuer la lumière, sont remplacées par des arcs-boutants. L'élévation à trois niveaux tend à se généraliser. Les chapiteaux sont ornés de bouquets de feuillage sculptés.

    Il est difficile aujourd'hui d'imaginer les conditions dans lesquelles travaillaient les hommes qui lançaient à près de cent cinquante mètres de hauteur les flèches de leur cathédrale. Ils n'avaient aucun moyen de calcul préalable et se basaient sur des méthodes empiriques dictées par l'expérience acquise sur des édifices bien moins ambitieux. Ils se montrèrent parfois trop audacieux. Aussi les accidents n'étaient-ils pas rares sur les chantiers des cathédrales : ainsi, en 1267 la tour de la cathédrale de Sens s'écroule ; en 1272 la flèche de Sainte-Bénigne de Dijon ; en 1284 la voute du chœur de la cathédrale de Beauvais et en 1573 la flèche récemment édifiée. En Angleterre, au 14ème siècle, la cathédrale d'Hereford s'effondre. En Allemagne, en 1492, quatre ans après sa construction, la tour de la cathédrale d'Ulm penche dangereusement.

    Principaux édifices :

    Les cathédrales d'Amiens (1220 – 1270), Bourges (1172 – 1235), Beauvais (1225 – 1270), Reims (1211 – 1287) et la Sainte-Chapelle (1245 – 1248).

    Le gothique flamboyant (15ème et 16ème siècles).

    A la fin du 13ème siècle, les efforts se concentrent sur le renouvellement du décor. Le dernier aspect de l'architecture gothique est donc moins marqué par une évolution de structure que par l'ajout, voire la surcharge, d'ornements. Certains plans sont même simplifiés. Les décors et les frises à base de motifs de flammes ou de torsades deviennent exubérants.

    Principaux édifices : Saint-Vulfran à Abbeville, Saint-Jacques à Dieppe, Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, Saint-Maclou à Rouen.

    Du style roman au style gothique

    Aux alentours de l'an mil, « un blanc manteau d'églises » couvre l'Occident. Essentiellement religieux, l'art roman se caractérise par l'utilisation de la voûte en berceau. Ces voûtes de pierre éprouvent la résistance des murs qui, pour supporter un tel poids, doivent être épais et renforcés. Pour ne pas les fragiliser, on évite de percer des fenêtres. Les églises romanes sont donc des bâtiments trapus et sombres. Leur plan dessine généralement une croix latine et la décoration est concentrée sur les chapiteaux, le porche et le tympan.

    L'art gothique se substitue peu à peu à l'art roman pendant la seconde moitié du 12ème siècle dans les villes de l’Ile-de-france. Il se définit par l'utilisation systématique de la voûte sur croisée d’ogives, d’arcs-boutants et de fenêtres en arc brisé. Empruntant des procédés du style roman, l'architecture gothique recourt aussi à de nouvelles techniques : la croisée d'ogives dirige les poussées de la voûte sur des piliers, et non plus sur des murs ; les arcs-boutants servent de soutien extérieur aux piliers, ils s'appuient sur des contreforts ; entre les piliers, les murs qui ne soutiennent plus la voûte sont percés de hautes et larges fenêtres en forme d'arc brisé.

    Le gothique s'exprime en premier lieu dans les édifices religieux. Il se trouve également dans la construction d'édifices civils ou militaires, comme des palais (palais de Saint-Louis à Paris, palais de justice de Rouen), des châteaux forts (Falaise, Angers, Pierrefonds, château des ducs de Bourgogne à Dijon), des hôpitaux, des halles, des hôtels de ville, des beffrois, des maisons (maison Jacques-Cœur à Bourges, résidence des abbés de Cluny) ou des enceintes fortifiées (Carcassonne, Saint-Malo, Aigues-Mortes).

    Très vite, les évêques, les architectes ont voulu construire selon « l'art de France » et édifier la nouvelle maison de Dieu. Le temps des cathédrales sera le siècle de l'édification.

    Quand on constate que, pendant deux cent cinquante ans de la fin du 13ème siècle au début du 16ème siècle, époque où l’on a construit les transepts de Sens, Senlis et Beauvais, les bâtisseurs n’ont fait faire aucun progrès à la technique de la construction, on peut s’en étonner. Le gothique flamboyant n’est qu’une décoration superficielle appliquée sur une ossature technique mise au point du 11ème au 13ème siècle. Pendant deux cent cinquante années suivantes, on s’est contenté de copier les prédécesseurs.

    C’est pourquoi on peut affirmer qu’il n’y a pas de bâtisseurs de cathédrales romanes ou de bâtisseurs de cathédrales gothiques, pas plus qu’il n’y a de chantiers romans ou de chantiers gothiques : il y a seulement des bâtisseurs qui créent et d’autres qui copient servilement les techniques anciennes.

    L’arrêt du développement architectural à la fin du 13ème siècle est un phénomène lié à toute l’histoire médiévale : religieuse, technique, économique, sociale et psychologique.

    La séparation – arbitraire – du roman et du gothique, au milieu du 12ème siècle ne correspond à aucun tournant particulier de l’histoire médiévale, alors que la deuxième moitié du 13ème siècle est une époque marquante dans l’histoire du Moyen Age.

    L’expansion de la chrétienté et l’histoire des bâtisseurs sont liées au développement des ordres monastiques.

    En organisant le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle pour entraîner les pèlerins en Espagne et ainsi intéresser l’Europe à la reconquête chrétienne de l’Espagne occupée par les Maures, Cluny va encourager la construction ou l’agrandissement de vastes basiliques sur le passage de cet important pèlerinage.

    C’est dans la foi médiévale qu’il faut chercher le véritable point de départ de cette « croisade des cathédrales ». Les circonstances étaient particulièrement favorables à l’épanouissement des manifestations architecturales de piété. Mais il va de soi que, si le Moyen Age n’avait pas d’abord été un âge pieux, le génie des bâtisseurs et l’argent des marchands se seraient employés autrement et nous n’aurions ni Chartres, ni Amiens, ni Strasbourg…

    L’histoire de la construction des cathédrales et des bâtisseurs est aussi liée étroitement à la renaissance des villes et du commerce, à la naissance de la bourgeoisie et aux premières libertés urbaines.

    Dans la plupart des religions antiques, le peuple n’avait pas accès au sanctuaire, à la maison de Dieu.

    Au contraire, l’Eglise chrétienne a demandé aux fidèles de participer aux frais de construction d’édifices assez vastes pour que la foule puisse avoir accès au sanctuaire.

    On construirait désormais la maison de Dieu à l’image de la Jérusalem Céleste et cette maison de Dieu devait être chose admirable : elle devint la maison des adorateurs et la maison du peuple.

    La législation ecclésiastique confirme la différence entre le sanctuaire et le reste de la surface de la cathédrale. Au Moyen Age, Notre Dame de Paris appartenait, non pas à l’évêque, mais au chapitre. La juridiction du chapitre s’arrêtait au sanctuaire, celui-ci ne pouvant appartenir qu’à l’évêque. La nef et les bas-côtés furent plus particulièrement réservés aux adorateurs, au peuple.

    Cette distinction est nécessaire pour que notre esprit du 20ème siècle ne soit pas choqué par l’animation et les activités qui pouvaient se dérouler autrefois à l’intérieur des églises : on y dormait, on y mangeait, on pouvait y parler sans avoir besoin de chuchoter. On pouvait y introduire des animaux tels que des chiens ou des éperviers. On y circulait beaucoup plus librement qu’aujourd’hui d’ailleurs, car il n’y avait pas de chaises. On s’y retrouvait pour discuter d’affaires qui, souvent, n’avaient rien de religieux. C’est là aussi que les représentants de la commune se retrouvaient pour parler des affaires de la cité. Les historiens ont remarqué que, dans certaines villes où furent fondées des communes et où se sont élevé de grandes cathédrales, les bourgeois n’ont pas construit d’hôtel de ville.

    Il existe même un texte ecclésiastique interdisant à une certaine commune de se servir de la cathédrale comme salle de réunion. Cette interdiction prouve que c’était là un fait courant, une tolérance généralement admise par l’Eglise. On peut supposer que les représentants de la commune ont aidé à financer la cathédrale avec l’arrière-pensée d’y tenir leurs réunions.

    Ce sont les très nombreuses fêtes médiévales qui ont accru le contact des hommes avec Dieu et qui justifient la passion des hommes pour la reconstruction des églises.

    Qui sont ces bâtisseurs de cathédrales ?

    La prospérité du 12ème siècle fut avant tout celle des arts et spécialement de l'architecture. Les cathédrales furent l'œuvre majeure et le symbole du Moyen Age. Ces magnifiques édifices religieux étaient érigés à la gloire de Dieu en remerciement des grâces accordées au peuple. Les villes engageaient une véritable compétition pour édifier la plus célèbre et splendide cathédrale dont la flèche serait la plus élevée. Les cathédrales représentèrent les plus grands investissements de capital de cette époque, la construction nécessitant souvent plus d'un siècle et coûtant des fortunes.

    Le matériau de construction prédominant était la pierre, laquelle minimisait les risques d'incendie. L’acier a aussi été utilisé quelques fois, le fer étant trop souple pour pouvoir soutenir ces édifices d'une hauteur sans précédent.

    Les architectes ont développé de nouvelles solutions pour simplifier et consolider les structures : l'introduction de l'ogive et des arcs-boutants ou contreforts pour pouvoir répartir le poids du dôme sur les piliers de pierre massifs. Les nouvelles techniques de construction ont permis d'édifier d'immenses cathédrales lumineuses, de hautes fenêtres, souvent ornées de vitraux somptueux, et des flèches très élevées.

    Décorées de peintures, de sculptures et de vitraux en verre coloré, les cathédrales furent une grande source de fierté et de prestige pour les villes. Les pèlerins et les nouveaux pratiquants furent la source de revenus substantiels pour les villes qui possédaient des cathédrales.

    Beaux grands monuments de l'architecture chrétienne, de grandes cathédrales ont été bâties dans les villes ou l'évêque résidait. L'évêque est le chef de l'église pour un diocèse. C'est lui qui paie les dépenses. C'est lui aussi qui choisit l'architecte pour faire les plans de la cathédrale, pour diriger et engager les maîtres artisans.

    Les habitants, eux aussi, donnaient de l'argent pour la construction qui durait des dizaines d'années. Quand les travaux étaient arrêtés, c'était parce que l'argent et les pierres venaient à manquer !

    Parmi les artisans, il y avait le maître carrier, le maître tailleur de pierre, le maître sculpteur, le maître gâcheur, le maître maçon, le maître charpentier, le maître forgeron, le maître couvreur et le maître verrier. Chaque artisan réclamait des outils appropriés : le rustique, un marteau, un ciseau grain d'orge, un gabarit, un levier, une règle graduée, une équerre, un compas à pointes sèches, un vilebrequin, une scie à araser, une masse et des coins, un rabot, un perçoir et une herminette.

    Chaque habitant de la cité aidait à construire la cathédrale, assez grande pour accueillir tous les citadins. Sur chemin de la ville, les pèlerins s'arrêtaient à la carrière pour aider à porter les pierres jusqu'au chantier.

    Quels sont les métiers spécifiques de la construction des cathédrales ?

    Pour évoquer les bâtisseurs de cathédrales, nous évoquerons successivement :

    • les chanoines bâtisseurs et les origines du chapitre ;
    • le travail de la pierre : les carriers, les mortelliers et les tailleurs de pierre ;
    • les plâtriers et les maçons;
    • les francs-maçons et les sculpteurs;
    • l’architecte et les moines constructeurs;
    • les ingénieurs et les techniciens;
    • les sculpteurs et les verriers.

    Mais tout d’abord, quelques considérations générales. Le tailleur de pierre travaille sur place. L'amélioration de la qualité des métaux a rendu le travail du forgeron de plus en plus important. Le maçon travaille à l'édification. A la fin du Moyen Age, il intervient même dans la construction : l'architecture prévoit des bardages de fer pour solidifier ses dentelles de pierre. Le maître d'œuvre est responsable de la conception générale.

    Les grands maîtres d'œuvre du gothique sont Jean de Chelles, Pierre de Montreuil, l'un des bâtisseurs de Notre-Dame de Paris, Robert de Coucy, Peter Palet, Hugues Libergié, Alexandre et Colin de Berneval. Ce sont des artistes, des savants et des spécialistes des questions techniques. Ils sont capables de défier les forces et les poussées, de les contrôler pour élever toujours plus haut des édifices à la gloire de Dieu. Ils offrent le spectacle de constructions extraordinaires éblouissant leurs contemporains.

    A l'intérieur même de la cathédrale, le labyrinthe est parfois le moyen de connaître le nom des maîtres d'œuvre. Une gravure qui représente le labyrinthe de la cathédrale de Reims aujourd'hui disparu en figure quatre : Jean d'Orbais, qui édifie le chœur en 1211, est représenté en haut à droite ; Jean le Loup, qui l'achève et entreprend la façade, est représenté en haut à gauche, tenant une équerre ; Gaucher de Reims et Bernard de Soissons, qui édifie la grande rose de la façade ouest, sont représentés en bas.

    Au Moyen Age, on ne fait pas de distinction dans la désignation des fonctions entre tailleur de pierre et sculpteur. Le premier taille ; le second sculpte la pierre qui est posée par le maçon. Le maçon désigne celui qui met la pierre en place et la « cimente ».

    Après la pierre vient le bois. Au Moyen Age, le bois reste un matériau très important dans la construction.

    L'étude des nombreux chefs-d'œuvre du Moyen Age nous révèle que les architectes étaient de très grands géomètres et qu'ils pratiquaient l'art des proportions avec une grande maîtrise.

    Pour les voûtes, il était nécessaire que le charpentier construise d'abord la forme sur laquelle le maçon viendrait poser les pierres.

    Le charpentier construit, bien sûr, les charpentes mais aussi parfois certaines voûtes, les coffrages avant la pose des pierres, les échafaudages, tous les engins de levage et certains moyens de transport. Il donne à la pierre sa forme. A partir du 13ème siècle sa fonction devient semblable à celle de l'architecte aujourd'hui. Il utilise des échafaudages légers, fixés au bâtiment au fur et à mesure que les murs montent. Il s'occupe de la fabrication et de l'entretien des outils, des roues ferrées des chariots de transports. Les grands chantiers nécessitent une importante quantité de bois.

    Les chanoines bâtisseurs

    La construction d’une cathédrale ne peut se comprendre si l’on ignore le rôle de premier plan accompli par le chapitre. La légende nous a instruits sur l’action de l’évêque dans l’élaboration des plans et dans le financement de la grande entreprise, action que nous ne pouvons nier ; de nombreuses cathédrales ont en effet une dette de reconnaissance envers certains de leurs évêques.

    L’évêque, c’est une étoile qui brille et puis disparaît de la scène. Pourtant les travaux de la cathédrale se poursuivent d’une génération à l’autre grâce au chapitre. Le terme « chapitre » n’a plus le même sens aujourd’hui qu’au Moyen Age. Depuis la révolution, le chapitre a un rôle moins actif qu’honorifique. A l’époque médiévale c’était une assemblée composée de chanoines qui jouissait de grands privilèges et qui échappait souvent à la juridiction épiscopale. C’est seulement au 16ème siècle que furent précisés, par le Concile de Trente, ses rapports avec les évêques.

    C’est aux chanoines que l’on doit accorder le glorieux titre de bâtisseurs de cathédrales. Il faut leur rendre cet hommage et les faire sortir de l’obscurité. Ce sont eux qui ont érigé de main de maître la croisade des cathédrales et qui ont poursuivi les travaux à travers les siècles, alors que l'enthousiasme collectif avait depuis longtemps cessé.

    Quelle est donc l’origine historique du chapitre et comment cette assemblée a-t-elle pu prendre une telle place dans la direction temporelle de l’Eglise ?

    Les origines du chapitre

    Dans le haut Moyen Age, l’évêque avait autour de lui un corps de prêtres qui l‘aidaient à administrer son diocèse et à dire les messes dans les paroisses. Ces prêtres, ou chanoines, devaient en quelque sorte constituer pour l’évêque un conseil privé. Ils furent astreints à une certaine vie communautaire. Ils devaient dormir en dortoir, avoir un réfectoire commun et célébrer en commun leurs offices.

    Après l’annulation de leur vœu de pauvreté, les chanoines furent autorisés à avoir un droit viager sur leurs biens immeubles et à disposer de leurs biens meubles par testament. Cette décision amènera peu à peu les chanoines à s’écarter de la vie communautaire, à retourner à une vie plus séculière et plus individualiste.

    Dès la première moitié du 10ème siècle, plusieurs chapitres de cathédrales obtinrent la séparation de leurs revenus d’avec ceux des évêques. L’indépendance du chapitre ira désormais en s’accroissant.

    Le chapitre disposa dès lors d’un fonds commun et à chaque canonicat fut attachée une prébende, c’est-à-dire un revenu ecclésiastique plus ou moins important. La prébende n’obligeait pas toujours le chanoine à résider dans la ville cathédrale et, même, certains chanoines purent disposer de plusieurs prébendes situées dans des diocèses différents. Il y eut des chanoines résidents et des chanoines non-résidents.

    L’établissement d’un doyen à la tête du chapitre conduisait à augmenter l’indépendance du chapitre vis-à-vis de l’évêque.

    Le chapitre comprenait un certain nombre de dignitaires : un chancelier qui faisait fonction de secrétaire et qui était responsable des sceaux, un trésorier chargé du trésor et des reliques, un chantre qui était le maître du chœur présidait au chant et était chargé de l’organisation des services religieux. Les chanoines avaient préséance sur les abbés mitrés et crossés. Avec l’extension des villes et l’accroissement de la population, on augmenta le nombre des chanoines. Le développement du commerce et la mise en valeur de l’agriculture accrurent la valeur des prébendes et, par contrecoup, la puissance du chapitre.

    Peu à peu les chanoines augmentèrent leurs droits et leurs privilèges et devinrent jaloux de leur autorité et même anxieux de limiter le pouvoir de l’évêque.

    Dans toutes les cathédrales, c’est le chapitre qui contrôlait la fabrique. Au Moyen Age, on entendait par fabrique tout ce qui se rapportait à la construction ou à l’entretien d’un monument, aussi bien dans son exécution matérielle que dans l’acquisition et l’administration des ressources financières qui lui étaient affectées.

    Les constructeurs gothiques étaient confrontés quotidiennement aux difficultés d'approvisionnement et de transport des matériaux nécessaires au chantier, que ce fût le bois, la pierre, la chaux, le fer ou le parchemin. Économiser les matériaux utilisés était par conséquent au centre des préoccupations des constructeurs et conditionnait, directement ou indirectement, leurs choix techniques.

    L’évêque ne parait jamais avoir été tenu en rien à contribuer aux charges de la fabrique et, chaque fois qu’il l’a fait, c’est de son plein gré et à titre exceptionnel. Dans l’élaboration des plans, dans l’exécution des travaux, le chapitre avait un rôle assez comparable à celui d’un actuel directeur à la reconstruction et à l’urbanisme.

    Les chanoines se réunissaient en principe chaque année pour désigner un proviseur, personnage dont le rôle consistait à tenir les comptes de la fabrique ou de l’œuvre et à diriger le chantier. Le proviseur pouvait être un chanoine ou un clerc ou, plus exceptionnellement, un agent laïc responsable devant le chapitre. On le choisissait pour ses connaissances en architecture ou ses capacités d’homme d’affaires.

    Le travail de la pierre

    Dans la hiérarchie des bâtisseurs de cathédrales, le manœuvre est évidemment au bas de l’échelle mais, tant que dure la période ascendante du Moyen Age, toutes les possibilités lui sont ouvertes pour s’élever.

    Par son travail et son intelligence, il peut devenir un ouvrier spécialisé, il peut amasser un peu d’argent et s’installer à son compte comme entrepreneur ou étudier pour devenir capable de remplir les fonctions d’architecte. La société médiévale a en effet permis aux plus humbles d’accéder à de hautes fonctions. L’avenir est à l’ambitieux. L’évolution du monde ouvrier médiéval présente une certaine analogie avec celle du monde ouvrier américain. Toutes proportions gardées, le manœuvre médiéval pouvait devenir un self-made man, acquérir une situation estimée dans la ville.

    Le milieu de recrutement des manœuvres doit être recherché dans la « classe » des déracinés qui étaient souvent des serfs fuyant leurs seigneurs et venant chercher refuge dans les villes éloignées de leurs terres natales. S’ils n’étaient pas réclamés par leurs maitres au bout d’un an et d’un jour, ils devenaient libres et citoyens de la ville.

    Les manœuvres se recrutaient aussi, probablement, chez les fils de paysans, enfants de familles nombreuses qui partaient chercher à la ville l’aventure et la liberté. Les uns et les autres pouvaient se faire embaucher immédiatement sur un des nombreux chantiers de la ville. La main-d’œuvre des chantiers a été une main-d’œuvre libre.

    Le travail demandé aux manœuvres est varié : ils aident les charpentiers à transporter le merrain (planche obtenue en débitant un billot de bois dans le sens des rayons médullaires, et servant à confectionner les douves des tonneaux) ; ils creusent pour ouvrir une carrière ; ils montent les tuiles en haut de l’église ; ils creusent des fondations. Sur les chantiers, ils transportent les différents matériaux dans des hottes.

    Les conditions de vie des manœuvres devaient être assez dures : le salaire n’était pas très élevé et, surtout, le travail était irrégulier.

    Les ouvriers spécialisés, les professionnels s’attachaient un certain nombre de manœuvres pour les aider dans leur tâche ; on les appelait aides, serviteurs, compagnons ou valets.

    Tandis que les tailleurs de pierres s’adjoignaient des manœuvres qui leur apportaient des pierres et les aidaient dans leur travail, d’autres manœuvres préparaient le mortier ou ciment et le plâtre pour les maçons. Certains des manœuvres se sont spécialisés dans cette fabrication du mortier et du plâtre : on les a appelés mortelliers ou cimentiers et plâtriers.

    Les maîtres des métiers, au milieu du 13ème siècle, se sont préoccupés des qualités morales et professionnelles des manœuvres qui pouvaient ainsi accéder à une relative spécialisation.

    Les carriers, les mortelliers, fabricants de mortiers en pierre, les tailleurs de pierre font partie d’une branche de la famille des ouvriers de la pierre. Les plâtriers, les mortelliers gâcheurs de ciment et les maçons font partie de l’autre branche.

    Le maçon est avant tout un poseur de pierres. Le terme anglais exprime cette action de poser ou de sceller les pierres. On dit un « setter » ou un « layer ». Les mots anglais qui désignent les ouvriers des différentes spécialités sont très intéressants car ils nous révèlent l’origine du mot « franc-maçon » et par suite nous permettent de comprendre comment a pu naitre et se développer la franc-maçonnerie « opérative » qui a précédé l’actuelle franc-maçonnerie « spéculative ».

    Certains des maçons les plus habiles dans la taille de la pierre étaient engagés dans l’atelier, ou loge, au pied de l’édifice ; d’autres travaillaient dans les carrières.

    Le maçon bénéficiait de certains avantages ; le proviseur lui fournissait des gants pour qu’il puisse protéger ses mains contre les brulures de la chaux. Il recevait certaines gratifications à la fin d’un travail ou lors de la pose d’une clef de voute.

    Chaque tailleur de pierre devait posséder un signe distinctif, une marque qu’il devait graver sur l’une quelconque des faces de la pierre taillée, lorsqu’il était embauché à la tâche, pour permettre au chef du chantier de vérifier la qualité de son travail en fin de semaine et de dénombrer le nombre de pierres équarries pour le payer en conséquence.

    La variété des marques des tâcherons est grande. Ce sont des figures géométriques telles que des triangles ou des pentagones, des instruments de travail comme la pioche ou le marteau, des croix, des caractères de l’alphabet représentant peut-être la première lettre du nom de l’ouvrier. Parfois transmises de père en fils, ces marques de tâcherons ont fini par devenir en quelque sorte des signatures.

    On peut découvrir de nombreuses marques de tâcherons dans les monastères, ce qui permet de mesurer l’apport des ouvriers de l’extérieur dans la construction des abbayes. On en a trouvé à  Sylvacane, à Sénanque, à Montmajour, à Fontenay…

    Beaucoup de ces signes sont gravés sur la face engagée de la pierre et on ne les découvre que lorsque l’on détruit les murs. Les signes gravés à l’intérieur des églises sur les parements n’étaient pas visibles à l’époque car on sait que les murs étaient recouverts de peintures. Le maçon qui scellait les pierres n’avait pas à tenir compte de ces marques de tâcherons et nous les trouvons parfois à l’envers sur les parements.

    Il ne faut pas confondre ces marques de tâcherons et de carriers avec les marques de positions. Lorsqu’on devait procéder à un assemblage un peu compliqué de pierres, l’appareilleur donnait des instructions précises aux tailleurs de pierre, afin que ces derniers gravent de telle ou telle manière les différents blocs de l’assemblage prévu. Ainsi les maçons pouvaient-ils, le moment venu, placer correctement les pierres les unes par rapport aux autres avant de les sceller.

    Francs-maçons et sculpteurs

    Qu’ils fussent payés à la tâche ou à la semaine, la vie des tailleurs de pierre se déroulait dans la loge ou aux alentours de celle-ci. La loge était construite en planches.

    Le matin, les tailleurs de pierre allaient y chercher leurs outils ; à l’heure du déjeuner ils y prenaient leur repas et, lors des grandes chaleurs, ils y faisaient la sieste. Il y avait une ou plusieurs loges sur les chantiers. Elles sont représentées dans les enluminures, au pied de l’édifice en construction.

    Non seulement des loges permettaient aux ouvriers d’y prendre leur repas et de s’y reposer mais elles permettaient aux tailleurs de pierre d’œuvrer lorsqu’il faisait mauvais temps. L’importance des loges était d’ailleurs grande, surtout l’hiver ; les tailleurs de pierre pouvaient à l’abri des intempéries préparer le travail pour les maçons, qui, eux, ne revenaient sur le chantier qu’avec le retour des beaux jours.

    On ne passait pas la nuit dans la loge. Dans les villes cathédrales, les ouvriers pouvaient loger chez le tavernier ou chez l’habitant.

    Les loges devinrent, en même temps qu’un lieu de travail et de repos, un lieu où l’on discutait des problèmes intéressant le métier. Ce furent un peu des clubs et c’est là l’origine lointaine des loges maçonniques contemporaines.

    Les tailleurs de pierre et les maçons font partie d’une main-d’œuvre essentiellement flottante : de multiples motifs les ont poussés à se déplacer de chantier en chantier, de pays en pays. Les jeunes ont eu l’ambition de contempler de nouveaux horizons, de connaitre des mœurs et des techniques différentes. Émerveillés par leur époque, ils ont voulu voir ces monuments d’une audace incroyable, qui s’élevaient un peu partout sur la terre chrétienne.

    Les expressions latines qui désignent au Moyen Age les ouvriers qui taillent la pierre, ne permettent généralement pas de distinguer ceux qui taillent simplement des carreaux de ceux qui taillent les voûtes d’ogives, les roses et les sculptures monumentales des porches. Les sculpteurs se confondent donc dans la masse des tailleurs de pierre.

    Les termes qui désignent en Angleterre les tailleurs de pierre permettent néanmoins d’établir une certaine distinction entre les ouvriers travaillant le gros œuvre et ceux qui exécutent des travaux plus délicats. Cette distinction est fondée sur la qualité de la pierre travaillée. Ceux qui, par exemple, œuvraient une pierre particulièrement dure, se nommaient des hard hewers, des tailleurs de pierre dure ; ils s’opposaient, par conséquent, aux « freestone masons » qui taillaient une excellente pierre calcaire susceptible de se prêter au travail délicat des sculptures.

    Les freestone masons s’opposent également aux « rough masons » qui travaillent la pierre grossièrement. L’expression freestone mason fut remplacée peu à peu par celle, simplifiée, de freemason. Le mot freemason se rapporte évidemment à la qualité de la pierre, et non pas à une quelconque franchise dont auraient bénéficié les bâtisseurs des cathédrales. Lorsque la franc-maçonnerie spéculative fut introduite d’Angleterre en France vers 1725, on traduisit tout naturellement freemason par franc-maçon, expression que le Moyen Age n’avait jamais connue.

    Les fréquents voyages des tailleurs de pierre à travers le pays les ont mis à même de juger les pierres de nombreuses carrières. Certains ont obtenu de travailler avec la pierre qui convenait le mieux à leur tempérament propre, d’autres ont su faire commander les pierres de telle carrière pour tel travail difficile. Les sculpteurs ont eu réellement l’amour du matériau de qualité. Quand on sait le prix élevé du transport à cette époque, on ne peut qu’admirer la compréhension intelligente de ceux qui ont assumé les frais de ces couteaux transports.

    La sculpture et le vitrail, nouvelles techniques d’expression

    Aux 10ème et 11ème siècles, les théologiens ont exprimé la pensée médiévale dans la fresque, l’orfèvrerie et la miniature qui furent les grandes techniques d’expressions de cette époque, et non pas dans la sculpture.

    Dans le courant du 11ème siècle, lorsque les tailleurs de pierre, grâce à une plus grande connaissance de leur métier, commencèrent à sculpter de petites scènes imagées, ils purent sans doute le faire librement et sans surveillance.

    A la fin du 11ème siècle, leurs efforts et leurs incessants progrès attirèrent l’attention des moines sur cette nouvelle technique inconnue jusqu’alors du monde chrétien occidental. Les moines prirent des contacts personnels avec ces ouvriers et leur donnèrent des thèmes à exécuter. Les moines soumirent aux tailleurs de pierre pour qu’ils s’en inspirent les scènes de certaines miniatures des manuscrits. La sculpture monumentale prit alors une extension rapide et devint, dès le 12ème siècle, une grande technique d’expression.

    A partir du milieu du siècle, le vitrail prit à son tour une importance considérable, au détriment de la fresque qui n'avait plus de murs pour se loger à l'aise ; la fresque devint au 13ème siècle une technique d’expression dépassée.

    En devenant sculpteur, le tailleur de pierre a accédé au monde de l’esprit ; il a  approché les théologiens et s’est instruit à leur contact ; il a eu la chance magnifique de feuilleter les précieux manuscrits des abbayes. Il a appris à regarder, à observer, à penser.

    Son horizon intellectuel s’est élargi, ce qui lui a permis de participer non seulement matériellement mais spirituellement à l’œuvre sculptée. Grâce aux miniatures des manuscrits feuilletés et admirés dans d’autres abbayes, le sculpteur a pu humblement suggérer de légères variations aux thèmes proposés par les Pères. Le sculpteur et le théologien ayant œuvré dans le même sens, le sculpteur pouvait se considérer comme libre car dans cette association il ne subsistait aucune contrainte.

    Le sculpteur a souvent œuvré un bloc de pierre déjà scellé dans l’édifice. Les sculptures font ainsi parfaitement corps avec le bâtiment. Les statues-colonnes du 12ème siècle, comme celles du Porche Royal de Chartres, montrent cette étroite collaboration du sculpteur et de l’architecte. Mais cette magnifique harmonie n’a duré malheureusement qu’un temps.

    Le sculpteur, perdant peut-être un peu de son humilité première, a voulu rendre son œuvre indépendante et a détaché sa sculpture de la colonne. Dorénavant, il œuvre son bloc de pierre à l’écart de l’édifice, dans la loge. Grisé par son indépendance et son extraordinaire réussite dans l’ordre spirituel et matériel, il ne songe plus qu’à mettre des sculptures partout. Il veut en couvrir les églises, il les étouffe !

    Après avoir rompu avec l’architecte, le sculpteur rompt avec le théologien. La période ascendante de la chrétienté est terminée. L’indépendance du sculpteur vis-à-vis de la tradition, chose impensable un siècle plus tôt, coïncide avec une diminution de l’intensité de la foi.  Les riches et les puissants se font à présent construire des hôtels particuliers et des chapelles personnelles. L’activité des grands chantiers s’en ressent. Les plus habiles des sculpteurs, des bâtisseurs de cathédrales, sont attirés et engagés pour orner les hôtels et les chapelles des grands de la terre.

    Les  architectes

    L’architecte, au Moyen Age, est celui qui conçoit les plans et établit les devis. Ce travail de création était exécuté dans la « chambre aux traits » qui devait être une pièce réservée à l’architecte et à ses aides.

    Pendant toute la période de la croisade des cathédrales, les architectes ne semblent pas avoir construit de modèles en bois ou en plâtre. Ce procédé antique de représentation des édifices parait avoir survécu un certain temps dans le haut Moyen Age puis a disparu pendant plusieurs siècles pour ne réapparaître qu’à la Renaissance.

    Nous sommes malheureusement très pauvres en plans pour la période ascendante du Moyen Age. Le carnet de notes de Villard de Honnecourt comprend des élévations mais ce sont plutôt des dessins exécutés pour inspirer des travaux ultérieurs que des plans de travail.

    L’absence de documents aussi fondamentaux peut s’expliquer par le fait qu’on n’avait aucune raison particulière de conserver les plans d’édifices construits.

    L’architecte, le « maître principal », recevait un salaire plus considérable que les autres. Il est en effet normal que des hommes capables de diriger un chantier, de dresser des plans et d’établir des devis aient une situation sociale et financière supérieure à celle des maçons et des tailleurs de pierre.

    Les chapitres se sont trouvés dans la position de demandeurs face à ces hommes d’exception qui réunissaient en eux tant de qualités morales et tant de connaissances techniques.

    Le nombre d’hommes pouvant réunir ces qualités et ces connaissances était tout de même assez limité. Aussi les architectes ont évidemment profité de la position privilégiée où ils se trouvaient pour fixer leurs conditions d’embauche.

    Les moines constructeurs

    L’histoire de la construction des monastères est, par certains côtés, assez différente de celle des cathédrales, notamment en ce qui concerne la direction du chantier, la main-d’œuvre et le choix des plans.

    Dans les monastères, il n’y a jamais eu d’écoles de tailleurs de pierres ou d’architectes qui auraient permis aux moines d’en assurer la construction sans aide extérieure.

    L’histoire de la construction des monastères demande que l’on distingue en effet dans ce domaine : d’un côté les Bénédictins, de l’autre les Cisterciens et que, dans les monastères cisterciens, l’on distingue l’activité des moines de celle des frères convers.

    Pour comprendre ces différences, il faut remonter aux sources et relire la Règle de saint Benoît.  La mission du moine est de consacrer sa vie à Dieu par la méditation, la prière et les offices. La Règle organise sa vie pour l’œuvre de Dieu. Le travail manuel n’est encouragé que dans la mesure où il contribue à cette œuvre. L’esprit de la Règle ne prévoit pas le dur travail du carrier, du tailleur de pierres ou du sculpteur.

    C’est ainsi que l’idée d’une main-d’œuvre religieuse fut codifiée par Cîteaux en 1119 : les us et coutumes des frères convers furent publiés. Dorénavant, deux catégories de religieux se côtoient : les moines qui peuvent se consacrer entièrement à la vie spirituelle ou intellectuelle, et les frères convers, à qui sont confiées les tâches matérielles. Grâce à ces frères convers, la part prise par les Cisterciens à la construction de leurs monastères a été réelle mais la présence de signes de tailleurs de pierres dans les édifices cisterciens prouve que les moines durent cependant faire appel à des constructeurs venus de l’extérieur.

    Ingénieurs et techniciens

    L’histoire des techniques nous prouve que les bâtisseurs des cathédrales ont activement participé à la première révolution industrielle de l’Europe.

    Les trois principales ressources d’énergie exploitées pendant la période ascendante du Moyen Age furent : l’énergie hydraulique, l’énergie éolienne et l’énergie du cheval.

    Sans énergie hydraulique, la vie du Moyen Age aurait été impensable. C’est au 10ème siècle que se multiplient de façon considérable les moulins à eau étant donné le réseau dense de fleuves et de torrents à débit annuel régulier.

    A partir du 12ème siècle on construisit d’innombrables moulins à vent pour profiter de l’inépuisable énergie éolienne. Le cheval fut, pour le Moyen Age, une source d’énergie considérable. Les chantiers des cathédrales en profitèrent directement. Pour la première fois dans l’histoire du monde, le cheval fut employé au maximum de sa puissance.

    Les bâtisseurs de cathédrales, travaillant dans une société où l’on admettait le progrès, purent innover, et la cathédrale de la fin du 13ème siècle fut le résultat de centaines innovations et de perfectionnements plus ou moins importants dus à l’esprit de recherche des constructeurs.

    La plupart des métiers ont progressé ensemble, et souvent les progrès des uns ont aidé les progrès des autres. Exemple le plus marquant, les progrès des forgerons ont aidé les architectes, les sculpteurs et les tailleurs de pierres.

    Il est permis de qualifier ces forgerons de bâtisseurs de cathédrales car ils ont fabriqué des outils en acier plus résistants et nécessitant moins de réaffutages.  Ces forgerons ont forgé des outils, des louves, des clous de tous types, des fers à cheval, des tirants… Ces outils ont permis de tailler des pierres plus dures. Les sculpteurs ont pu soumettre la pierre à un travail plus délicat. L’emploi d’une pierre plus dure a amené les architectes à concevoir des colonnes d’un diamètre plus petit et des murs moins épais.

    Si les charpentiers ont dû s’adapter directement à l’évolution des voûtes, les couvreurs ont dû s’adapter à l’évolution des charpentes. Suivant les régions, les églises ont été couvertes de tuiles, de plomb ou d’ardoises. A la fin du 12ème siècle, des ardoises solides et résistantes couvraient les édifices de l’Ouest et du Nord de la France.

    Pour protéger leurs édifices contre la pluie, les architectes ont conçu un réseau de petites rigoles. Ils ont inventé la gargouille pour rejeter l’eau loin des murs.

    Pour diminuer les risques d’incendie, les architectes ont été amenés à voter les églises en pierre. Pour voter les édifices, ils ont adopté les voûtes en berceaux brisés, les coupoles sur pendentifs ou sur trompes et les voûtes d’arêtes. Ils les ont perfectionnées pour couvrir des étendues de plus en plus grandes. Ils ont notamment eu l’idée de renforcer la voûte d’arêtes par des croisées d’ogives. La construction de ce type de voûte, qui s’est généralisé à partir du milieu du 12ème siècle, a profité à l’expérience des tailleurs de pierre, d’un meilleur choix de matériaux et de l’emploi d’un mortier plus solide.

    L’arc-boutant, invention révolutionnaire du 12ème siècle, permit de contrebuter efficacement les voûtes en croisées d’ogives, d’élever des vaisseaux de plus en plus hauts et de sauver de la ruine de nombreuses voûtes anciennes qui menaçaient de s’écrouler.

    En ouvrant dans les murs des fenêtres de plus en plus grandes pour éclairer l’intérieur des églises, les architectes ont hissé les verriers au premier rang des bâtisseurs de cathédrales.

    De toutes les techniques médiévales, c’est celle qui concerne la fabrication des vitraux que nous connaissons le mieux, grâce au moine Théophile, auteur d’un traité technique qui nous aide aussi à mieux comprendre l’esprit dans lequel ont œuvré les bâtisseurs de cathédrales.

    Car, si une certaine conception du progrès, un esprit fécond en invention, des conditions économiques et sociales particulièrement favorables étaient nécessaires pour permettre la construction des cathédrales, il fallait surtout que d’autres conditions, d’ordre spirituel celles-là, fussent également remplies.

    La basilique de Vézelay, les cathédrales d’Amiens, de Reims, de Paris, de Strasbourg et de Chartres, parmi tant d’autres, témoignent d’une sagesse inspirée autant que d’une science ingénieuse.

    Un art de « professionnels »

    Le bilan des bâtisseurs du gothique est impressionnant : des dizaines de cathédrales, des centaines d'églises ont été érigées. La construction d'une cathédrale rappelle la grande ferveur des bâtisseurs, leur enthousiasme et l'affirmation du pouvoir de l'Eglise au cœur de la ville. Des chantiers se sont ouverts en tous lieux et ont pu durer de nombreuses années. Ces chantiers ont vu la naissance d'une collaboration entre l'évêque, les chanoines et le maître d'œuvre. La construction était réservée à des techniciens compétents. Une hiérarchie stricte existait entre les métiers. Des sculpteurs, des tailleurs de pierre, des dessinateurs, des charpentiers, des menuisiers, des couvreurs, des maçons, des forgerons des verriers, des carriers... se sont retrouvés sur les chantiers. Le proviseur, choisi par le chapitre des chanoines pour diriger les travaux, acheter les matériaux et tenir les comptes, engageait sur le chantier des ouvriers hautement qualifiés.

    Le message des bâtisseurs de cathédrales

    Du temple à la cathédrale

    La cathédrale est bien la fille spirituelle du temple égyptien. De nombreux thèmes, apparaissant comme spécifiquement chrétiens, sont inexplicables sans la connaissance de la symbolique égyptienne. En effet, la symbolique égyptienne permet de mieux percevoir la signification de nombreux thèmes iconographiques ou littéraires du Moyen Age.

    Des auteurs médiévaux ont montré qu’ils avaient conscience de leur filiation. La fondation des premiers grands monastères occidentaux se fit sur le modèle égyptien, les moines de la terre des pharaons s’inspirant du fonctionnement des anciennes communautés de prêtres. Des pyramides aux cathédrales s’est manifestée la vérité d’une aventure vécue par des communautés de bâtisseurs, initiés par des rites et des symboles identiques quant au fond.

    Le Christ du Moyen Age des Maîtres d’Œuvre est un successeur des Rois-Dieux, dans leur fonction comme dans leur mission, malgré les distorsions historiques. La Vierge se situe dans le prolongement d’Isis, assurant la présence d’une symbolique féminine dans une religion catholique qui a tout essayé pour la rejeter mais n’a pas réussi à expulser l’immense figure de la déesse égyptienne qui, au moment de la formation du christianisme, régnait dans tout le bassin méditerranéen et dans une bonne partie de l’Europe.

    Cette base symbolique, d’une extraordinaire richesse, ne suffisait pas cependant à déclencher l’épopée des siècles d’or du Moyen Age. Il fallait aussi un certain état d’esprit qui ne dissociait pas l’art d’une certaine science de la vie.

    L’art sans la science n’est rien

    La science du Moyen Age, celle que pratiquèrent les Maîtres d’Œuvre, ne se veut pas théorique. Toute théorie est bavarde, gratuite ; seul compte un empirisme noble, où la main et l’esprit travaillent ensemble. L’intelligence est comprise comme l’art de rassembler ce qui est épars, non comme la faculté perverse d’analyse et de dissociation. Cette démarche s’appuie cependant sur un certain type de savoir. A cet égard, le 7ème siècle fut un moment de synthèse exceptionnel.

    Dans les monastères d’Irlande, dont le plus célèbre fut celui de Bangor, près de Belfast, on recueillait la symbolique moyen-orientale et l’on forgeait la culture qui allait bientôt nourrir les premiers bâtisseurs et les premiers imagiers.

    De la lecture des auteurs anciens à l’étude de l’astronomie, on travaillait d’arrache-pied à souder entre elles les perceptions intelligentes de l’univers connu.

    Pour l’homme de métier, l’art de vivre est l’art tout court. Tous les artisans ne sont pas à considérer comme des Maîtres de Sagesse. Parmi eux, il y a des exécutants, des hommes qui fuient des responsabilités, des techniciens qui ne sont attachés qu’à l’aspect quantitatif de leur pratique. Mais il ne faudrait pas réduire les communautés de bâtisseurs à un troupeau d’ignorants, d’illettrés, soumis aux ordres d’une église ou d’un pouvoir politique.

    Le maître d’œuvre accède à ses fonctions au terme d’une longue et exigeante initiation de métier où il apprend autant à connaître l’âme humaine que l’âme de la matière. Tel le peintre zen qui, d’un seul geste continu, crée le dessin parfait sur le papyrus immaculé, le maître d’œuvre qui trace l’épure de la cathédrale est en harmonie totale avec l’œuvre naissante. L’art du maître d’œuvre est simplement la bonne manière de faire chaque chose, la volonté de chef d’œuvre orientée vers l’action la plus humble. Cette conception de l’art montre qu’il n’est pas réservé à quelques artistes mais, au contraire, le bien le mieux partagé, celui qui nous apprend à régner sur notre propre existence. Aussi les médiévaux pouvaient-ils affirmer qu’une vie sans art est dépourvue de sens.

    La plus modeste des chapelles correctement construite comme la plus imposante des cathédrales sont érigées selon les règles de la divine proportion. Il en est de même pour le corps humain.

    C’est précisément cette géométrie sacrée que les Maîtres enseignaient aux compagnons au travers d’une science qu’on appelait « le trait » et que les compagnons d'aujourd’hui connaissent toujours. Les Cisterciens étudièrent de très près le Trait, cherchant à harmoniser non seulement l’espace architectural des églises mais aussi l’espace intérieur de l’homme.

    Le trait, la divine proportion, le nombre d’or sont autant d’éléments tangibles d’une pratique qui devient sagesse. Chaque édifice devient un corps vivant, le corps de l’homme initié devient support d’une sagesse vécue. Le nombre permet de découvrir l’identité profonde des éléments qui composent l’univers. Ainsi, quatre est le nombre de la terre, avec ses quatre orients ; cinq est le nombre de l’homme, né de l’étoile à cinq banches ; dix est le nombre de l’accomplissement, de la communauté qui retrouve l’unité.

    Si les cathédrales furent construites sur la base des nombres sacrés, c’est parce que seuls ces derniers donnent la clef des proportions qui en assurent l’extraordinaire stabilité que nous constatons encore aujourd’hui. C’est aussi parce que ces nombres traduisent géométriquement les principes de création, c’est enfin parce qu’ils enregistrent les harmonies secrètes qui font chanter la pierre.

    Capter le mystère

    Pour les anciens, extraire une statue de la pierre brute consistait à créer un réceptacle qui attire l’influx divin vers la terre. L’énergie cosmique descend dans la pierre sculptée, l’habite et se rend ainsi présente à l’homme dont les yeux sont ouverts.

    La science est un art et l’art est une science. Unis, art et science procurent à l’artisan le moyen de capter le mystère. L’art sacré, celui qui transmet le symbole, met en évidence le processus de création caché dans la nature. Cette orientation de la pensée des maîtres d’œuvre ne devait rien au hasard ; elle était fondée sur une découverte d’une importance considérable : l’univers est une parole divine.

    Notre mère, la cathédrale

    Toutes les cathédrales sont dédiées à Notre Dame. La cathédrale est le corps éternel, impérissable de Notre Dame. La cathédrale rend l’univers perceptible car elle l’organise selon le Verbe. Elle est un corps vivant de pierres qui parlent.

    Les maîtres apprenaient d’abord à connaître les lois d’harmonie. Par l’initiation, ils accédaient à l’état d’être nécessaire pour en prendre conscience. Ensuite, le métier appris au fil des années leur permettait de manifester dans la pierre ce qu’ils avaient perçu, de montrer à l’homme la voie à suivre.

    Aujourd’hui, nous suivons une démarche inverse. Lorsque nous sommes devant la cathédrale, lorsque nous pénétrons en elle, tout notre être est pris dans un réseau de sensations qui nous amène à nous poser des questions : qui sommes-nous donc, pour oser pénétrer en ces lieux, que cherchons-nous ici ? La beauté des Notre Dame de pierres ne doit pas rester une simple satisfaction esthétique. Elle provoque un choc nécessaire ; elle nous révèle notre propre noblesse.

    Bien sûr, il y a la perfection des courbes, des voûtes, l’enchantement des sculptures, la sérénité des murs, les jeux de lumière où le pèlerin trouve naturellement sa place. Ressentir tout cela ne constitue qu’une première étape.

    Naître, c’est mourir à Dieu. Mourir, c’est renaître en lui. Le temps de notre passage ici-bas n’est pas dépourvu de signification. Nous avons à collaborer à l’œuvre de l’Architecte des mondes, à la prolonger sur terre.

    Les cathédrales sont des boussoles, des bornes indicatrices, des repères dans la forêt des symboles.

    Le symbole de la cité céleste est bien antérieur à l’époque médiévale. A la Babylone terrestre correspondait une Babylone cosmique. En Egypte, les textes sacrés parlent souvent de la cité sainte.

    La cathédrale, dans ses sculptures et dans sa géométrie, contient l’alphabet nécessaire pour déchiffrer le livre qu’elle incarne.

    Les églises médiévales sont comparables à des broyeurs atomiques où sont concentrées des puissances bénéfiques dont la permanence est entretenue par les rites. La même analyse a été faite par des égyptologues à propos des temples pharaoniques.

    Déchiffrer une cathédrale

    La cathédrale reflète l’harmonie du cosmos où tout est soigneusement ordonné. Elle est construite d’après la divine proportion qui a également présidé à la formation du corps de l’homme.

    En dépit des variations de plan, qui expriment autant de significations symboliques, l’une des formes essentielles du temple médiéval est la croix, rencontre de la verticale et de l’horizontale, du temps et de l’espace, du ciel et de la terre.

    La croix est la traduction chrétienne du grand arbre des anciennes traditions, de l’axe qui relie entre eux les étages de l’univers. La branche horizontale de la croix, explique le Moyen Age, correspond aux équinoxes et aux solstices, alors que la branche verticale met les pôles en rapport avec le plan de l’équateur. Ainsi, la connaissance du plan cruciforme de l’église nous permet de lire le monde, d’en apercevoir l’architecture.

    Rappelons-nous : le terme « cathédrale » vient de « cathèdre », à savoir le trône où siège l’évêque. Comme dans les temples où se réunissaient les communautés de bâtisseurs, le siège de celui qui dirige l’assemblée se trouve à l’orient, exactement à l’endroit où naît la lumière.

    Tradition et traditions

    Sans la communauté des bâtisseurs, le message divin serait resté lettre morte. Ce message n’est pas une doctrine mais un outil d’évolution pour chacun d’entre nous, un outil que les anciens nommaient « Tradition ».

    Il est vital de percevoir ce qu’est la Tradition initiatique qui est la clef, non seulement de l’époque médiévale, mais de toutes les époques. Le rationalisme qui s’affirma pendant la Renaissance a obscurci la véritable nature de la Tradition, tradition initiatique dont nous ressentons si intensément la nécessité, mais que nous ne savons plus appeler par son nom. Le simple fait de l’évoquer peut commencer à ranimer l’esprit des bâtisseurs de temples, à nous orienter vers le maître d’œuvre.

    La Tradition initiatique possède un corps, une âme et un esprit.

    Son corps est formé des temples, des cathédrales, des statues, des livres sacrés, bref de tout ce qui incarne de manière concrète et visible l’enseignement à transmettre. Corps plein de sève, toujours à notre portée, offert en permanence à qui désire le contempler. Corps à réanimer, également. Il est comparable à la « matière première » de l’alchimie, la chose la plus répandue du monde mais à laquelle peu d’êtres prêtent attention.

    L’âme de la Tradition est son visage multiple, son génie changeant qui préserve une même sagesse sous des aspects différents selon les temps et selon les lieux. Quand les maîtres d’œuvre construisaient des églises chrétiennes sur les ruines de temples païens, ils vivaient l’âme de la Tradition qui intègre tout et ne détruit rien.

    Si une information sur l’ensemble des formes traditionnelles est un présent inestimable de notre époque, il est bon d’approfondir l’une d’entre elles qui corresponde à nos affinités, à notre héritage sensible et intellectuel. En ce qui concerne l’Occident, il est certain que la Tradition des bâtisseurs, de l’ancienne Egypte aux communautés actuelles qui prolongent cette symbolique, est une source de vie inépuisable.

    L’âme est l’instrument de notre accomplissement, le potentiel d’énergie dont nous disposons pour mettre au jour notre vérité. Purifiée par un rituel, l’âme devient capable de reconnaître les symboles, de se guider elle-même en ce monde.

    Quant à l’esprit de la Tradition initiatique, il est une réalité difficilement accessible. C’est pourquoi nous devons lui consacrer une vie de recherche. L’esprit de la Tradition est la Sagesse que les médiévaux qualifiaient de « non née », de « non manifestée », d’ « incréée », car elle n’est pas soumise aux conditionnements humains ni à ceux de la nature dont elle engendre l’harmonie.

    Les maîtres d’œuvre ont fait preuve d’une générosité exceptionnelle en transmettant, de toutes leurs forces spirituelles et humaines, l’initiation qu’ils avaient vécue. Cathédrales et chapiteaux, stalles et statues, écrits divers sont là pour en témoigner. Ils savaient que, dans l’arbre de la Tradition, circule la sève du symbole. Ce dernier est la clef d’or qui ouvrira le coffre aux trésors cachés dans l’œuvre. C’est grâce à lui que le voyage vers la cité céleste peut réellement s’accomplir.

    Voyager parmi les symboles

    Voyager à travers les symboles, à travers les images parlantes, c’est d’abord retrouver un reflet de notre personnalité réelle.

    Le symbole ne se définit pas en termes rationnels, il ne se transmet pas sous forme d’une équation mathématique. Par définition, une figure symbolique est inépuisable.

    Pour qui apprend à voir, les chapiteaux évoquent de multiples états d’âme, des qualités à acquérir, des travers à éviter, des pièges auxquels on peut échapper.

    L’homme se construit par son regard ; il communique avec autrui par le symbole qui constitue un langage commun avec, pourtant, autant d’interprétations que d’interprètes.

    Pénétrer dans l’univers des symboles, c’est faire vibrer en nous la véritable chair de l’humanité, reconnaître la présence du véritable trésor pour la préservation duquel tant d’admirables civilisations ont lutté victorieusement. Le symbole est un signe donnant accès à une connaissance inaccessible par tout autre moyen.

    Visiter une cathédrale ne doit pas se réduire à une distraction touristique. Etre dans la cathédrale, c’est accomplir un pèlerinage dans l’œuvre, ne plus chercher au-dehors d’elle la vérité de notre existence. Il nous suffit de passer le seuil, d’être fidèles à la voix de notre conscience et d’écouter celle de la cathédrale.

    L’essentiel est de faire vivre le symbole. L’utilisation de la symbolique permet d’avoir une vision globale de la vie, de ne pas négliger tel ou tel aspect de la nature et de l’homme. Le symbole est porteur de significations différentes qui ne sont pas pour autant des contradictions. Il s’agit de diverses facettes d’une même réalité. Selon notre degré d’évolution, nous sommes capables de percevoir le même phénomène de manière différente.

    Devant les sculptures des cathédrales se produit en nous une rupture par rapport à notre existence profane. Si nous acceptons de lever les yeux, tout un univers commence à nous poser des questions.

    Tout est symbole, rien n’est imaginaire. Cet univers est d’une grande précision, d’une grande rigueur car il est le lieu toujours mouvant et toujours renouvelé où se libère notre conscience.

    Chacun d’entre nous capte la réalité à sa manière. Pourtant, nous captons tous quelque chose de permanent, de fondamental, qui est la vie elle-même. Par l’expérience du symbole, nous accroissons notre « capacité de Dieu », nous élargissons nos possibilités de perception.

    L’expérience spirituelle ne peut se transmettre que par des symboles. C’est pourquoi les hommes du Moyen Age se sont réunis en communautés, qu’il s’agisse des moines ou des bâtisseurs. Etudier un symbole dans la solitude ne suffit pas. Il faut confronter son point de vue avec d’autres, partager le regard d’autrui.

    Le symbole est la substantifique moelle de chaque chose. Les symboles sont des lampes sur notre route, les étoiles qui nous guideront pour sortir d’une existence anarchique et devenir un homme nouveau, une pierre de la cathédrale qui s’édifiera jusqu’à la fin des temps.

    Les deux chemins

    Pour nous permettre de forger cette intuition qui construit des cathédrales, le Moyen Age nous propose deux outils : la voie « spéculative », celle de l’esprit, et la voie « opérative », celle de la main.

    A l’époque médiévale, spéculer, c’est disposer du miroir qui reflétera les lois divines et nous permettra donc de les connaître. C’est aussi observer les astres, apprendre à connaître les lois du cosmos.

    Le désir de l’homme « spéculatif » est de faire vivre l’esprit en l’alourdissant le moins possible de tendances individuelles et particularisantes. La cathédrale n’appartient à personne, elle n’est signée de personne. Elle ne rejette aucun symbole, aucune expression. Les valeurs « spéculatives » sont les nourritures de la vie intérieure, non des théories froides et desséchées. Les bâtisseurs et les sculpteurs sont des « pontifes », des êtres qui créent un pont, une relation entre l’univers et l’homme.

    La voie spéculative n’aurait pas conduit à cette harmonie de l’être si elle n’avait été accompagnée de la voie dite « opérative ». Connaissance de la main, elle met en œuvre les intuitions de la pensée spéculative et leur donne une chair. Le geste d’un sculpteur sacralise la matière. Par le travail de la main s’accomplit un accord profond avec l’Architecte des mondes.

    Actes « spéculatifs » et actes « opératifs » ont été si étroitement liés dans les communautés de constructeurs que la pensée créatrice de ces hommes s’est traduite par des cathédrales.

    Par l’union de l’esprit et de la main, le bâtisseur devient un home en voie d’accomplissement de l’œuvre et de lui-même. Si la notion de « modèle » ou d’« exemple » a encore une signification, c’est bien vers cet homme-là que nos regards doivent se tourner.

    Pour conclure : l’éternelle sagesse des cathédrales

    L’art de vivre des bâtisseurs est toujours présent en nous, par l’intermédiaire de ses sanctuaires, de ses sculptures, de son message. Les symboles qui se présentent à nous sont issus d’une tradition initiatique où l’instant de conscience est la valeur première. Dans cette tradition, qui est celle des constructeurs de temples, nous sont offerts d’immenses trésors qui sont autant de manifestations du Principe et qui nous convient à remonter de l’embouchure vers sa source. Ces trésors sont là, tout près de nous ; le royaume de l’esprit est si proche qu’il suffit de passer le seuil de la cathédrale pour le découvrir.

    L’enseignement des sculptures symboliques n’appartient pas au passé. Mettant en lumière ce qui rassemble les hommes, ce qui les unit au cosmos, il demande de notre part un véritable engagement qui consiste à reconnaître que l’individu n’est pas la clef de toutes choses.

    Si nous désirons pénétrer dans le temple où se trouve la règle d’or d’une vie harmonieuse, il faut accepter de reconnaître que certaines fausses valeurs sont des obstacles sur le chemin de la Connaissance. L’art médiéval est destiné à augmenter notre « capacité de Dieu », à faire naître le regard de lumière qui éclairera aussi bien la signification des chapiteaux que celle de notre propre vie.

    Les symboles ne sont pas le fruit d’une volonté de garder un secret, mais l’expression naturelle des étapes sur la voie de l’accomplissement.

    Aucune cathédrale n’est une fantaisie esthétique érigée pour le plaisir de l’œil.  Si les maîtres d’œuvre construisent des temples, c’est pour incarner dans la pierre le mystère par nature et donner à chaque pèlerin une possibilité de le percevoir. Chaque cathédrale est une parole du Verbe. L’homme nouveau est le Verbe en nous parce qu’il nous permet de nommer les êtres et les choses, donc de connaitre leur réalité surnaturelle.

    L’homme de métier a trois fonctions :

    • travailler l’esprit, c’est entrer de plain-pied dans l’univers du sacré, explorer le symbole, sentir l’intelligence humaine que l’on améliore une vie durant ;
    • travailler l’homme, c’est recréer la noblesse de l’être intime, veiller sur la qualité des liens qui unissent les êtres ;
    • travailler la matière, c’est être en contact direct avec la forme concrète de la divinité, prolonger l’Œuvre du Créateur, faire devenir ce qui n’était pas encore.

    Ce que nous offrent les cathédrales et leurs chapiteaux symboliques, ce sont des outils pour recréer un art de vivre qui ne soit pas une pâle imitation, des outils pour dégrossir la pierre brute et la transformer, avec science et patience, en pierre qui parle, en pierre qui, un jour, s’épanouira jusqu’à devenir cathédrale.

    A. B.

    Quelques ouvrages traitant des cathédrales de France

    Arminjon Catherine (Sous la direction de)

    Vingt siècles de cathédrales

    Connaissance des arts, Paris, 2001

    Plus que dans d'autres pays, la cathédrale en France impose sa silhouette irremplaçable. Curieusement, l'image qui s'est fixée est avant tout gothique. On peut le comprendre puisque la plupart des grandes cathédrales présentent encore leur silhouette surgissante de cet âge d'or de l'ère médiévale. Mais derrière l'image fétiche des flèches et des tours, on oublie que la cathédrale a d'abord été romane, qu'elle a aussi été classique, même éclectique, et que les architectes contemporains n'ont jamais cessé de la regarder. Au-delà de l'intérêt qu'on lui accorde trop souvent, c'est tout un monde de vie et de création qu'elle abrite : cité dans la cité, elle a ses quartiers canoniaux, ses palais, ses hôtels-Dieu. Par-là même, c'est aussi un lieu continu de manifestations artistiques dans ses grands décors, ses vitraux, ses trésors dont nombre de chefs-d'œuvre sont, il est vrai, peu visibles, voire inaccessibles. En dépit des drames et des destructions, la cathédrale demeure un immense musée vivant au cœur des villes. Malgré son omniprésence, la cathédrale reste le lieu d'études inédites et de découvertes à venir.

    Icher François

    Les bâtisseurs de cathédrales

    Le Sorbier, Paris, 2004

    Au milieu du 12ème siècle, la construction d'une nouvelle abbaye à Saint-Denis a fait naître un nouveau style architectural, le style gothique. Finies les églises romanes trop sombres et trop petites pour accueillir une foule de fidèles de plus en plus nombreux. Place à l'espace et à la lumière ! La construction d'une cathédrale demande beaucoup de travail et de moyens. En accord avec le maître d'ouvrage initiateur du projet, le maître d'œuvre (l'architecte) définit le projet définitif et choisit son équipe de bâtisseurs. Entre les outils, les matériaux et le salaire des hommes, d'importantes sommes sont nécessaires : tous les habitants doivent donc participer à la récolte de fonds. La place et le rôle des enfants apprentis bâtisseurs sont clairement analysés et les principaux métiers à l'œuvre sur le chantier sont présentés dans les portraits. François Icher nous raconte ainsi la vie quotidienne d'un chantier qui sera le fruit des efforts de plusieurs générations.

    Nicolas Pierre-Alexandre

    Le secret des cathédrales

    Editions Arcadis, Saint-Michel S/Savasse

    La cathédrale est le lieu où les énergies circulent : cosmiques, solaires et telluriques. Et si ces énergies étaient le véritable secret de la vie ; ne chercherions nous pas à bénéficier de cette force pour améliorer notre quotidien ? Si nous comprenons cela, nous percevons mieux la véritable utilité des rites du temple et que toute quête spirituelle s'appuie sur cette donnée cachée qui est tout simplement le prolongement du bras de Dieu. Véritable horloge d'un Temps qui nous dépasse, la cathédrale est bien le premier ordinateur construit des mains de l'homme. Ce livre nous fait découvrir des réalités pressenties depuis longtemps mais qu'il restait à élucider : c'est chose faite depuis.

    Collombet François

    Les plus belles cathédrales de France

    Sélection du Reader’s Digest, Paris, 1997

    Entre le 12ème et le 15ème siècle, la France a élevé plus de quatre-vingts cathédrales, passant ainsi du style roman au style gothique, dont l'acte de naissance s'inscrit dans l'édification de Saint-Denis, célèbre nécropole royale. Aux côtés des grands hommes d'Eglise, architectes, bâtisseurs et maîtres d'œuvre deviennent alors les véritables héros – souvent anonymes – de cette épopée périlleuse : des chantiers gigantesques, des flèches qui s'élèvent jusqu'à 100 m de haut, et un résultat généralement spectaculaire et audacieux. C'est cette histoire jalonnant les siècles que cet ouvrage se propose de nous raconter à travers cinquante cathédrales réparties dans toute la France : Bourges et sa nef aux élans vertigineux, Chartres et la lumière mystique de ses vitraux, Autun et ses portails sculptés... Autant de témoignages d'une architecture et d'un art qui ont su maîtriser les nouvelles techniques au service de la spiritualité.

    Le patrimoine culturel de près de 50 cathédrales est mis en valeur grâce à une mise en page aérée et moderne. Une iconographie riche de 225 photos dont 32 nouvelles, permet de visiter ces cathédrales et d’apprécier leurs nefs majestueuses, la lumière...

    Schutz Bernhard

    L’art des grandes cathédrales

    Editions Hazan, Paris, 2002

    C'est une vue d'ensemble exceptionnelle des grandes cathédrales médiévales que nous propose cet ouvrage dont les magnifiques planches en couleurs illustrent un texte fondamental. L'auteur s'est attaché à présenter l'unité intellectuelle et artistique de l'Europe de l'époque en dépit de tous les régionalismes dont ces édifices imposants constituent la manifestation. L'architecture européenne au Moyen Age n'a rien accompli de plus grandiose que les cathédrales. Cette création matérielle, dans laquelle l'architecture et les arts plastiques s'unissent pour aboutir à une œuvre d'art total, se veut également un monument dressé à la pensée religieuse. A aucun moment de l'histoire de l'humanité, l'art sacré n'a fait à ce point appel aux sens pour exercer une fascination véritablement magique sur les fidèles. La cathédrale a recouvert toute l'Europe de son nimbe. La période qui nous intéresse s'étend du 11ème au 16ème siècle et commence à l'époque romane ou normande en Angleterre avant de nous faire revivre l'éclosion de l'architecture gothique dans le domaine royal de France, puis la grande époque des cathédrales. Le terme de cathédrale ne se conçoit pas seulement du point de vue de l'histoire de l'art mais aussi sous un aspect fonctionnel : c'est l'église de l'évêque ou de l'archevêque. Grâce à la clarté de sa répartition géographique et historique en cinq grands chapitres – la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et l'Espagne – cet ouvrage rend aussi bien hommage à l'architecture propre à ces pays qu'aux différents courants internationaux et aux contacts entre les bâtisseurs. C'est un ensemble de trente-six cathédrales parmi les plus belles huit en France, huit en Allemagne (avec les pays voisins de l'ancien Saint Empire romain germanique), sept en Angleterre, huit en Italie et cinq en Espagne qui est étudié ici, chacune d'elles faisant l'objet d'un chapitre suivi de magnifiques planches en couleurs, dont beaucoup de photographies inédites. Chaque partie débute par une introduction sur l'histoire de l'architecture du pays traité, qui explique les caractéristiques nationales dans le contexte de l'histoire et des traditions de cette nation, ce qui permet d'élargir encore davantage l'éventail des monuments présentés.

    Du Colombier Pierre

    Les chantiers des cathédrales

    C’est le patrimoine culturel de près de cinquante cathédrales qui est mis en valeur grâce à une mise en page aérée et moderne. Une iconographie riche de 225 photos dont 32 nouvelles, permet de visiter ces cathédrales et d’apprécier leurs nefs majestueuses, la lumière à travers un vitrail comme à Chartres ou encore le détail d’un portail à Reims.

    Wenzler Claude

    Les cathédrales gothiques

    Editions Ouest-France, 2000

    Cet ouvrage retrace l’histoire de la construction de ces bâtiments gigantesques, conçus pour contenir des foules considérables. Il rassemble des témoignages du génie des bâtisseurs, de la générosité des fidèles et de l'ambition des évêques. Exceptionnelle, la cathédrale l'est aussi par la durée de sa construction, qui s'étend parfois sur plusieurs siècles. L'ouvrage est joliment illustré de peintures d'époque, de dessins, cartes, maquettes et photographies en couleurs.

    Rodin Auguste

    Les cathédrales de France

    Editions Denoël (Médiations), 1983

    Proposé par l'un des génies de la sculpture moderne, cet ouvrage est une défense et une illustration des cathédrales trop longtemps oubliées, pillées ou hypocritement restaurées.

    De Bussac Alain

    Cathédrale de Chartres

    Editions L'Instant durable, 1990

    Il s’agit d’un livre maquette comprenant un texte historique, avec 35 planches en couleurs à découper permettant de construire très précisément en volume la cathédrale qui témoigne de la transition de l'art roman vers les magnificences du gothique. Un chef-d'œuvre à construire et à comparer avec les autres cathédrales de la collection à la même échelle, Paris et Reims (échelle 1/250, base 35 x 61 cm, hauteur 44 cm).

    Chevalier Michel

    La France des cathédrales du 4ème au 20ème siècle

    Editions Ouest-France, 1947

    Cet ouvrage est un tableau de quelque 170 cathédrales françaises qui sont encore debout. Il décrit les différents types de cathédrales en fonction des époques et des régions, de la fin de l'Antiquité jusqu'aux 19ème et 20ème siècles. L'accent est mis sur l'architecture et le décor des édifices, tout en tenant compte des multiples dégradations (usure, guerres, vandalisme) subies au cours des siècles et de l'action souvent malvenue des restaurateurs. L’auteur souligne aussi le rôle essentiel des cathédrales dans la vie et le paysage urbains.

    Jouanneaux Françoise et Prache Anne

    La cathédrale Notre Dame de Chartres

    Editions du Patrimoine, Chicoutimi (Canada), 2000

    Au 13ème siècle, la cathédrale de Chartres inaugure la série des cathédrales « classiques » avec fenêtres hautes. La qualité du décor sculpté en fait l'une des références de l'art gothique. Chartres possède aussi l'un des plus riches patrimoines de vitraux des 12ème et 13ème siècles, dont la célèbre « Notre-Dame-de-la-Belle-Verrière ». Chartres n'appartient pas seulement à l'imaginaire culturel français ; la cathédrale est aussi inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco en raison de l'exceptionnelle harmonie qui règne entre l'architecture, la sculpture et le vitrail.

    Aubert Marcel

    Cathédrales et trésors gothiques de France

    Editions Arthaud, Paris, 1971

    Cet ouvrage nous propose une analyse des premières cathédrales gothiques, de l’épanouissement de l'art gothique, de l’expansion de l'art des grandes cathédrales.

    Duby Georges

    Le temps des cathédrales

    Editions Gallimard, Paris, 1976

    Ce n’est pas la méthode historique que l’on admire dans ce livre devenu un classique. Il y aurait beaucoup à redire en ce domaine : la démarche, loin d’être rigoureuse, fait encore grincer les dents des historiens de l’art qui la trouvèrent impressionniste. Quant à la chronologie, elle semble artificiellement découpée en trois périodes, comme s’il y avait toujours un événement ou une création qui entrainait la fin d’un art et le passage à un autre. Au temps des monastères (980 – 1130) succède ainsi le temps des cathédrales (1130 – 1280) que suivra le temps des palais (1280 – 1420).

    Si ces reproches académiques sont justifiés, le temps des cathédrales n’en demeure pas moins un grand ouvrage d’histoire dont la puissance d’évocation et la liberté de ton demeurent inégalées. Cette sociologie de la création artistique médiévale qui oscille en effet entre histoire et roman permet de replacer l’ensemble des hautes productions de l’Occident médiéval dans « le mouvement général de la civilisation ». L’historien nous offre des clefs pour pénétrer cet univers des formes aussi complexe que fascinant, pour comprendre l’architecture, la sculpture ou les vitraux à une époque où l’art pour l’art n’existe pas, où tout est hommage, prière à Dieu et où l’artiste s’efface devant son Créateur.

    Ce parcours nous montre donc comment la féodalité transféra des mains des rois à celles des moines le gouvernement de la production artistique avant que celle-ci ne s’épanouisse au cœur des villes, dans les cathédrales qui deviennent les centres d’innovations majeurs au temps de la renaissance urbaine. La dernière partie nous montre comment au 14ème siècle l’initiative de l’art revint aux grands princes et s’ouvrit aux valeurs profanes. Peut alors s’épanouir la peinture qui devient pour des siècles l’art majeur de l’Europe.

    Male – Devinoy

    Notre Dame de Chartres

    Editions Flammarion, 1994

    Mieux que tous les livres, la cathédrale de Chartres ressuscite notre Moyen Age, nous le fait toucher de la main. Le passé ressemble toujours un peu à un rêve ; à Chartres, nous sommes en présence de la réalité. Ce Moyen Age, qui nous fuit si souvent dans l'histoire, se livre à nous, nous révèle sa pensée profonde, nous confie ce qui alors faisait vivre les hommes. En contemplant avec lui la majesté du plan divin, qu'il met sous nos yeux, nous entrons avec lui dans le monde de la certitude, de l'ordre, de la paix.

    Charpentier Louis

    Les mystères de la cathédrale de Chartres

    Editions Robert Laffont, 1995

    Un homme interroge une cathédrale et c'est tout le mystère d'un savoir perdu qui se dévoile peu à peu : la cathédrale de Chartres est-elle l'héritière des dolmens sous lesquels les Druides conviaient leurs novices à accéder à l'initiation ? Est-elle, par le canal de l'Ordre du Temple et par la science de Citeaux, l'héritière directe des pyramides et du Temple de Salomon ? Est-elle ce « Livre de pierres » dans lequel de savants frères constructeurs inscrivirent les données harmoniques d'une Loi divine d'Unité que Moïse avait gravée sur les pierres du Sinaï ?

    Ce sont ces questions que Louis Charpentier pose à la cathédrale. Et la cathédrale répond... Elle répond que de savants hommes ont su, bien avant Galilée, que la Terre était ronde. Elle répond qu'ils n'ignoraient rien des actions de la Terre et du Cosmos sur les hommes. Elle répond, enfin, par la plus extraordinaire tentative jamais réalisée pour promouvoir les hommes vers une humanité supérieure, par l'usage de proportions « justes », de dimensions « justes », d'harmonies sonores et lumineuses « justes ». Ce livre est, en même temps, un guide irremplaçable pour tout visiteur désireux de percer les arcanes de cette monumentale énigme de pierres.

    Déceneux Marc

    Eglises et cathédrales

    Editions Ouest-France, Rennes, 1998

    La visite des églises offre de multiples intérêts. Mais ceux-ci sont d'autant plus vifs que l'on connait mieux la signification réelle de ces monuments, leur histoire et les règles immuables qui président à leur construction. Ce petit livre propose les clés essentielles pour mener à bien cette découverte.

    Au sommaire :

    • Cité terrestre et cité céleste
    • Des origines à nos jours
    • Silhouettes et plans
    • L'organisation verticale
    • Façades et portails
    • Tours et clochers
    • Aspects techniques
    • Mobilier
    • L'espace et ses directions. L'orientation
    • La lumière
    • Les nombres
    • Les formes
    • Images et symboles
    • Lexique

    Erlande-Brandenburg Alain

    Quand les cathédrales étaient peintes

    Editions Gallimard découvertes, Paris, 1993

    Alain Erlande-Brandenburg, Directeur des archives nationales et Président de la Société Française d'Archéologie, présente dans cet ouvrage de nombreuses clés sur la construction des cathédrales. Pourquoi les cathédrales ? Qui les réalise ? Quel est le rôle du commanditaire ? Comment sont-elles réalisées ? Quelles techniques sont utilisées ?

    L'intérêt de ce petit ouvrage est de répondre à ces questions non en formulant des hypothèses mais en se basant sur des documents d'archives que les bâtisseurs ou les témoins de ces chantiers nous ont laissés. Les nombreuses gravures sont riches en renseignements sur les corps de métiers et les techniques employées. L’auteur souligne la diversité des techniques employées et notamment les échafaudages et les engins de levage. Les textes cités en annexe éclairent les relations entre les commanditaires et les différents métiers.

    Bref, c’est un ouvrage qui permet de mettre à jour ses connaissances et de préparer ou prolonger ses visites de vacances.

    Savary David

    Le temps des cathédrales

    Editions Maison de la France, 2003

    Que l'on soit croyant ou pas, la simple vue et la visite d'une cathédrale restent toujours un moment fort. Ces monuments, chargés de sens et de symboles, ont été construits pour la plupart au Moyen Age. La France abrite quelques-uns des plus beaux chefs-d'œuvre de l'architecture chrétienne.

    La cathédrale est l'église épiscopale d'un diocèse dirigé par un évêque. En deux siècles seulement, le 12ème et le 13ème, 80 monuments sacrés ont été érigés en France. Près de 200 édifices portant ou ayant porté le titre de cathédrale sont aujourd'hui recensés.

    Imposantes, émouvantes… les cathédrales sont des chefs-d'œuvre que l'on admire. Leur architecture, leurs sculptures ou leurs vitraux nous renvoient une multitude d'images et nous invitent à la méditation.

     

    Bibliographie

    Aubert M. - L’architecture cistercienne en France

    Vanoest, Paris, 1947

     

    Bertrand Gille - Histoire générale des techniques

    4 volumes - P.U.F., Paris, 1962

     

    Colignon Thierry et Monnet Christine - Le Mont-Saint-Michel et le Moyen Age

    Editions Mango, 1995

     

    Du Colombier P. - Les chantiers des cathédrales

    Picard Editeur, Paris, 1973

     

    Gimpel Jean - Les bâtisseurs de cathédrales

    Editions du Seuil, Paris, 1980

     

    Hahnloser H. - Villard de Honnecourt

    Editions Gratz, Vienne, 1935

     

    Jacq Christian - Le message des constructeurs de cathédrales

    J’ai lu – Editions du Rocher, Monaco, 1980

     

    Moine Théophile - Traité des divers arts

    Paris, 1924

     

    Pernoud Régine - Lumière du Moyen Age

    Grasset, Paris, 1944

     

    Pirenne Henri - Les villes et les institutions urbaines

    Alcan, Paris, 1939

     


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  • Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    QUELQUES DIMENSIONS A L'INTÉRIEUR DE L’ÉDIFICE

    Longueur

     

    130 m

    Largeur

    nef

    16,5 m

     

    transept

    13 m

    Hauteur

    voûtes

    35 m

     

    bas-côtés

    14,5 m

     

    clocher roman (sud)

    103 m

     

    clocher Jehan de Beauce (nord)

    112 m

    L’ENTRÉE PAR LE PORTAIL ROYAL

    La cathédrale se veut ouverte sur l'extérieur. Les trois portails, c'est-à-dire les neuf portes, constituent une invitation supplémentaire à y pénétrer, tant pour les fidèles que pour les visiteurs. Entrons par le Portail royal du 12ème siècle, le plus célèbre mais aussi le plus lisible par son exposition et sa disposition.

    L'ARCHITECTURE INTÉRIEURE

    Les diverses parties de l'édifice ont chacune leur raison d'être, fonctionnelle ou symbolique. Les innovations architecturales font de Chartres un modèle de l'architecture gothique classique.

    Pour bien la comprendre, il faut savoir que la cathédrale – église de l'évêque – était pour le chrétien du Moyen Age, à la fois la maison de Dieu et celle des hommes. D'où sa division en deux parties essentielles : le chœur où l'on célébrait le culte religieux et la nef et ses annexes où s'assemblaient les fidèles. L'édifice, à la différence d'aujourd'hui, était dépourvu de sièges et le dallage des bas-côtés était légèrement en pente pour l'écoulement des eaux du nettoyage indispensable après que les pèlerins avaient dîné et dormi dans la cathédrale. La pente se voit encore en pénétrant dans la cathédrale par le Portail royal. La cathédrale était aussi le centre d'une vie sociale active et multiforme : lieu de réunion, lieu de fêtes, lieu d'asile. Elle a la forme d'une croix, dont l'extrémité – le chevet – est  orientée vers l'est parce que c'est de là que provient la lumière.

    La nef

    Mesurant plus de 16 mètres entre piliers la nef dépasse en largeur celle de toutes les autres cathédrales françaises (Notre-Dame de Paris a 12 mètres et Notre-Dame d’Amiens a 14 mètres), elle est cependant à simples côtés. Dans le plus pur style ogival du 13ème siècle, dit « lancéolé », elle n’a pas de tribune mais un triforium aveugle.

    Rappelons les caractéristiques du style gothique lancéolé qui marque la période des grands chefs-d’œuvre (Chartres, Reims, Amiens).

    • Les arcades et les arcs des fenêtres sont assez aigus : on dit qu’ils sont en « lancettes ».
    • Une baie ronde surmonte les fenêtres hautes. La tribune a disparu : les arcs-boutants la rendent inutile.
    • Les nombreuses colonnettes qui descendent des voûtes s’arrêtent sur la pile portant l’arc des grandes arcades. Cette pile est, en général, constituée par une grosse colonne ronde flanquée de quatre colonnettes.

    Le style gothique lancéolé commence vers 1180 et se termine vers 1250.

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    La nef centrale de forme rectangulaire, longue de 59 mètres et large de 16 mètres est flanquée de deux bas-côtés.

    Les colonnes intérieures sont alternativement cylindriques et octogonales.

    Elle est coupée perpendiculairement par le transept qui mesure 64 mètres ; chacun des bras du transept particulièrement développé, s'ouvre sur l'extérieur par un portail.

    C'est dans le transept que se formaient les grandes processions et les cortèges des jours de fête.

    Au-delà du transept, on arrive dans un espace semi-circulaire, l'abside. Au centre de celle-ci, se trouve le chœur : à l'origine celui-ci était séparé de la nef par un jubé, aujourd'hui disparu. Cette haute cloison de pierres rappelait que l'accès au chœur, endroit le plus sacré de l'édifice, était réservé aux seuls ecclésiastiques qui y célébraient et chantaient les offices. Là, était installé l'autel principal où le prêtre disait la messe pour les fidèles rassemblés dans la nef et les bas-côtés.

    Tout autour du chœur,  une galerie en demi-cercle, le déambulatoire permettait la circulation des fidèles lors des processions et lorsqu'ils allaient prier tel saint ou vénérer ses reliques dans les chapelles rayonnantes. La relique la plus insigne était le Voile de la Vierge, offert par Charles le Chauve et placé dans une châsse au 10ème siècle.

    Le maître de Chartres innova prudemment. Dans l'élévation, le triforium a remplacé les tribunes. Les fenêtres hautes chassent le mur, cédant la place aux vitraux. La cathédrale de Chartres devint le premier édifice de très grande dimension dont il fut décidé que tout le système de structure assurant sa stabilité reposerait sur l'emploi d'arcs boutants. De massives culées taillées en ressaut, canalisent les poussées de la voûte. De tout son poids, celle-ci peut alors s'élever à 37 m 50 au-dessus de la plus large des nefs de cathédrale gothique.

    Cet édifice de pierre, dont tous les éléments d'architecture servent à conduire les forces vers le sol, nous attire irrésistiblement vers le haut, là où s'épanouissent dans la légèreté de la voûte, les piliers et les colonnes. Rien dans cet ensemble n'est gratuit. Toutes les lignes sont nécessité de construction. La décoration, elle-même, très sobre, révèle et souligne l'architecture. Nécessité qui est beauté.

    Il faut parcourir lentement la nef ou l'un des bas-côtés pour en apprécier la santé robuste, l'immensité du vaisseau, l'élan puissant des piliers de la nef solidement amarrés au dallage, le rythme cadencé des piles tantôt cylindriques, tantôt octogonales, le mouvement ascensionnel des quatre gerbes de colonnes à la croisée du transept, l'admirable harmonie des proportions.

    L’éclairage

    Dès les premiers pas dans la nef, on est saisi par l’éclairage étrange du vaisseau. Les vitraux diffusent en effet une lumière chaudement colorée qui accuse les saillies et les creux de l’architecture et plaque de larges touches aux riches couleurs sur les murs et le pavage.

    La Chapelle Vendôme, datant du 15ème siècle, est pourvue d’un vitrail intéressant.

    Dès le haut Moyen Age, les fenêtres des églises sont ornées de vitraux en couleur.

    Il semble qu’il ne subsiste rien des verrières de cette époque.

    Dans l’art gothique, les maîtres verriers jouent un rôle essentiel dans l’achèvement des églises et créent les merveilleux ruissellements de lumière chatoyante sans lesquels le sanctuaire demeurait interne et froid.

    Le vitrail n’a pas seulement un rôle décoratif : il doit aussi instruire les fidèles. C’est un exposé imagé du catéchisme, de l’histoire sainte ou de la vie des saints.

    Prolongeant le jubé, une clôture de pierre, toujours en place, fut édifiée et décorée aux 16ème et 17ème  siècles.

    La clôture du chœur

    Commencée en 1514 par Jean de Beauce, la clôture du chœur fut terminée au 18ème siècle. Cet admirable travail comprend 41 groupes sculptés illustrant la vie du Christ et celle de la Vierge. Des médaillons évoquent l’histoire sainte, l’histoire locale, la mythologie. Le contraste de cette statuaire renaissance avec celle des portails gothiques est saisissant. Dans cette église de pèlerinage, le chœur et le transept doivent se prêter à l’ample déroulement des grandes cérémonies. Ils ont donc plus d’importance que la nef ! L’ensemble du chœur à double déambulatoire et du transept mesure 64 m de porte à porte.

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    Les grandes orgues

    Les grandes orgues se trouvent dans un buffet datant des 15ème et 16ème siècles. Elles furent restaurées en 1971 et sont devenues un bel instrument néoclassique moderne.

    Le trésor de la cathédrale

    Situé dans la Chapelle Saint-Piat datant du 14ème siècle, le trésor de la cathédrale possède notamment la célèbre relique dite « Voile de la Vierge » offerte en 876 par Charles le Chauve et des sculptures du jubé du 13ème siècle, détruit en 1763.

    TROIS « NOTRE-DAME »

    Derrière le nom de la Dame de Chartres, il y a trois représentations principales dans la cathédrale.

    1. Notre-Dame de la Belle Verrière. Elle apparaît sur un vitrail qui sera expliqué ci-dessous.

    2. Datant d’environ 1510, Notre-Dame du Pilier, cette Vierge est très vénérée est une statue en bois, taillée dans du poirier devenu noir avec le temps et l’oxydation, ce qui lui vaut le nom usurpé de Vierge Noire. Elle fut peinte à l’origine. Celle que l’on peut voir dans la chapelle n’est qu’une copie puisque l’originale fut brûlée à la Révolution.

    3. Notre-Dame de Sous Terre, qui comme son nom l’indique est visible dans la crypte. C‘est la seule authentique Vierge Noire de la Cathédrale, c’est la Virgo Pariturae, la Vierge qui doit enfanter. Celle-ci est une copie de l’originale, réalisée en 1976. Le sculpteur s’est inspiré d’images anciennes représentant la statue qui fut brûlée à la Révolution française. C’est la fille d’Anne, la fille d’Ana la Celte, bien connue de nos amis bretons, la fille de la Terre, la grand-mère de toute vie, celle que les druides appelaient Danaan, archétype de la féminité féconde et sage. C’est elle qui doit donner la Vie ne faisant mourir la graine en son sein afin qu’elle repousse. C’est probablement pour cela que les anciens, essentiellement agriculteurs en cette région, pratiquaient son culte. Il est dit qu’ils l’avaient enfermée en une grotte profonde dessous terre.

    Ces trois vierges sont des rappels multiples de la source de la vie au sens large.  La vraie vie, celle venue d’une inconnue du monde mais qui portait l’espoir d’un monde nouveau. C’est aussi le rappel de cette graine qui poussa dans le noir de la terre pour faire jaillir la vie d’une nouvelle saison. L‘utilisation répétée du mot « source » n’est pas fortuite puisque les sources sourdent également de la terre. Le retour aux sources est un voyage qui nous tente tous.

    LA CRYPTE

    Après l’incendie de la Basilique carolingienne en 1020, l’évêque Fulbert fit reconstruire un nouvel édifice, avec le souci de donner aux pèlerins un espace important où ils pourraient effectuer leurs dévotions : une église basse, église galerie conçue pour les processions de pèlerinage, d’une longueur exceptionnelle de 220 mètres environ. La crypte d’origine, située sous le chœur de la cathédrale actuelle, est seule préservée. Elle accueille les pèlerins venus rendre un culte à « Notre-Dame de sous terre ».

    Elle présente des voûtes d’arêtes romanes. Sa forme est curieuse : deux longues galeries réunies par un déambulatoire passent sous le chœur et les nefs et desservent 7 chapelles rayonnantes dont 3 seulement sont romanes. Les autres ont été ajoutées par le maître d’œuvre de la cathédrale gothique pour établir les fondations du chœur et l’abside du vaste édifice prévu.

    Faite de deux nefs parallèles de six mètres de large, la crypte, de pur style roman. C’est la plus importante et la plus vaste qui existe en France. Elle est bordée de 14 chapelles disposées régulièrement.

    La fameuse grotte celtique y fut murée en 1650. A cette époque fut aménagée la chapelle dite de « Notre-Dame sous Terre ». A proximité de celle-ci se voit le puits des « Saints Forts »,  souvenir le plus lointain qui remonte à l’époque gallo-romaine !

    Profond de 33 mètres, son nom lui vient de ce que des martyrs chartrains y auraient été précipités.

    Dès les premiers siècles, l’eau de la source miraculeuse fut captée et c’est là sans doute l’origine de la fortune extraordinaire de Chartres et de son sanctuaire.

    A côté du puits, des restes de murs gallo-romains sont encore visibles.

    Le Caveau de saint Lubin, vestige de l’église carolingienne, abritait au Moyen Age les reliques et le trésor en cas de danger.

    L'espace de la cathédrale a donc été conçu pour rendre possible toutes ces dévotions. Aujourd'hui encore des pèlerinages importants ont lieu chaque année.

    On y a accès, à l’extérieur de la cathédrale, par la porte au bas du portail nord.

    Pour la visite, il faut s’adresser à la Maison des Clercs, 18 Cloître Notre-Dame.

    Examinons à présent le système de voûte de pierre qui caractérise les parties hautes de la nef.

    LA COUVERTURE VOÛTÉE

    • Les voûtes sont à 37 mètres sur croisées d’ogives.
    • La charpente du grand comble a été remplacée par une charpente en fer et couverte en cuivre, qui s’est rapidement oxydée, d’où la couleur caractéristique « vert-de-gris » de la toiture actuelle.

    L'emploi de la voûte de pierre répond à plusieurs préoccupations : remplacer la voûte en bois vulnérable à l'incendie (ce fut le cas en 1194) et utiliser un matériau qui convienne bien à la majesté de l'édifice. La pierre utilisée pour la construction vient des carrières de Berchères, près de Chartres, mais celle utilisée pour la statuaire est une pierre plus tendre, un liais, en provenance de la vallée de l'Oise.

    C'est par des procédés architecturaux, déjà existants, mais renouvelés (arc brisé, voûte d'ogives, arc-boutant), reposant sur une nouvelle logique (« Dieu est lumière » - Suger), que les architectes du gothique ont obtenu une élévation plus audacieuse et des ouvertures plus larges.

    A Chartres, l'architecte a fait preuve d'une grande originalité en réalisant les deux innovations suivantes :

    • la voûte quadripartite (4 quartiers) sur plan barlong (rectangulaire) qui permet de répartir équitablement le poids sur les piliers cantonnés (un noyau central épais entouré de quatre fûts plus minces), autorisant ainsi l'ouverture de larges baies décorées de vitraux et une élévation plus puissante,
    • l'ordonnance à trois étages : grandes arcades, triforium, fenêtres hautes. Fait nouveau : ces dernières ont les mêmes dimensions que les grandes arcades.

    L'arc-boutant que l'on a vu à l'extérieur du bâtiment devient un élément essentiel de la structure du bâtiment : il enjambe la toiture du bas-côté pour transmettre la poussée de la voûte centrale qui atteint 37 mètres.

    Chartres se caractérise par l'équilibre remarquable de ses différentes parties et son extrême simplicité.

    LA TOITURE

    La charpente d'origine, dite « la forêt », qui était remarquable, a été détruite par l'incendie accidentel de 1836, ainsi que la couverture en plomb offerte par Blanche de Castille sous la minorité de Saint Louis.

    Les combles de la cathédrale

    Le samedi 4 juin 1836, en fin d'après-midi, des ouvriers plombiers travaillant à la couverture des combles, dans la cathédrale de Chartres, provoquent un incendie. La magnifique charpente en châtaignier, recouverte de plomb, s'embrase et c'est un patrimoine de huit siècles qui s'envole en fumée. Un vaste élan de solidarité entraîne vers la cathédrale les habitants des quartiers voisins, puis les pompiers chartrains, aidés bientôt par ceux des communes alentour.

    Les pompiers luttent toute la nuit. Les flammes gagnent les habitations voisines de la cathédrale mais le matin, vers 9 heures, le feu est quasiment maîtrisé. Les parties en pierre - voûte, clochers, parois et sculptures - n'ont heureusement pas souffert.

    En revanche, il convient de refaire intégralement la toiture. C'est l'ingénieur Emile Martin qui est choisi pour conduire les opérations. Directeur des forges de Fourchambault, constructeur du pont de Langon, en 1832, il s'est impliqué dans plusieurs polémiques de technique architecturale. Avec lui, le parti est pris d'une réfection en fonte et en fer des combles détruits, projet qui s'inspire de plusieurs modèles européens: ceux de la Southwark Cathedral de Londres (1822), ou de la cathédrale de Mayence (1827), et même de « Saint-Pierre de Rome, dont la coupole fut ceinturée de 50 tonnes de fer, ou Sainte-Geneviève dont les linteaux avaient nécessité l'emploi d'un savant système de chaînage en fer forgé. »

    Pour le chantier de la cathédrale de Chartres, Martin fait appel à un entrepreneur de serrurerie, Théophile Mignon, dont les projets sont préférés à ceux d'autres serruriers. Les archives de la direction du Patrimoine possèdent plusieurs plans préparatoires finalement refusés. Il est bon de rappeler ici que la serrurerie, qui désigne plus couramment aujourd'hui le métier et l'art de fabriquer serrures, verrous et clefs, définit également la confection de pièces en fer de toute sorte et de celles, en particulier, qui entrent dans la construction civile, industrielle ou militaire.

    En 1828-1829, Mignon a déjà refait les combles de la chapelle du Palais-Royal, avec Pierre Fontaine. Cette expérience lui assure la parfaite maîtrise de l'ouvrage chartrain, qui suscite une série de plans d'Amable Tronquoy, pour le Portefeuille industriel. Tronquoy, qui a été l'élève de M. Le Blanc, l'un des chefs de file de la nouvelle école de dessin technique depuis les années 1820, est un excellent dessinateur. Il est l'auteur d'un remarquable traité sur ces questions de dessin technique, publié en 1861 et qui ne connut pas moins de sept éditions jusqu'en 1884.

    Traduisant un haut souci de précision, les dessins de Tronquoy relatifs aux combles de la cathédrale de Chartres sont accompagnés de nombreuses lettres de renvoi à une légende circonstanciée. Ils évoquent les structures métalliques des fermes de remplacement, c'est-à-dire des pièces d'assemblage destinées à soutenir le faîtage des combles neufs.

    Tronquoy n'a pas opté ici pour l'épure, chère à Le Blanc dans la constitution de dossiers analogues. Il lui a préféré le lavis, agrémentant chaque feuille de touches chromatiques très élégantes. Grâce à plusieurs nuances de bleu, les matériaux fonte et fer sont donc indiqués. Sur la plupart des plans, il a choisi d'appliquer les couleurs en aplat, jouant subtilement sur l'effet des ombres portées. Mais la seconde planche, d'une extraordinaire virtuosité graphique, utilise le fondu pour décrire un angle du transept avec sa demi-ferme de noue. Eloigné dans son principe de prétentions purement artistiques, ce lavis pourrait presque se lire comme un Vasarely avant l'heure!

    Grâce aux dessins de Tronquoy, le Portefeuille industriel s'est enrichi d'un dossier à la fois beau dans son graphisme et instructif en ce qu'il décrit avec concision la reconstitution partielle du grand sanctuaire. Mais surtout, de par sa chronologie, cette série du dessinateur prend place dans une période charnière : la première moitié du 19ème siècle. Un temps où fer et fonte s'immiscent progressivement dans l'architecture des ponts, des marchés, des galeries, des serres...

    Et cette tendance s'affirmera durant toute la seconde moitié du siècle, du Crystal Palace de l'Exposition universelle de Londres, en 1851, à la tour de Monsieur Eiffel, en 1887-1889.

    En 1839, lorsque le garde des Sceaux se rend sur le chantier de Chartres, la charpente nouvelle assure désormais le maintien de la toiture. En apparence, rien n'a changé dans l'allure de l'église. Cependant, une chirurgie discrète a substitué le métal roi au squelette de bois flambé.

    Aujourd'hui une charpente en fonte, non moins remarquable, donne au comble un dégagement impressionnant avec une couverture en cuivre dont l'effet s'est affirmé avec la silhouette de la cathédrale sur l'horizon beauceron et qui demeure de nos jours l'une des singularités de la cathédrale.

    LE LABYRINTHE

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    Posé au seuil de ce qu’était la cathédrale de Fulbert, le labyrinthe de Chartres est un héritage gothique rare et de grande beauté. Bien des cathédrales de cette époque possédaient un tel motif mais, au cours des siècles, les chapitres cathédrals l’ont presque partout fait détruire. Des labyrinthes ont en effet existé dans les cathédrales de Reims, de Sens, d’Arras, d’Auxerre. A Chartres, fort heureusement, les chanoines ont su le garder. Son usage était probablement d’ordre religieux et spirituel. Hélas ce message est devenu, à la longue, incompris au point d’être totalement délaissé au début de notre siècle.

    Le labyrinthe de la cathédrale de Chartres intrigue les personnes de notre époque qui se demandent ce qu'il peut bien signifier, et à quoi il pouvait servir à nos ancêtres. Inconsciemment, en se posant cette dernière question, ils commencent à trouver la solution, ils entrent dans la voie voulue par les concepteurs du labyrinthe.

    Bien situé dans la nef et surtout bien conservé, il est parmi tous les labyrinthes de nos cathédrales l’un des plus grands. Aujourd’hui il en existe encore un à la cathédrale d’Amiens, à Saint-Quentin, et à Bayeux, dans la salle capitulaire. Ces labyrinthes, contrairement à celui de Cnossos, ne sont pas là pour égarer ceux qui s’y engagent ! Aucune fausse route, aucune impasse. Les méandres de cette immense « marelle » conduisent de toute façon au centre du dessin.

    Le centre du labyrinthe de Chartres est le point de départ de toutes les grandes dimensions. Il date de 1200 environ. L’intelligence de l’architecte fut de développer un chemin aussi long que possible dans la surface la plus ramassée – un diamètre de 12 m 88 pour un chemin à parcourir de 261 m 50. Il lui manque la plaque en cuivre du centre qui fut fondue en 1793 avec les cloches pour fabriquer des canons.

    Dans la cathédrale de Chartres, le labyrinthe est situé à la 3ème des 7 travées de la nef. Il partage en effet la nef en quatre grandes travées d’une part et trois autres travées d’autre part. En d’autres termes, son centre se situe à la limite des quatre travées égales en partant du carré central du transept, et juste avant les trois dernières travées de section différente. Cette division évoque les nombres 4 et 3, le quadrivium et le trivium des arts libéraux. Ils associent la matière et l’esprit. Sept est la somme de ces deux nombres qui, de tous temps, ont précisément été symboles de la matière et de l'esprit. Quatre étant par association symbole de la Terre et trois symbole du Ciel, nous pouvons en déduire que le labyrinthe est situé à l'intersection de la Terre et du Ciel.

    La distance du centre du labyrinthe au centre du carré du transept est la même que celle de ce dernier à l’extrémité de la deuxième travée du chœur. Nous devinons ainsi toute l’importance que prend le labyrinthe dans la géométrie et le tracé de la cathédrale.

    Le labyrinthe est malheureusement connu par le grand public pour les « forces » en son centre. Les appareils de la science actuelle n'ont jamais prouvé l'existence de forces telluriques, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'existent pas, car certains, qui ne sont ni des illuminés ni des païens, ressentent quelque chose ! Mais la richesse du labyrinthe est d’une toute autre nature. C’est un héritage médiéval rare. Ce parcours pourrait symboliser le déroulement de la vie humaine, avec la victoire sur le mal.

    Bien des symboles peuvent être tirés de ce dallage. Le premier est, sans nul doute pour les chrétiens, l’application du mythe de Thésée à la théologie. Thésée est dès lors assimilé à la figure du Christ, le Minotaure à celle du mal. Le labyrinthe rappelle le chemin long et sinueux que le héros crétois dut parcourir pour être victorieux. Le fil d’Ariane est en quelque sorte l’enseignement de l’Eglise permettant à tout homme, dans son combat spirituel, de ne point s’égarer et de devenir à son tour victorieux du mal.

    Pour les chrétiens, le labyrinthe est un chemin symbolique qui mène l’homme de la terre à Dieu, un chemin où l’homme va à la rencontre de Dieu. Le centre de cette grande figure symbolise la Cité de Dieu. La démarche du labyrinthe ne consiste pas seulement à aller jusqu’au centre mais à en repartir. Le pèlerin est invité à emprunter la ligne tracée face à lui pour monter vers le chœur de la cathédrale, vers l'Orient, vers la lumière.

    Le pèlerin du 13ème siècle parcourait ce chemin, en priant, comme s'il faisait un pèlerinage vers Jérusalem. C'est pourquoi les labyrinthes portaient le nom de « Chemin de Jérusalem » car au temps des croisades, nombreux étaient ceux qui parcouraient le labyrinthe par substitution faute de ne pouvoir partir en Terre Sainte. Le parcours du labyrinthe de Chartres, effectué à genoux, prenait autant de temps que de marcher une « lieue », d'où son autre nom : « la Lieue ».

    A partir des redents extérieurs, des chercheurs ont cru y voir l’image d’une roue représentant le déroulement de la vie depuis la naissance (de l’extérieur) jusqu’à la mort (au centre). Cela signifierait que le paradis est au bout du chemin après une descente de l’homme en lui-même.

    Une des racines du mot labyrinthe est « laborintrus », mot latin qui comporte la racine « labor », travail, dans le sens d'effort. De ce terme découlent plusieurs mots dont « labrum », sillon ouvert par le «labrus», nom donné à une hache à double tranchant, une de ces haches qui séparent le bien du mal, le haut du bas, le profane du spirituel. Peut-être est-ce là qu'il faut chercher l'origine des « forces » signalées au centre du labyrinthe, « forces » chthoniennes, sataniques, de dessous ? Le labyrinthe serait dans ce cas un « nœud » qui bloque toutes ces « forces » et sépare donc le profane du sacré dans un lieu saint. Cosmos était le sanctuaire de la hache, l'emblème du Roi, l'équivalent du Z de Zeus / Minos, la foudre qui relie la Terre au Ciel. La hache est l'instrument qui relie ou sépare le terrestre et le céleste.

    Une autre origine du nom serait « labra » qui désigne les cavernes, les galeries de mines et « inthos » suffixe de racine pré-indo germanique qui se rapporte aux jeux d'enfants. Ainsi « labra – inthos », labyrinthe, désignerait les jeux de la caverne. Un lien possible peut donc exister avec la fameuse « Caverne » de Platon, entre les ombres et la lumière, entre l'alternance noir et blanc du labyrinthe, le long du parcours qui conduit du profane au sacré, de la nuit vers le divin.

    Les labyrinthes existent dans le monde entier depuis des millénaires. Les plus anciens datent de 15 000 ans. On en trouve en Amérique, en Suède en Grande- Bretagne, Italie, Inde, Egypte et naturellement en France.

    Fait de cavernes et de carrières, ces lieux sous terre étaient des lieux initiatiques. Le plus célèbre, celui de Cnossos, en Crête, formait une spirale se rétrécissant vers le centre en montant, pour déboucher à l'air libre. Dédale, son concepteur, a laissé accroché à son nom ce concept de complexité.

    Peu à peu, les labyrinthes à trois dimensions, avec des voies sans issues, celles des errements et des culs de basses fosses, ont laissé place aux labyrinthes à deux dimensions et à une seule voie, menant au centre après des croisements et des retours en arrière. Façon comme une autre d'obliger au retour sur soi, à la descente dans son intériorité la plus intime.

    Il en existe des circulaires (Saint Vital de Ravenne, Saint Savin de Plaisance, Sens, Guingan, Bayeux, Saint Michel de Pavie…), des carrés (Basilique San Reparatus d'Orléansville, Villa Diomède à Pompéi, San Bertin à Saint Omer…) et octogonaux (Saint Quentin, Arras, Reims, Amiens…), des géants et des petits. Globalement, avec cette évolution, l'appellation labyrinthe est devenue erronée, car il n'y a plus qu'un seul chemin.

    Le labyrinthe de la cathédrale de Chartres, le troisième à être construit en France, en 1200, reprend la forme circulaire avec onze anneaux. Il n’est pas gravé dans la pierre mais incorporé dans le dallage. Il témoigne de recherches esthétiques et symboliques qui en font une œuvre unique.

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    Avec son motif central en forme de fleur, il témoigne de la spiritualité cistercienne qui a présidé à son incorporation dans l’édifice, de la puissance de l’Ecole de Chartres qui lui a donné ses dimensions précises et du désir de faire de la cathédrale de Chartres un modèle de perfection jusque dans ses moindres détails.

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    Pour John et Odette Ketley-Laporte, qui l’ont analysé avec minutie, « le labyrinthe de Chartres est le seul à être doté d’une bordure et d’un motif central. L’apparente simplicité de ces éléments dissimule une géométrie d’une étonnante complexité, porteuse d’un message symbolique de la plus haute spiritualité ».

    L'homme qui part en pèlerinage avec un but géographique sur la planète, cherche à retrouver son créateur au travers de la manifestation qu'il traverse lors de son voyage et arrive, au terme de ses pérégrinations, en état de symbiose totale avec l'environnement créé par Dieu. Son voyage « initiatique  » réel, est à la fois début,    « init » de « initium » et fin. Il fait alors partie du tout ; il a rejoint l'Un, son créateur, totalement conscient de la part qu'il lui reste à jouer dans l'accomplissement de l'œuvre divine, dans la manifestation.

    Comment mieux « qualifier » le Divin que par le mot « absolu » ? Or, « Absolum » était le nom du labyrinthe de Cnossos, celui du combat de Thésée et du Minotaure. Le combat de Thésée et du Minotaure rappelait le fameux labyrinthe de Cnossos dans l'ile de Crête. Ces labyrinthes étaient généralement appelés Dédale, en souvenir de l'architecte du roi Minos. Autrefois, une plaque de bronze représentant Thésée et le Minotaure était fixée au centre du labyrinthe de Chartres. Elle a été déposée.

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    L'homme qui parcours le labyrinthe, part dans un voyage initiatique virtuel. Il s'isole de la manifestation et se concentre sur lui-même, recherchant en lui les traces de la manifestation divine.  Lui aussi arrive au bout de son voyage en parfaite communion avec Dieu. Il comprend progressivement par les allers et retours du parcours, qui le rapprochent et l'éloignent du Centre qu'il est nécessaire de chercher en allant de l'avant, mais qu'il est bon de regarder derrière soi, puisque tout a commencé « avant ».

    « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu ».

    Ses multiples allers et retours lui font comprendre la nécessité du retour sur soi, mais également à considérer une situation selon divers points de vues. Vieille nécessité de prendre de la distance afin de mieux juger, appréhender un problème. Le fait de croiser un autre pèlerin sur la voie, rappelle que seule l'expérience personnelle est valable.  Un jour dans un sens, un jour dans l'autre, celui qui cherche trouvera et se sera enrichi au passage de « points de vues » apparemment opposés mais en réalité complémentaires d'une même et unique solution. Arrivé dans la dernière ligne droite, il se prépare à rencontrer celui qu'il sait être présent, «celui qui est et a toujours été», au centre. Là, il est obligé de se relever, comme aspiré vers le haut, seule voie de sortie du labyrinthe. En effet, la seule autre alternative, serait la mort.

    Le clou de la Saint-Jean

    A l'angle formé par le transept sud avec le bas-côté de la nef, une dalle grise disposée en biais retient un clou. A mi-hauteur, dans le vitrail, un verre incolore rond laisse passer un trait de lumière.

    C'est le chanoine Claude Estienne, qui en 1701, fit placer cet ensemble afin de vérifier la marche des horloges et des montres. En effet, le 24 juin, fête de saint Jean-Baptiste, le rayon du soleil frappe précisément le clou quelques minutes avant 14 heures, par rapport au décalage de Chartres sur le méridien de Greenwich. Plusieurs interprétations telluriques ou autres sont faites sur ce lieu...

    Un livre d'images

    « L'intention des concepteurs de la cathédrale était de monter en spectacle les vérités dont ils s'approchaient par la méditation et le raisonnement, de donner à voir ce que le chrétien doit faire pour bien se conduire et être sauvé ».  G. Duby.

    C'est cette intention que l'on a pu remarquer dans les portails et que l’on retrouve également dans les vitraux.

    LES VITRAUX

    Après avoir contemplé l’immense décor sculpté des portails et des porches, un nouveau monde de personnages, de légendes et de symboles nous attend dans la cathédrale. La beauté de la cathédrale de Chartres ne naît pas seulement de ses sculptures : ses vitraux lui composent aussi une parure étincelante. Cent quarante-six fenêtres sont garnies de vitraux anciens, avec 1 359 sujets, d’une variété infinie : légendes de saints, personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament, membres des corporations ayant offert les vitraux.

    Les vitraux qui garnissent les fenêtres et les roses sont au nombre de 176 et couvrent une superficie de plus de deux mille mètres carrés. Ils illustrent la Bible, la vie des saints et les vieux métiers de France. Leur disposition dans la cathédrale, comme la composition interne de chaque verrière, ne relève pas du hasard : soulignons l'opposition nord - sud (ombre - lumière) entre l'Ancien et le Nouveau Testament, l'opposition fenêtres hautes et fenêtres basses entre l'Eglise mystique et l'Eglise militante. Tous ces vitraux sont l’œuvre des artistes du 13e siècle, sauf trois vitraux de la façade occidentale et quatre qui échappèrent au grand désastre de 1194.

    C’est le plus bel ensemble qui existe, la plus riche collection qui soit. Il serait sans lacunes si les chanoines du 18ème siècle n’avaient fait disparaître quelques verrières pour donner plus de lumière au chœur et si la Révolution n’en avait détruit encore quelques autres.

    Les figures isolées de grandes dimensions trônent dans les fenêtres hautes de la cathédrale qui éclairent la nef. Elles se détachent sur des fonds d’un bleu ou d’un rouge profonds. Les chairs ont des nuances d’un blanc rosé, verdâtre ou jaune. Le vitrail ne vise pas à reproduire la réalité, les couleurs sont faites uniquement pour réaliser de brillantes compositions.

    Tous ces vitraux sont des dons et toutes les classes de la société ont voulu contribuer à la beauté de la nouvelle cathédrale. C’est dans la partie basse de la plupart des verrières, ou dans la rose qui les surmonte, que se situent les donateurs, figures tout à fait étrangères à la légende que raconte l’artiste.

    Quarante-deux vitraux ont été donnés par les corps de métiers de la ville, quarante-quatre par les rois et les grandes familles féodales, seize par les ecclésiastiques et quatorze par des personnages représentés, mais dont on ne connaît ni le nom ni la condition sociale. Les clercs semblent avoir été moins généreux que les laïcs mais ce n’est probablement là qu’une apparence car il est beaucoup de vitraux sans signature qui furent sans doute offerts par des ecclésiastiques indifférents au souvenir des hommes.

    Ces images de donateurs sont fort intéressantes car elles nous montrent tous les corps de métiers au travail. Parfois les donateurs sont agenouillés au bas du vitrail. C’est ainsi que sont représentés des membres de la famille royale de France et de Castille, et les principales familles seigneuriales du temps : Champagne, Boulogne, Chartres, Dreux.

    Dans certains cas, deux figures sont superposées. Ainsi, sous la grande rose du bas du transept, les quatre Évangélistes sont à califourchon sur les épaules des quatre grands prophètes.

    Les scènes empruntées à l’Ancien et au Nouveau Testaments occupent des médaillons se détachant sur des fonds de rinceaux riches et variés. Les personnages sont de petite taille. Ces médaillons se trouvent aux fenêtres des bas-côtés, du déambulatoire, des chapelles.

    Les sujets des fenêtres basses montrent l’esprit inventif des verriers ; on y voit la légende de saint Nicolas, de saint Eustache, saint Martin, l’histoire de Noé, de Joseph, qui se poursuivent sur les médaillons, épisode après épisode, un peu comme les bandes dessinées des journaux actuels. C’est ainsi que l’histoire de Joseph comprend trente scènes et celle de saint Théodore trente-huit. Mais cette abondance n’engendre pas la confusion : les scènes sont groupées dans des médaillons de formes diverses, encadrés par les fers scellés dans les montants de la fenêtre. Les médaillons se détachant nettement sont infiniment plus lisibles.

    C’est Suger, abbé de Saint Denis, qui a suggéré l'idée d'une architecture de lumière, symbolisant la présence divine. C'est le vitrail qui va transfigurer la lumière. L'ensemble des vitraux – 2 600 m2 – conservés à la cathédrale est sans doute le plus complet et le plus beau de tout l'Occident chrétien.

    LES VITRAUX DU 12ème SIÈCLE

    Trois vastes fenêtres qui s’ouvrent au-dessus du Portail royal et leurs fragiles verrières ont échappé à l’incendie de 1194. Ces trois grands vitraux du 12ème siècle nous donnent une haute idée du talent des anciens maîtres verriers. Les vitraux du 12ème siècle sont rares et c’est une heureuse fortune d’avoir conservé ceux-là.

    Les trois vitraux de la façade représentent l’arbre de Jessé, et les deux autres la vie de Jésus-Christ. Le premier de ces deux vitraux narratifs est consacré à l’enfance de Jésus. Il est dominé par une grande figure de la Vierge. Le second commence à la Transfiguration et raconte la Passion tout entière.

    L’arbre de Jessé

    Selon la tradition chrétienne, ce vitrail représente les ancêtres royaux du Christ. Il était difficile de traduire par des formes avec plus de grandeur cette prophétie d’Isaïe : « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur s’épanouira au sommet de la tige, et sur elle reposera l’esprit du Seigneur ».

    Au centre, et de bas en haut, Jessé est allongé sur un lit recouvert d’une toile de lin blanc. Un grand arbre sort de Jessé endormi. Nous reconnaissons ensuite successivement des rois assis les uns au-dessus des autres : David, Salomon, Roboam et Abia. Ils forment la tige de cet arbre symbolique qui se termine par la Vierge. Au-dessus de la Vierge trône le Christ entouré des sept colombes du Saint-Esprit qui symbolisent les sept dons du Saint-Esprit.

    A gauche et à droite, des deux côtés de l’arbre, se superposent les quatorze prophètes de l’Ancien testament, annonciateurs du Messie à travers les âges.

    Ils tiennent des rouleaux appelés phylactères sur lesquels est inscrit leur nom. Ainsi, d’un côté se trouvent représentés Nahum, Ezechiel, Isaïe, Moïse, Samuel, Zacharie et Habachuc. De l’autre côté, Joël, Osée, Michée, Balaam, Amos, Daniel et Sophonie. Remarquons la présence du nombre quatorze, déjà rencontré à la façade occidentale, symbolisant David.

    Le vitrail de l’enfance de Jésus

    Le vitrail de l’enfance de Jésus est fait de médaillons alternativement carrés et circulaires, dont les fonds sont tour à tour d’un rouge de braise et d’un bleu profond.

    C’est un grand vitrail haut de onze mètres et large de trois mètres quatre-vingt.

    L’histoire commence en bas avec l’Annonciation, la Visitation et la Nativité et se poursuit avec l’annonce aux bergers. Nous distinguons ensuite les rois mages qui s’en vont consulter Hérode. Dans le panneau suivant, au troisième rang, les rois mages suivent l’étoile. Jésus, sur les genoux de la Vierge les bénit alors que dans le panneau suivant, les rois mages s’en retournent.

    Dans la rangée au-dessus, nous distinguons des femmes portant des chandelles car c’est le jour de la chandeleur que se fête la Purification. Une troisième femme porte une tourterelle car, lors de la présentation d’un enfant au temple, on en sacrifiait un couple. Viennent ensuite les épisodes du massacre des Saints Innocents ordonné par Hérode. La Sainte Famille s’enfuit et arrive à Sotinen : c’est le thème des panneaux du sixième rang tandis qu’au-dessus les idoles égyptiennes s’écroulent. Un ange prévient Joseph qu’il peut rentrer. Jésus est baptisé alors qu’au-dessus nous voyons l’entrée à Jérusalem.

    Le haut du vitrail est occupé par Marie tenant Jésus sur ses genoux. Elle est entourée d’anges tenant des sceptres. Au-dessus, nous voyons le soleil. La lune est représentée sous forme d’un croissant. Ces deux astres symbolisent l’Ancien et le Nouveau Testament.

    Le vitrail de la Passion et de la Résurrection

    Placé à gauche du vitrail représentant l’enfance du Christ, le vitrail de la Passion est composé de quatorze panneaux qu’il convient de lire de bas en haut et de gauche à droite. Les scènes se détachent sur un bleu surnaturel. Ni le ciel de l’Orient, ni les plus précieux saphirs ne peuvent rivaliser avec ce bleu qui émeut comme une révélation d’un autre monde.

    Le premier panneau représente la Transfiguration. C’est l’aboutissement de la vie humaine du Christ mais un aboutissement dont il avait eu la prescience. C’est pourquoi ce panneau se trouve au début de la fresque.

    A droite Jésus arrive de la montagne, entouré de trois apôtres tandis qu’au-dessus est figurée la Cène et l’institution de l’Eucharistie, puis le lavement des pieds de Pierre par Jésus. Le panneau suivant représente Judas, le traître, embrassant Jésus au milieu des scènes de violence qui opposent Pierre à un garde.

    Enfin dans quatre panneaux figurent l’agonie, la flagellation, la crucifixion, la descente de croix et la mise au tombeau qui vont précéder les cinq dernières scènes représentant la résurrection et l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine et à ses disciples avant de quitter la terre.

    Notre-Dame de la Belle Verrière

    Autre vitrail du 12ème siècle, échappé à l’incendie de 1194, « Notre-Dame de la Belle Verrière » se voit aujourd’hui dans la première fenêtre du bas-côté méridional du chœur. Il représente la Vierge portant l’Enfant avec majesté au milieu de sa poitrine. La grandeur hiératique de son attitude, le bleu de sa robe aux plis circulaires, et enfin l’aspect solennel de l’Enfant font reconnaître un panneau du 12ème siècle enchâssé dans un vitrail plus récent mais de mêmes dimensions. En effet, les larges bordures décorées d’anges, ainsi que les parties basses de la verrière où les noces de Cana et la tentation de Jésus-Christ sont racontés dans un style différent, présentent les caractéristiques de l’art du 13ème siècle.

    Situés dans le déambulatoire sud, ces trois panneaux provenant de l’édifice précédent sont généralement considérés comme les plus anciens.

    Notre-Dame est entourée d’anges et est surmontée de la Colombe de l’Esprit-Saint. Quatre anges supportent son trône. Dans les premiers panneaux, nous voyons les épisodes des tentations du Christ ainsi que le miracle des noces de Cana. Saint Jean relate dans son évangile qu’il s’agit là du premier signe de Jésus. C’est à Cana qu’il ouvre sa mission rédemptrice. Marie prend conscience que sa présence comme mère s’achève ici. « Faites ce que mon fils vous dira » (Jean 4, 5) sont les derniers mots que les évangélistes ont retenus de Marie.

    Démonté en vue d’une restauration, ce vitrail a été remis en place le 21 décembre 1990.

    * Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

    LES VITRAUX DU 13ème SIECLE

    Analysons à présent quelques vitraux du 13ème siècle. Le visiteur de passage ou l’archéologue qui cherche ont souvent difficile à déceler les véritables différences de style entre les nombreuses verrières des fenêtres hautes, des fenêtres basses et des roses. Aucun décor ne semble en effet avoir plus d’unité !

    Le chanoine Y. Delaporte a discerné trois groupes de vitraux.

    1. Le premier groupe est formé par ceux de la nef et de ses bas-côtés.

    Les plus beaux, ce sont aussi les plus anciens et probablement antérieurs à 1215.

    Les saints représentés sur les fenêtres de la nef, avec leur haute taille, leur immobilité solennelle, leur regard sévère, leurs belles draperies retombant sur les pieds et s’évasant en calice de fleur, ont toutes les qualités qu’exigent des figures faites pour être vues d’en bas et à une grande distance.

    Les vitraux des collatéraux de la nef datent de la même période et sont parfois dus au même artiste mais ils sont conçus tout autrement. Il n’y a plus de hautes silhouettes mais des petits personnages enfermés dans une suite de médaillons qu’il faut déchiffrer de près, en commençant par le bas, pour y découvrir les chapitres successifs de l’histoire d’un martyr, d’un confesseur ou d’un patriarche. Quelques-uns de ces vitraux sont d’une grande perfection décorative.

    2. Le second groupe comprend les vitraux du chœur ainsi que ceux du déambulatoire et des chapelles rayonnantes.

    Dans les vitraux du chœur ont été représentés, sous les images des saints, quelques personnages illustres du commencement du 13ème siècle, en humble posture. Ces vitraux ont dû être exécutés entre 1215 et 1220. Ceux du déambulatoire et des chapelles rayonnantes, bien qu’entrepris en même temps, n’ont probablement été terminés que vers 1230. Les uns et les autres ne diffèrent que par quelques particularités de ceux de la nef et des bas-côtés. Le décor ornemental a souvent moins de perfection.

    3. Le troisième groupe est formé par les deux grandes roses des croisillons du transept et les claires-voies qui les accompagnent.

    Ces deux magnifiques ensembles sont à peu près contemporains et datent des environs de 1230. Lorsque nous nous tenons à la croisée du transept, trois grandes roses s’offrent à nos regards. Un silence admiratif s’impose ! C’est dans les bras du transept que se trouvent les vitraux qui furent mis en place les derniers. Ils représentent les apôtres et témoignent par un dessin un peu négligé et par un coloris moins éclatant d’une certaine hâte à achever le décor des fenêtres. Il importe de remarquer qu’à Chartres l’œuvre des verriers accompagne les progrès de la construction. Les vitraux de la nef et des bas-côtés, quasi aussi perfectionnés que ceux du 12ème siècle, témoignent que cette partie de la cathédrale a été construite la première et a précédé le chœur, tandis que le caractère des vitraux des fenêtres hautes du transept indique cette partie de l’église comme la plus récente.

    La Rose occidentale

    La Rose occidentale est la première rose édifiée dans cette cathédrale. Le remplage (structure en pierre de la rose) tient encore une grande place. Mais déjà en cette rose, on décèle toute la dynamique de l’art gothique.

    La Rose occidentale, consacrée au Jugement dernier et dont le donateur est inconnu, domine majestueusement le Portail royal de ses 13 mètres 50 de diamètre comme elle surplombe aussi les trois merveilleuses lancettes qui représentent l’Arbre de Jessé, l’enfance du Christ et sa Passion.

    Il est frappant de constater que le nombre douze se retrouve dans toutes les scènes de cette rose : douze lobes, douze colonnettes, douze quatre-feuilles.

    Le Christ dans le vitrail central montre ses plaies aux vivants et aux morts qu’il vient de juger. Des anges sont inscrits autour de lui dans un premier cercle. Certains présentent les instruments de la Passion. D’autres jouent de la trompette. De part et d’autre du Christ figurent les apôtres, deux par deux. Au sommet de ce cercle, Abraham accueille en son sein les élus. Dans le bas, saint Michel pèse les âmes tandis qu’un diable essaie de faire pencher la balance de son côté. A gauche un ange conduit les élus. De l’autre côté, un diable se saisit des damnés.

    La Rose nord et les lancettes

    La Rose nord, dans la pénombre, la troisième dans l’ordre d’édification des roses, a été offerte par Blanche de Castille et Saint Louis. Elle montre les lis de France et les tours de Castille : c’est un don de la mère de Saint Louis au temps de la minorité de son fils. C’est en effet à l’époque de Saint Louis que furent ajoutées les trois grandes roses qui illuminent la cathédrale. Avec son décor intact de sculptures et ses vitraux du 13ème siècle, Chartres est parvenue à nous dans l’état où la vit Saint Louis, miraculeusement préservée. Elle célèbre à la fois la Vierge et son fils.

    Assise sur un trône, la Vierge Marie tient un sceptre dans sa main droite et porte l’Enfant Jésus qui bénit le monde. Autour d’elle, trois cercles de douze panneaux. Des colombes et des anges forment un premier cercle autour d’elle. Viennent ensuite les rois de Juda, ses ancêtres, assis dans des médaillons carrés qui forment le second cercle. Douze petits prophètes la couvrent de louanges dans un troisième cercle.

    Au bas de la rose, dans les écoinçons, nous distinguons huit vitraux plus petits qui présentent en alternance les armes de la maison de France, lys d’or sur champ d’azur et celles de Castille, berceau de la reine Blanche, mère de Saint Louis.

    Au pied de la rose, emplissant les cinq lancettes de la claire-voie, nous distinguons des personnages solennels de haute stature et debout : de gauche à droite, Melchisedech tenant une coupe de vin avec un pain rosé dessus et balançant un encensoir. A ces emblèmes de la foi est opposé en dessous Nabuchodonosor, prosterné devant une idole faite d’or, d’argent, de fer et d’argile. Vient ensuite David, auteur de psaumes, représenté avec sa cithare. Il surmonte Saül à qui il a succédé et qui se suicide en se perçant le corps avec son épée. Au centre sainte Anne porte Marie dans ses bras. A sa droite, Salomon dont la sagesse s’oppose à la folie de Jéroboam qui fait élever des veaux d’or. Enfin, Aaron tient un rameau et le Livre de la loi. Il porte le pectoral orné de pierres précieuses des prêtres tandis qu’au-dessus, Pharaon est jeté à terre et s’abîme dans les flots en poursuivant le peuple de Dieu lors du passage de la Mer Rouge.

    Le temps a donné à quelques-unes de ces figures un caractère grandiose et terrible : le teint brun d’Aaron et de Melchisedech est devenu noir et le blanc de leurs yeux éclaire de sombres visages d’Éthiopiens. Sainte Anne elle-même semble une princesse de l’Inde. Mais le bleu de la rose, ce bleu des armes de France, verse sur ce grand ensemble son apaisement et sa douceur.

    La Rose du midi et les lancettes

    La Rose sud, éblouissante en plein soleil du midi, a été offerte par Pierre Mauclerc, comte de Dreux puis duc de Bretagne, un des grands bienfaiteurs de la cathédrale. Il figure à droite tandis que sa femme, Alix de Bretagne, se trouve à gauche. Leurs enfants ont été représentés à chaque extrémité. Les armes de la famille se retrouvent sur chacun d’eux.

    La Rose du midi célèbre le Christ dans l’éternité. L’ensemble reprend la vision de l’apôtre Jean découvrant Jésus assis sur un trône, bénissant le monde de sa main gauche et tenant un calice de la main droite. Autour de lui, disposés dans trois cercles de couleur et de lumière, rayonnent des animaux symboliques. Dans un premier, nous reconnaissons un lion qui représente saint Marc, un bœuf qui représente saint Luc, un aigle saint Jean et un homme saint Mathieu, ainsi que huit anges thuriféraires.

    Dans le second cercle nous reconnaissons les vingt-quatre vieillards musiciens de l’Apocalypse portant des coupes d’or. Certains jouent de la harpe, d’autres de la cithare ou de la viole. Ils célèbrent les louanges de l’Éternel.

    Sous cette rose, cinq grandes lancettes constituent une sorte de résumé de ce que nous disent sculptures et vitraux. Dans la lancette centrale, la Vierge tient l’Enfant Jésus dans ses bras.

    La claire-voie nous ramène du ciel sur la terre. Elle nous rappelle que le Christ triomphant nous a été annoncé par l’Ancien Testament aussi bien que par le Nouveau et qu’entre les deux livres il y a une harmonie profonde. En effet, de chaque côté, comme pour marquer la continuité d’un Testament à l’autre, quatre grands prophètes portent sur leurs épaules les quatre évangélistes, le regard tourné vers Jésus et sa mère. De gauche à droite, nous reconnaissons Jérémie et saint Luc, Isaïe et saint Matthieu puis Ézéchiel et saint Jean l’Évangéliste, Daniel et saint Marc. Cela signifie que les évangélistes trouvent dans les prophètes leur point d’appui, mais qu’ils voient de plus haut qu’eux et de plus loin. Les figures sont graves. Malgré l’étrangeté de leur pose, elles restent nobles.

    C’est surtout Notre-Dame que le clergé de Chartres a voulu honorer. C’est pourquoi une vingtaine de roses ou de verrières lui sont consacrées. Tantôt l’artiste a raconté quelques épisodes de son histoire, tantôt il l’a représentée seule avec l’Enfant Jésus.

    Mort et Assomption de la Vierge

    Ce très beau vitrail, fortement représentatif de la confiance en Marie des hommes du 13ème siècle, fut offert par les cordonniers, en pleine activité dans la partie basse du vitrail. De bas en haut, nous apercevons la Vierge sur son lit de mort. Elle est entourée par les apôtres ainsi que par des femmes. Au-dessus, son âme est présentée au Christ par des anges tandis que son corps est transporté par sept apôtres avant d’être déposé dans un sarcophage bleu. Enfin ressuscitée, elle est couronnée par son fils qui l’installe à sa droite alors que le Saint Esprit est figuré sous la forme d’une colombe.

    Bien qu’il n’ait conservé que sa partie basse, le vitrail suivant mérite une attention particulière.

    Les miracles de Notre-Dame

    Installé dans le bas-côté sud, ce vitrail, moins admiré que d’autres, est pourtant celui qui symbolise le mieux la raison pour laquelle la cathédrale fut consacrée à Marie. Il est l’aspiration de tous ceux qui souffrent et qui attendent un soulagement par l’intermédiaire de la mère du Christ.

    On y voit représentés deux lourds véhicules à quatre roues chargés, l’un de sacs gonflés, l’autre d’un grand tonneau. Ce ne sont pas des chevaux qui y sont attelés mais des hommes, et, au-dessus de leur tête, une bannière se déploie. Ces chariots se dirigent vers une statue de la Vierge qu’entourent des pèlerins en prière. Il s’agit d’un des épisodes racontés par le « Livre des miracles de Notre-Dame de Chartres ». Nous reconnaissons ces paysans des villages de la Beauce s’attelant aux chars et venant apporter du blé, du vin, des pierres, de la chaux aux ouvriers qui rebâtissaient la nouvelle cathédrale après l’incendie de l’ancienne en 1194. La statue vénérée par les pèlerins, que domine la Vierge assise sur son trône dans le ciel, c’est Notre-Dame de Chartres. Nous sommes donc ici en présence d’un souvenir d’un événement presque contemporain dont l’artiste avait pu être le témoin.

    Dans la partie basse, nous apercevons des pèlerins en prière tandis que d’autres tendent des offrandes ou plus simplement une béquille, gage d’un miracle. Partout la Vierge présente un visage de bonté vers ceux qui font appel à elle.

    Ce vitrail fut offert par la corporation des bouchers. Trois grands quatre-feuilles ont été abîmés lors d’un nettoyage et ont été remplacés par du verre blanc jusqu’en 1927, date à laquelle ils ont été reconstitués dans l’esprit du 13ème siècle.

    C’est ainsi que nous pouvons à présent contempler dans le premier un architecte au milieu des compagnons ; dans le deuxième, le passage de la Sainte-Châsse au milieu des déshérités ; dans le dernier, la Vierge en compagnie des prophètes et de saint Yves et saint Fulbert, anciens évêques de Chartres.

     

    Mais le clergé de Chartres a aussi cru devoir respecter les dévotions particulières de chacun. C’est ainsi que cinq vitraux ont été consacrés à saint Nicolas et quatre à saint Martin !

    Examinons successivement les vitraux consacrés à saint Nicolas, à saint Joseph, à saint Apollinaire, à saint Jean l’Évangéliste, à saint Eustache, à saint Lubin, à Noé.

    Le vitrail consacré à saint Nicolas

    L’histoire légendaire de saint Nicolas commence par sa naissance, son bain par deux femmes et le refus du lait maternel. La légende voulait que dès l’enfance, il jeûnait le vendredi.

    Après avoir montré saint Nicolas étudiant, le deuxième médaillon central relate l’épisode d’un père si pauvre qu’il s’apprête à livrer ses filles à la prostitution. Saint Nicolas les sauve en lançant une bourse. Le père le remercie en se jetant à ses pieds. Un autre médaillon nous montre Saint Nicolas nommé évêque.

    Au troisième médaillon central, saint Nicolas rend à ses parents un enfant après qu’il fut tombé à la mer.

    Dans les médaillons des côtés, c’est l’histoire de l’aubergiste assassinant ses hôtes à l’aide de sa femme.

    Tout en haut, un emprunteur de mauvaise foi reçoit de l’argent d’un juif. Il dissimule l’argent dans une canne creuse alors qu’il fait tenir celle-ci par le prêteur. Il jure sous l’image du saint qu’il ne doit rien. L’emprunteur est écrasé par un attelage et les pièces se répandent en sortant de la canne creuse.

    Les merciers et les apothicaires que l’on voit au bas du vitrail sont les donateurs de ce vitrail.

    Le vitrail consacré à saint Joseph

    L’histoire contée par ce vitrail commence par le songe de Joseph apercevant le soleil, la lune et les étoiles. Nous voyons ensuite Jacob envoyant son fils garder les moutons avec ses frères. Ceux-ci, ayant décidé de le faire disparaître, le descendent dans une citerne pour finalement le vendre. Ils montrent à leur père son vêtement qu’ils ont taché de sang. Vient ensuite l’épisode où la femme de Putiphar tente de séduire Joseph et le fait jeter en prison après avoir été éconduite par celui-ci. Joseph qui a commenté les rêves de ses compagnons de prison explique à Pharaon son rêve qui concernait les sept vaches grasses et les sept vaches maigres.

    Dans la partie suivante, les égyptiens sont occupés à remplir leurs greniers tandis que les fils de Jacob, représentés sur des dromadaires, envoyés par lui en Egypte retrouvent leur père qui leur pardonne en leur offrant un repas. L’histoire se poursuit dans les épisodes du dernier grand panneau : les fils de Jacob sont accueillis par leur père lors de leur retour. Jacob part en Egypte et retrouve son fils. La lecture du vitrail se termine par un Christ en majesté. Les changeurs sont les donateurs de ce vitrail. Ils sont représentés de part et d’autre du premier grand panneau.

    Le vitrail consacré à saint Apollinaire

    Le haut du vitrail nous présente le martyr de saint Apollinaire. Toute la partie inférieure du vitrail nous décrit la période de sa vie durant laquelle il a accompli des miracles. C’est ainsi que nous le voyons guérir un enfant paralysé, baptiser et soigner des malades. Puis c’est l’exil durant lequel il exorcise un possédé et ramène une femme morte à la vie.

    La partie inférieure comporte une grisaille du 14ème siècle où sont représentés Guillaume de Thierry devant la Vierge, saint Cyr, saint Sulpice et saint Mathurin.

    Le vitrail de saint Jean l'Évangéliste

    Le vitrail de saint Jean l’Évangéliste nous montre la vie du saint avec des épisodes extraordinaires comme les jeunes gens brisant des pierres précieuses que saint Jean reconstitue en enseignant la charité.

    Dans le troisième médaillon central, l’apôtre boit la coupe empoisonnée devant Aristodème. A côté, nous pouvons voir la préparation du poison avec des serpents écrasés. Les armuriers sont les donateurs de ce vitrail.

    Le vitrail consacré à saint Eustache

    En commençant par le bas, nous voyons Placide qui deviendra saint Eustache. Tout autour figurent des scènes de chasse. Ensuite, lui et sa famille quittent leur pays et continuent leur voyage en bateau.

    Ne pouvant payer, il est précipité par dessus bord tandis que sa femme est prise en otage. Tout autour, des soldats envoyés par l’empereur le recherchent. Ils le trouvent et lui parlent. Ses fils le reconnaissent.

    En remontant, nous découvrons Eustache au milieu d’un gué alors qu’un lion emporte un de ses enfants et qu’un loup en emporte un autre. Puis il retrouve sa femme.

    Les trois derniers panneaux représentent son martyr et celui de sa famille car ils n’ont pas voulu adorer les idoles de l’empereur.

    Les panneaux représentant les donateurs entourent le deuxième vitrail central : il s’agit des drapiers et des fourreurs.

    Le vitrail consacré à saint Lubin

    La lecture de ce vitrail débute avec les marchands de vin donateurs du vitrail. Ce thème est repris dans la plupart des petits médaillons compris dans la bordure tout autour de celui-ci. Les autres panneaux racontent la vie du saint.

    L’histoire commence par une procession. Devant une ville, saint Lubin se trouve au milieu de ses moutons. Il rencontre un moine qui lui apprend à lire en suivant un alphabet sur sa ceinture.

    Les médaillons centraux présentent successivement un attelage transportant un tonneau, un homme tirant le vin de ce tonneau et un prêtre célébrant la messe. Les autres scènes sont des évocations de saint Lubin apprenant à écrire, devenant moine, enfin sacré évêque et tenant un vase d’eau.

    Citons encore :

    • Le vitrail consacré à saint Germain l’Auxerrois, à l’entrée du bas-côté septentrional du chœur. Il nous montre sous quel aspect la vie des saints apparaissait aux hommes du Moyen Age. Il n’est qu’une suite de miracles.
    • Le vitrail de saint Julien l’Hospitalier, le plus dramatique des romans, récit singulier dont l’origine est inconnue et qui commence comme une épopée chevaleresque. Les charpentiers, qui donnèrent le vitrail, apprenaient, en le déchiffrant, qu’il ne faut jamais désespérer, et que la pénitence rend à l’âme son innocence baptismale.
    • Le vitrail consacré à la légende de Charlemagne est assez étrange. Ce n’est pas la sainteté qui est exaltée mais l’héroïsme. C’est une œuvre de pure poésie, empruntée à trois récits différents dont l’empereur est le héros. La première partie du vitrail, celle du bas, illustre le fabuleux récit du « Voyage de Charlemagne en Orient».

    Dans la description des vitraux, comme dans celle de la statuaire, il faut pouvoir se limiter à l’essentiel. Terminons donc cette analyse des vitraux par l’histoire de Noé.

    Le vitrail de Noé

    Le thème d’un Dieu créateur se retrouve dans l’histoire de Noé que nous découvrons en entrant dans la cathédrale sur le premier vitrail au fond du bas-côté nord. Dieu avait créé l’homme d’une manière admirable. Il le recrée d’une manière plus admirable encore dans le Christ. Noé en est déjà le symbole. Quant à l’arche, elle peut préfigurer l’Eglise, l’eau, le baptême…

    En effet, nous pouvons lire la terrible aventure de Noé comme la volonté du Très Haut de recréer un monde brisé par le péché des hommes : du meurtre d’Abel à l’orgueil démesuré des constructeurs de Babel. Le déluge est une sorte de purification générale par l’eau.

    L’arche salvatrice permettra à un couple unique de chaque espèce, échappant à la sanction divine, de donner naissance à une lignée nouvelle. Nul doute que bien des symboles vont illustrer ce récit.

    Le sens des premiers panneaux est difficile à déchiffrer. Aussi, examinons les sept carrés sur pointe et quelques quatre-feuilles ou demi-cercles qui les entourent.

    Dans le premier médaillon central, Dieu parle à Noé et lui demande de construire l’arche. Les fils de Noé observent la construction que nous voyons dans le médaillon central suivant.

    Au deuxième médaillon, Noé se met au travail tandis que dans les deux quatre-feuilles et les deux demi-cercles qui jouxtent la construction de l’arche, les créatures, en commençant par l’homme, entrent par couple dans l’arche.

    A la hauteur du troisième carré sur pointe, le demi-cercle de gauche nous montre encore l’entrée des derniers animaux. Remarquons le dessin assez fantaisiste du dromadaire. Il est grand temps que les derniers animaux rejoignent l’embarcation car, à droite et au-dessus de l’arche, les vivants, hommes et animaux, sont noyés par le flux dévastateur.

    Le troisième médaillon central montre l’arche sur les flots. Elle est soulevée par les vagues du déluge, et parmi les animaux sauvés par le patriarche, à côté du cheval et de l’éléphant, nous voyons un griffon ailé au bec d’aigle.

    Mais bientôt l’espoir va revenir : le quatrième panneau central représente la colombe s’envolant de l’Arche. Elle vole de gauche à droite d’abord sans rien transporter puis revient vers l’arche tenant un rameau vert dans le bec.

    Les deux quatre-feuilles du registre suivant illustrent la décrue. A droite, les eaux ayant commencé à baisser, la colombe revient avec un rameau d’olivier. Au-dessus, les eaux continuent à baisser. Après la fin du déluge, Noé lâche tous les animaux, ceux-ci continuent à sortir de l’Arche. Le carré sur pointe, toujours dans l’axe central, nous montre Noé passant la tête par la lucarne. Il voit ainsi s’éloigner ceux qui désormais devront engendrer pour repeupler la terre.

    Les derniers registres sont consacrés à la vie des hommes après le Déluge : au centre, c’est la malédiction de Cham.

    Les deux quatre-feuilles qui surplombent montrent, à gauche, la culture de la vigne tandis qu’à droite la famille de Noé est agenouillée.

    L’avant-dernier panneau central et ceux qui l’entourent nous présentent une scène de vendange. C’est la cueillette du raisin, le pressoir et la fabrication du vin ; à droite, le vin est dégusté. Noé goûte le vin.

    Le dernier carré sur pointe révèle la nouvelle Alliance de Dieu : en haut du vitrail, Dieu est accoudé sur l’arc-en-ciel, signe de l’Alliance qu’il propose à l’humanité.

    Hélas, comme la première création, la seconde à partir de l’arche, connaîtra encore le péché. Il faudra donc désormais attendre la venue d’un Sauveur, celui que les prophètes annoncent et que la Vierge Marie mettra au monde.

    Dans le bas on peut voir des médaillons représentant les charrons et les tonneliers qui sont les donateurs de ce vitrail.

     

    Comme nous venons de le constater, les verrières de Chartres proposent d’innombrables sujets à l’attention des fidèles. Le vitrail du « Bon Samaritain » est un vitrail dogmatique où sont enseignées les profondes résonances de la parole divine.

    Le Bon Samaritain

    Comme son nom l’indique, il est consacré à l’histoire du « Bon Samaritain », la plus touchante peut-être des paroles évangéliques. Les docteurs du Moyen Age y voyaient une leçon de charité mais ils y discernaient aussi des mystères cachés, ce que nous dévoile le vitrail par sa composition singulière.

    « Le Bon Samaritain » est un exemple de vitrail narratif. Il est situé dans le bas-côté sud, à l’étage inférieur à la 3e fenêtre. Il s’agit d’une verrière de 8 m de haut sur 2,5 m de large environ, une mosaïque de quadrilobes eux-mêmes insérés dans d'autres quadrilobes, soit au total 24 médaillons dans lesquels sont enfermées les scènes. Un premier regard fait apparaître deux histoires. Dans la partie inférieure, c’est le récit de la parabole du « Bon Samaritain ». Dans la partie supérieure, c’est le récit de la Genèse avec la création d’Adam, puis celle d’Eve et l’épisode de la perte du paradis terrestre. C’est enfin l’histoire de Caïn et Abel. Tout en haut se trouve le Rédempteur.

    Le vitrail se lit de bas en haut et de gauche à droite.

    • Les trois premiers médaillons sont réservés aux donateurs : les cordonniers.
    • Vient ensuite, dans la partie inférieure (4 à 12) l'illustration de la parabole : comme le Christ sauve l'homme, le Bon Samaritain sauve le blessé.
    • Au premier quatre-feuilles, en bas, Jésus raconte la parabole et celle-ci va se dérouler comme une bande dessinée, tout au long de la première moitié de la fenêtre.
    • Au second registre du premier quatre-feuilles, un homme part de Jérusalem vers Jéricho. Il quitte la ville par la grande porte. Le sens premier de cette représentation, c’est un homme qui sort de Jérusalem ; le sens allégorique, c’est Adam qui quitte l'Eden ; au sens moral,  le lecteur est invité à prendre son bâton de pèlerin ; quant au sens analogique, c’est la quête spirituelle du Paradis perdu.
    • Au centre, un brigand dégaine un glaive derrière le pèlerin qui ne se doute de rien. A droite, l’homme est dépouillé et frappé par trois voleurs.
    • Au lobe supérieur, un prêtre et un lévite passent en regardant le blessé sans toutefois l’approcher, en raison de l’impureté rituelle qu’ils contracteraient en touchant cette victime.
    • Au registre suivant, à gauche, un Samaritain s’arrête et panse le blessé. Il lui entoure la tête d’une bande. Au cercle central, le Samaritain marche à côté de la monture sur laquelle il a placé l’homme accidenté. Il le porte jusqu’à l’hôtellerie, figurée dans le demi-quatre-feuilles à droite.
    • Au lobe inférieur du deuxième quatre-feuilles, s’achève le récit de la parabole : l’homme blessé reste pensionnaire de l’hôtelier tandis que le Samaritain prend congé de lui.
    • Sans aucune transition, le maître verrier inscrit à présent dans le vitrail le récit de la création et de la chute originelle (13 à 24).
    • Dans le lobe de gauche, le Verbe de Dieu donne le souffle de vie à l’homme qu’il vient de modeler : un double trait, partant de la bouche du créateur passant devant la main qui bénit, vient toucher les lèvres de l’homme créé.
    • Au centre, dans le petit quatre-feuilles, Adam, nu, est au milieu de la végétation du jardin terrestre.
    • A droite, du côté d’Adam endormi, Dieu tire le corps d’Eve. A peine le couple est-il réuni que Dieu lui montre l’arbre dont il ne devra pas manger les fruits.
    • Au registre suivant, demi-quatre-feuilles de gauche, Eve est en grande conversation avec Adam, sa main droite semble rythmer ses dires. Il s’agit de décider si l’on mange, ou non, de ce fruit défendu.
    • Dans le cercle central, Eve tient dans sa main gauche la pomme, alors que Adam, à droite de l’arbre, porte sa main droite à la gorge enserrant ce que nous appelons la « pomme d’Adam ».
    • Au demi-quatre-feuilles à droite, Dieu se promène dans le jardin d’Eden, appelant Adam.
    • La sanction de cette désobéissance ne tarde pas : au lobe inférieur du dernier quatre-feuilles, un ange, armé d’un glaive de feu, chasse les deux fautifs de l’Eden vers la terre.
    • Au registre suivant, à gauche, Eve, repérable à sa poitrine et au fuseau qu’elle tient, file la laine tandis qu’Adam bêche le sol.
    • Au centre, montrant de sa main le sol, Dieu leur fait la morale.
    • Le lobe de droite exprime le second temps du péché originel : le meurtre d’Abel par Caïn. Le premier péché était contre Dieu, le second est contre l’homme.
    • Le lobe supérieur de ce dernier quatre-feuilles montre Dieu tenant en sa main gauche le monde et le bénissant de sa main droite.

    En ce qui concerne les couleurs, nous sommes en présence d’un ensemble à dominante bleue dans lequel nous repérons les cinq médaillons du centre à fond rouge.

    La parabole du « Bon Samaritain », extraite de l’Évangile de saint Luc (10, 29 – 37), est trop souvent présentée comme une simple leçon de charité chrétienne. Au 13ème siècle cette parabole était le support d'une réflexion théologique importante. Le thème du Bon samaritain, repris fréquemment au Moyen Age, par exemple à Sens et à Bourges, livre un message théologique de grande portée.

    Nous avons donc vu que toute la partie basse était consacrée au récit de l’Évangile mais la seconde partie du vitrail n’est qu’un commentaire interprétant le texte. Suivant la pensée des docteurs du Moyen Age, l’histoire du voyageur est celle de l’humanité tout entière. Le voyageur, c’est l’homme : il est attaqué par une troupe de voleurs, c’est-à-dire par la réunion des péchés, qui fondent sur lui et le dépouillent de sa tunique, symbole de son immortalité. Le Bon Samaritain est le Christ lui-même, qui conduit l’homme dans l’Eglise. Au médaillon n° 9, le Samaritain a pris les traits du Christ.

    Au médaillon n° 11, l'hôtelier symbolise l'Eglise qui accueille, et les quatre chevaux représentent les quatre Évangiles que l'Eglise doit répandre pour guérir l'humanité blessée.

     

    En général, un vitrail se lit de bas en haut et de gauche à droite. Dans la cathédrale de Chartres, l’entorse la plus significative à cette règle est celle du vitrail de la Rédemption qui doit se lire de haut en bas avec une portée symbolique évidente.

    Le vitrail de la Rédemption

    • La lecture de ce vitrail est assez complexe. Elle commence donc exceptionnellement par le haut avec le Christ bénissant.
    • Sous cette scène, c’est le portement en croix.
    • En descendant, nous découvrons successivement la grappe de raisin ramenée de Canaan par les envoyés de Moïse et préfigurant le Christ puis l’apparition de l’ange à Gédéon.
    • A droite, la flagellation fait pendant au couronnement d’épines.
    • Toujours en descendant, entourant le Christ en croix, nous découvrons des représentants de l’Eglise et de la Synagogue.
    • La rangée suivante nous montre, au centre, Adam au pied de la croix surmontant Jonas alors qu’à gauche figure Moïse et le serpent d‘airain, et à droite le peuple d’Israël prépare la sortie d’Egypte en marquant les linteaux de portes du sang de l’agneau pascal.
    • Vient ensuite la déposition de croix entourée du sacrifice d’Abraham qui surmonte un pélican nourrissant ses petits de son sang. Abraham symbolise le père (Dieu) dont l’enfant Isaac (le Christ) va être sacrifié.
    • En dessous, Jacob et de chaque côté les épisodes d’Elie et d’Elisée.
    • Enfin en bas la mise au tombeau est encadrée par Samson emportant les portes de Gaza à gauche et à droite David ouvrant la gueule d’un lion. Samson est également considéré comme une préfiguration du Christ.

    L’idée profonde de ce vitrail est de montrer la continuité entre les deux Testaments, en faisant des parallèles entre des scènes de l’un et de l’autre Testament.

    Les vitraux de Chartres forment un ensemble éblouissant qu’aucun autre n’égale. Un petit nombre de tons, le bleu, le rouge, un peu de jaune et de vert, quelques touches de blanc, et parfois un peu de brun qui tend à la pourpre violette, font naître par leurs rapports exquis une harmonie qui nous enchante. Toutes ces couleurs s’éveillent avec les ciels éclatants, s’assoupissent avec les ciels voilés. Elles emplissent la cathédrale d’une lumière irréelle qui se métamorphose avec les heures du jour et les nuages qui passent. Éclatantes ou apaisées, elles ouvrent le monde du rêve.

    POUR CONCLURE : UN ESSAI SUR LE SYMBOLISME DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES

    La cathédrale de Chartres, peut-être plus qu’aucune autre, est, comme la Bible qu’elle exprime, un grand livre fermé pour le profane, un livre d'images que chacun peut lire à sa façon. Mais elle est surtout un signe d’intelligence fait par-delà les siècles. Les spéculations les plus farfelues sont nées de ce bel édifice. Il n'en demeure pas moins vrai que le symbolisme y est omniprésent et que nous ne pouvons pas l'ignorer.

    Comme tous les livres, il y a plusieurs lectures possibles, soit avec un regard «profane», loin de s'imaginer ce que représente toutes ces sculptures, gravures, vitraux ou peintures, soit avec un certain regard «d'initié» qui nous révèle ce que les imagiers ont voulu exprimer, qui nous amène à lire autrement le message de ce magnifique vaisseau de pierre.

    Ce monument où l'iconographique chrétienne rayonne de toutes parts est une véritable Bible ouverte pour qui sait la lire et pour qui connaît la Bible.

    Comme tout signe, le symbole établit un rapport entre une forme quelconque et un référent. Le symbole oblige à voir différentes perspectives et ces différents aspects permettent de s'approcher de la solution unique. Mais encore faut-il savoir l'interpréter, ce que les uns voient ici, d’autres y liront davantage.

    Prenons un exemple à l’intérieur de la cathédrale : sur le vitrail de la Passion Typologique (la Rédemption), le 6e du bas-côté nord en entrant par le portail ouest, offert par les maréchaux ferrants et les forgerons, figure un pélican se crevant le flanc (4e élément en  partant du bas). Là où nous voyons un pélican se mutiler pour nourrir ses petits, symbole de l'amour parental, l'iconographie chrétienne en a fait le symbole du Christ versant son sang pour sauver l'humanité, expliquant du fait le nombre d'oisillons qui sont trois, symbolisant le corps, l'âme et l'esprit.

    De tous temps le symbole a été usité pour la transmission des messages et ce en toutes civilisations, que ce soit avec les gravures paléolithiques, les hiéroglyphes égyptiens, voir les idéogrammes chinois. Le symbole a toujours parlé à l'homme et l'homme a toujours interprété le symbole. Il est du reste intéressant de noter qu'une fois que l'on possède la clé, la lecture des cathédrales est identique.

    En effet, le symbole étant la clé, il suffit de savoir interpréter pour que s'ouvre à vous dans une limpide compréhension le message des constructeurs. Comme le souligne les alchimistes dans leur devise :

    « Lege, lege, relege, ora, labora et invenies » :

    « Lis, lis, relis, prie, travaille et tu trouveras ».

    Le plan de la cathédrale, en forme de croix, ne serait-il pas une allusion au Christ crucifié ?

    L'orientation du bâtiment est importante pour le chrétien car elle matérialise la marche des ténèbres vers la lumière et trouve un sens dans les représentations figurées aux portails et vitraux de la cathédrale.

    Le labyrinthe de la nef est à la fois un raccourci du pèlerinage à Jérusalem des croisés et du long parcours du pécheur vers le salut.

    Les nombres et leur symbolisme se révèlent à nous en maints endroits de la cathédrale. Les nombres trois, quatre, sept, dix, douze, quatorze et vingt-quatre y sont représentés.

    Ainsi, le nombre sept, considéré comme sacré, a présidé à l'organisation du plan de la cathédrale : c’est ainsi qu’on dénombre sept chapelles absidiales rayonnantes, sept travées de la nef, sept travées du transept dans sa totalité… A l’époque, on parlait des sept planètes du Cosmos et la cathédrale était considérée comme la projection sur terre de ce qui est dans le ciel.

    Le nombre sept, correspondant également au nombre de statues des porches latéraux du Portail royal, évoque le nombre sacré ainsi que celui des dons de l’Esprit Saint, de même que la somme de trois et de quatre qui évoquent des arts libéraux également au nombre de sept si l’on réunit le « trivium » et le « quadrivium ».

    Pour les chrétiens, sept est un nombre sacré puisque le monde a été créé en sept jours. C’est surtout celui de la Vierge, la « pietas », relié aux sept dons du Saint-Esprit visibles au vitrail de l’Arbre de Jessé.

    Au porche central du Portail royal, les deux groupes de cinq statues évoquent le nombre dix, symbole de la perfection chez les Grecs et spécialement pour Pythagore dont les théories étaient étudiées dans les écoles autour des cathédrales comme à Chartres.

    Dix est la somme de 1 + 2 + 3 + 4 connu des anciens sous le nom de « Tetrakthys ».

    Selon Pythagore, dix signifie la perfection. C’est le nombre parfait, représenté en bonne place dans le tympan de la Porte de la Vierge au Portail royal. Est-ce pour cela que le nombre de statues aux ébrasements du portail central était de dix ?

    Le roi David a été représenté à la quatorzième place en partant de l’extérieur gauche de la façade occidentale. Rappelons que dans l’Antiquité, les lettres servaient aussi de chiffres et qu’en Hébreu il n’y a pas de voyelles. Dès lors, si l’on veut bien considérer la valeur des lettres servant à écrire le nom de David, qui est composé de Daleth, Vau et Daleth, et sachant que Daleth correspond à quatre et Vau à six, le nom de David correspond alors au nombre quatorze. Quatorze est le nombre messianique, comme le rappelle le premier chapitre l’Evangile de saint Matthieu : il s’agit de la « gématrie » du nom de David. Le nombre de générations dans la généalogie d’Abraham à David est de quarante-deux. Jésus-Christ y est dit fils de David, à la fin de trois séries de quatorze générations.

    Le premier chapitre de Matthieu est sa profession de foi. Le Jésus dont il va rapporter l’histoire est, pour lui, « le parfait David », ce que symbolise le « 3 fois 14 » des 42 générations. Quatorze, somme de dix et quatre est également le double de sept.

    Chartres est la seule cathédrale qui possède un Portail royal. Ce qualificatif lui a été attribué parce que les créatures qui y règnent, participent de la royauté du Christ. Tout y parle de dix (la perfection) et de quatorze (la royauté de David). Il ne faut donc pas être surpris de trouver sous l’Eternel, qui est aussi Christ du jugement, quatorze « apôtres ».

    Deux témoins de l’Apocalypse encadrent les douze apôtres. Le fait que ces deux personnages aient été représentés en retrait par rapport aux douze autres s’explique aussi par le symbolisme du nombre sept. Douze, résultat du produit de trois par quatre, est en effet le nombre des apôtres.

    Les nombres quatorze et dix sur lesquels se fonde tout le symbolisme du Portail  royal, sont signés de leurs auteurs : au-dessus de saint Matthieu figure précisément Pythagore.

    Le nombre vingt-quatre représente, dans le texte sacré, les 24 divisions de l’espace et du temps selon la cosmologie babylonienne, qui est à l’origine de nos 24 heures. Vingt-quatre, c’est aussi deux fois douze, est représenté par les vieillards de l’Apocalypse. Les vingt-quatre vieillards, couronnés et musiciens, sont l’harmonie des sphères de Pythagore : ils représentent ici la symphonie de l’univers, « la ronde sonore des heures ».

    Aux porches du Portail royal, cinq statues ont disparu. Elles ont été remplacées par des fûts de colonnes. Si nous dénombrons ces statues, en tenant justement compte de celles qui ont disparu, et si nous prenons en compte les trois statues qui se trouvent tout à fait à l’extérieur, de chaque côté, nous obtenons alors la disposition suivante :

     

    3          4          5          5          4          3

     

    7                     10                   7

     

    ce qui nous met à nouveau en présence des nombres sept, dix et vingt-quatre.

     A.  B.

    Bibliographie

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    Le symbolisme des nombres

    Editions Traditionnelles

     

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    Notre-Dame de Chartres

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    L'art religieux du 13ème siècle en France

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    Manhès-Deremble Colette

    Le vitrail du Bon Samaritain

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    Guide de Chartres

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    Les portails de la cathédrale de Chartres

    Editions Jean-Michel Garnier, Chartres, 1994

     

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    La cathédrale de Chartres

    Editions Jean-Michel Garnier, Chartres, 1994

     

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    Les guides du patrimoine

    Chartres

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    B.Ouvrages à propos ds vierges noires

    Roland Bermann préfacé par Jean Tourniac

    La Vierge noire, vierge initiatique

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    Jacques Huynen

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    Blondel, L. Grodecki, F. Perrot et J. Taralon

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    Arthot & Mansion

    Courbes usuelles et tracés géométriques

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    Mystique des tailleurs de pierre

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    Eglise romane, lieu d'énergie

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    Le langage des Images

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    Delaporte Yves

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    Erlande-Brandenburg Alain

    De pierre, d'or et de feu, la création artistique au Moyen Age

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    Collection « J’ai lu »

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    Jacq Christian

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    Jeauneau Edouard

    L'Age d'or des Ecoles de Chartres

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    Joly Roger

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    Chartres - Le Labyrinthe déchiffré

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    Guide des vitraux - Cathédrale de Chartres

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    Aperçus sur la Géométrie Sacrée

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    Les Mystères de la Kabbale

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    Prache Anne

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    Les cathédrales de France

    Editions Armand Colin, 1925

     

    Sauvanon Jeanine

    Les Métiers du Moyen Age

    Leurs signatures dans les vitraux

    Editions Houvet, Chartres

     

    Schwartz Fernand

    La symbolique des cathédrales

    Editions Homo Religious, 1991

     

    Schwob René

    Le portail royal

    Editions Bernard Grasset, 1931

     

    Trintignac André

    Notre-Dame de Chartres

    Editions Cerf, 1988

     

    Vieux Maurice

    Les secrets des bâtisseurs

    1994, Editions Jean-Michel Garnier

     

    Villette Guy Abbé

    La cathédrale de Chartres – œuvre de haut savoir

    Editions Jean-Michel Garnier, 1994

     

    Villette Jean

    Le plan de la cathédrale de Chartres – hasard ou stricte géométrie ?

    Editions Jean-Michel Garnier, 1991

     

    Villette Jean

    Le puits de la crypte et son mystère

    Revue Notre-Dame de Chartres, 1989

     

    Villette Jean

    Les étapes de la construction

    Revue Notre-Dame de Chartres, 1988

     

    Willesme Jean-Pierre

    L'art gothique

    Editions Flammarion, 1982

     


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  • Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

    PREMIERS REGARDS

    Empruntons les petites ruelles étroites dont la rue aux Herbes pour déboucher au pied de la cathédrale devant le portail sud.

    La première approche de la cathédrale est d'abord l'occasion d'un contact visuel qui met sous nos yeux l'édifice dans son aspect général.

    1. Le monument, dans son ensemble, date du 13ème siècle.

    2. Les façades

    • Les façades sont en général orientées vers l’ouest et le chevet est presque toujours à l’est (provenance de la Lumière).
    • Les contreforts soutiennent les murs des nefs.
    • La rose éclaire la grande nef ; il est rare que les bas-côtés en aient une.
    • Sur chacune des trois façades s’ouvre un portail divisé en trois porches : c’est la seule cathédrale à présenter cette disposition !

    Pour mieux édifier les fidèles, leur enseigner le salut, l'Eglise a eu recours à l'image. Celle-ci se veut pédagogique et se déploie sur les portails. Des penseurs ont étudié les thèmes à représenter et ont été brillamment secondés par des sculpteurs de grand talent.

    3. La façade principale

    La façade principale, à l’ouest, comporte d’admirables parties du 12ème siècle :

    • le Portail royal avec ses grandes baies ;
    • la base de la tour nord ;
    • la totalité de la tour sud (« Clocher Vieux » à la « flèche irréprochable » de 103 mètres de hauteur).

    4. Les flèches

    • Les architectes gothiques ont ajouré les flèches ainsi que les murs des nefs.
    • Avec le style flamboyant, une riche décoration couvre la maçonnerie.
    • Le « Clocher Neuf », à gauche, est en réalité le plus ancien ! Sa partie inférieure date de 1134. Il prit son nom actuel quand Jehan de Beauce eut lancé à 112 m de hauteur la flèche de pierre remplaçant la flèche de bois détruite par la foudre en 1506.
    • La flèche du Clocher Neuf de 112 mètres, de style flamboyant, véritable dentelle, fut édifiée par Jean Texier dit « Jehan de Beauce », de 1507 à 1513.
    • Le « Clocher Vieux », à droite, haut de 103 m est l’un des chefs-d’œuvre de l’art roman. Sa sobriété contraste avec la richesse de la flèche gothique.

    * Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

    5. Le gâble, la galerie des Rois (rois de Juda, aïeux de la Vierge) et la rose sont du 13ème siècle et gothiques, tandis que les trois fenêtres et le portail datent du 12ème siècle et sont de style roman.

    6. Le Portail royal

    Construit et sculpté entre 1145 et 1355, c’est l’une des merveilles de l’art roman mais il présente déjà une transition entre le style roman et le style gothique.

    Il présente la vie et le triomphe du Sauveur.

    Il est composé de trois porches qui illustrent :

    • à gauche : l’Ascension;
    • au centre : le Christ et les vieillards de l’Apocalypse;
    • à droite : la Vierge en majesté.

    Le Christ du tympan central et les statues - colonnes sont célèbres.

    Ces trois baies reposent sur des chapiteaux qui constituent une suite de deux cents statuettes représentant la vie de Jésus et celle de ses parents. Rois et reines de la Bible, ancêtres du Christ, leurs longues et minces figures s’alignent dans l’embrasure des portes. Cet ensemble domine une série de statues verticales appelées statues – colonnes, des statues qui sont des colonnes avant d’être des personnages.

    * Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

     

     

     

     

     

     

    * Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

    7. Le Portail nord

    • Egalement appelé « Portail de l’Ancien Testament » ou « Portail de l’Alliance », il est riche de scènes (comme la Création du monde) et de statues (comme saint Jean-Baptiste).
    • Les personnages sont traités avec plus de liberté que ceux du Portail royal.

    Ils semblent plus vivants et montrent un réel progrès du réalisme et d’élégance.

    La statue de sainte Modeste, martyre chartraine, regarde vers le Clocher Neuf. C’est un chef-d’œuvre de grâce.

    • La décoration des trois portes est consacrée à la venue du Christ.
    • A la porte de droite ont été mis en honneur des héros bibliques ayant pratiqué les vertus chrétiennes.
    • A la porte centrale, la Vierge et les Prophètes ayant annoncé la venue du messie.
    • A la porte de gauche sont représentées l’Annonciation, la Visitation et la Nativité accompagnées par les Vertus et les Vices.

    * Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

    8. Le chevet

    C’est la partie de l’église tournée vers l’est.

    De la terrasse du jardin, la vue du chevet est impressionnante. La hardiesse des arcs-boutants à double volée, l’étagement des absidioles, du déambulatoire et du chœur sont d’un superbe effet.

    La chapelle Saint-Piat, du 14ème siècle, d’abord séparée de la cathédrale, lui a été reliée par un élégant escalier.

    Sur le flanc Nord de l’édifice, l’étagement des contreforts et des arcs-boutants est très curieux

    9. Le Portail sud

    • Egalement appelé « Portail de l’Eglise », il fait une plus grande impression que celui du nord. Ici, les hautes maçonneries sont parées d’un réseau de longues colonnettes dont la perspective verticale, en une harmonieuse unité, conduit des arcades du porche à celles des pignons.
    • La décoration du portail est achevée par une galerie des rois, dont les 18 grandes figures, surmontées d’un dais, encadrent les gâbles.
    • Le thème de la décoration du portail est celui du Jugement dernier.

    Il traite, autour du Christ enseignant, des Martyrs, Apôtres et Confesseurs en grandes statues d’un art évolué, tandis que les piliers s’ornent d’images suggestives représentant les vertus et les vices.

    * Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

    • La porte de droite est consacrée aux Confesseurs.
    • La porte de gauche est consacrée aux Martyrs.
    • Les deux premières statues, à droite et à gauche de cette dernière porte, celles de saint Georges et de saint Théodore, sont remarquables. Les saints sont représentés dans des costumes de chevaliers du 13ème siècle.
    • Les médaillons qui s’étagent par groupes de six, de part et d’autre des baies du porche, représentent, d’une manière très vivante, des anecdotes de la vie des martyrs, les vices et les vertus.

    ARCHITECTURE

    Au cœur de la plaine beauceronne, où ondulent les champs de blé fleuris de coquelicots, plusieurs sanctuaires se sont succédé à Chartres. Conçue pour accueillir les foules, la cathédrale Notre-Dame, édifice gothique du 13ème siècle, fut construite immédiatement après l'incendie qui ravagea la cathédrale romane du 11ème siècle.

    Il a seulement fallu une vingtaine d'années pour construire le gros œuvre d'un édifice qui s'impose par son étonnante unité et son incontestable harmonie. Cette cathédrale a pris racine et s'est élevée sur la crypte carolingienne et l'église basse, appelée « crypte », de la cathédrale de Fulbert. Celle-ci, après avoir supporté les énormes charges de l'église romane, devint la matrice de la nouvelle. Se déployant sur 220 mètres de longueur, elle en commande et ordonne le plan.

    C’est à Chartres que les éléments de l’architecture gothique, dite classique, se sont mis en place de façon logique et raisonnée. Nous ignorons le nom de l’architecte de génie qui a exercé ici son talent. S’il a su faire preuve d’audace à Chartres, on peut imaginer qu’il avait déjà travaillé sur d’autres chantiers de cathédrales.

    Nous ne connaissons pas non plus le nom des maîtres d'œuvre qui, dès les premières années du 13ème siècle, osèrent jeter pour la première fois à une telle hauteur des voûtes sur croisées d'ogives, cela malgré l'existence de la crypte qui, en imposant les points d'appuis, donnait à la nef une largeur exceptionnelle de 16 mètres 40.

    SCULPTURE

    Telle une encyclopédie de la sculpture, presque tous les siècles, depuis le 12ème, sont représentés à la cathédrale de Chartres.

    Unique en France avec ses neuf porches sculptés répartis en trois portails sur chacune de ses façades, la cathédrale y rassemble les thèmes majeurs de l'histoire et de la foi chrétiennes. C’est, par ailleurs, la seule en Europe dont les portails des transepts soient subdivisés en porches également ornés de sculptures. On peut estimer que 10 000 personnages y sont sculptés, autrefois polychromes.

    Le Portail royal est un remarquable exemple de la sculpture romane avec quelques frémissements du gothique. Le premier quart du 13ème siècle est présent aux portails nord et sud. Là les personnages commencent à s’animer d’une vie personnelle. Costumes, chevelures et attributs se diversifient. La grandeur hiératique des statues – colonnes du 12ème siècle laisse place à la grâce de sainte Modeste au portail nord ou à la majesté du Christ au portail sud.

    Si les cathédrales sont connues comme des « livres de pierre », allusion aux milliers de détails sculptés qui « racontent » la Bible, ici les portails sont exceptionnellement détaillés en récits bibliques de toutes sortes, conçus avant tout pour l'enseignement des fidèles. Les images permettaient au peuple d'accéder par le visible à l'invisible.

    L’homme du Moyen Age y puisait sa connaissance des Saintes Écritures en essayant de comprendre, d’appréhender les messages offerts à ses yeux, et ainsi de parvenir à l’invisible par le visible. Dit analphabète, il ne savait peut-être pas lire des livres, mais il savait lire ce qui lui était montré au travers d’un symbolisme universel.

    A Chartres on trouve, non seulement les arts libéraux, comme à Notre-Dame de Paris, mais aussi les sciences occultes que figure un personnage nommé Magus. Il tient en main une banderole, à ses pieds rampe le dragon ailé, dont le nom est familier aux alchimistes.

    Les arts, eux aussi, ont leur place à Chartres : il convenait que fussent représentés les bons maîtres d’œuvre qui avaient bâti la cathédrale ! L’architecte porte la règle et le compas ; un peintre est debout à ses côtés, reconnaissable à sa palette.

    Les métiers aussi sont sculptés. Tubalcaïn frappe sur son enclume, symbole de la métallurgie. Adam, le paysan, bêche la terre, et Caïn est à la charrue. Abel, le berger, garde les troupeaux.

    On retrouve aussi la lutte des vertus et des vices de Notre-Dame de Paris, mais, plutôt qu’un combat, c’est une victoire. Les vertus, les vices à leurs pieds, ne daignent plus même les regarder.

    Commençons par faire le tour du bâtiment afin d'identifier un certain nombre d'éléments extérieurs et de préciser l'orientation de l'édifice.

    ORIENTATION ET IMPLANTATION

    La cathédrale de Chartres est orientée comme la plupart des églises dans lesquelles on trouve des Vierges Noires. La nef étant tracée selon un axe est – ouest, avec une inclinaison nord-est de quelques degrés, le chevet de la cathédrale est donc situé à l’est. La cathédrale est donc orientée dans la direction de la levée du soleil à l’apogée d’un cycle annuel. A partir de cette date, le 21 juin (solstice d’été), les jours raccourcissent. C’est là que la lumière annonce un nouveau cycle, le renouveau de la vie.

    Il est intéressant de remarquer que le nord de la France présente un ensemble de cathédrales des 12ème et 13ème siècles, toutes dédiées à Notre-Dame, dont la disposition rappelle celle des étoiles de la Constellation de la Vierge, telle qu’elle devait être au moment de la naissance de Jésus.

    Admirons l'alliance formidable de la puissance et de la légèreté dans la double volée d'arcs-boutants du chevet.

    Deux remarques architecturales s'imposent :

    1. L'édifice est entouré d'une armature extérieure d'arcs-boutants, particulièrement robustes, superposés sur trois niveaux. L'arc-boutant n'est pas en soi une innovation technique puisqu'il a déjà été utilisé au 12ème siècle, mais à Chartres, il est intégré dès le départ à la construction et le maître de Chartres a tiré parti de ce système pour agrandir les fenêtres supérieures. Ces arcs-boutants contrebutent la poussée de la voûte en pierres et rythment puissamment le volume extérieur de l'édifice. 
    2. Sur la partie haute de l'édifice, remarquons entre les arcs-boutants, les grandes fenêtres composées de deux lancettes surmontées d'une rose (polylobée) qui accentuent la verticalité de l'ensemble et laissent passer la lumière à l'intérieur.

    Pourquoi une cathédrale aussi grande ?

    L'aspect grandiose de l'édifice témoigne à la fois du besoin d'accueillir des fidèles et des pèlerins de plus en plus nombreux, de la prospérité de la ville, de l'audace technique des artisans, de l'orgueil et du pouvoir de l'Eglise séculière qui affirme ainsi la puissance de Dieu (Jérusalem céleste).

    MATÉRIAUX

    En pierres de Chantilly et de Paris, pour le devant, et en  pierres de Vernon-sur-Eure au nord et au sud presque tout l’ensemble est d’origine à l’exception de cinq statues du Portail royal qui ont été remplacées par des copies en 1967. A l’époque les pierres étaient acheminées par bateaux depuis la Seine en remontant l’Eure, ou par chariots.

    LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION

    Plaçons-nous tout d’abord face au Portail royal. La cathédrale, telle qu'elle apparaît aujourd'hui sous nos yeux, date pour l'essentiel du 12ème siècle (façade ouest) et du 13ème siècle (nef, transept, chœur).

    Préciser le début de la construction avec exactitude s'avère impossible. De plus, nous pouvons considérer qu'elle n'a jamais été terminée puisqu'il était prévu sept tours en plus des deux existantes. Par ailleurs, les historiens ne sont pas toujours d'accord sur la datation de certaines parties de l'édifice.

    Nous pouvons cependant rappeler ici les quelques repères chronologiques que nous avons évoqués en première partie, dans l’important chapitre consacré à l’histoire de la cathédrale :

    • Plusieurs cathédrales, dont le chevet occupait le même emplacement que l'actuel, se sont succédé au cours des siècles, en particulier une cathédrale romane érigée à la demande de l'évêque Fulbert à partir de 1020 (après l'incendie de la précédente). Fulbert avait conçu un plan gigantesque dont il reste aujourd'hui la crypte destinée aux pèlerins.
    • En 1134, un incendie ravagea la ville sans toucher semble-t-il à la cathédrale. Peu de temps après, vers 1145, débuta la construction d'une nouvelle façade occidentale, ce qui a donné les deux tours actuelles, le clocher Vieux (Sud), le Portail royal surmonté de ses trois fenêtres.
    • En 1194, un nouvel incendie détruisit la cathédrale de Fulbert : seules furent épargnées la façade occidentale et la crypte. La reconstruction commença aussitôt sur les fondations de l'édifice antérieur, tant par piété que par souci d'économie. La cathédrale fut reconstruite en un temps relativement court, ce qui lui donne une grande unité stylistique. Achevée en 1220, la dédicace n'intervint cependant qu'en 1260.
    • On peut noter quelques ajouts postérieurs de style flamboyant : la flèche du Clocher Neuf, le pavillon de l'horloge au pied dudit clocher et la clôture du chœur, dus à l'architecte chartrain Jehan de Beauce.

    LES PORTAILS ET LA STATUAIRE

    Au Moyen Age, la foi était quasi générale, la culture était l’apanage des abbayes, et bien des puissants personnages du temps ne savaient pas lire.

    Il semble que les Bénédictins de Chartres aient voulu ouvrir devant les Chrétiens du 13ème siècle un vaste album d’images de pierre, raconter comme dans un film l’histoire de la Vierge, celle du Christ, interpréter l’Ancien et le Nouveau Testament. Plus de deux mille statues sont là, vivantes, humaines, souriantes ou tourmentées, qui participent à l’histoire du monde telle que la rapporte les Saintes Écritures.

    AU PORTAIL ROYAL ou OCCIDENTAL : UN DIEU TRINITAIRE

    C’est à Chartres qu’est née la sculpture gothique, au Portail royal, dérivé des portails méridionaux de Beaulieu et de Moissac. De 1145 à 1150 environ, plusieurs ateliers ont travaillé à décorer les trois porches formant le portail de la façade de la cathédrale. Ils ont heureusement pu échapper à l’incendie de 1194.

    Après avoir parcouru la grande esplanade face à la cathédrale, nous ne pouvons rester indifférents au caractère hiératique et à la magnifique harmonie du Portail royal.

    Dans son ensemble, le portail occidental est consacré à Dieu trinitaire. Il nous montre les aïeux de la Vierge, l’histoire de sa naissance et de son union avec Joseph, l’Annonciation et la naissance du Christ, le triomphe de Marie, l’Ascension de Jésus et sa glorification, tels que les décrit l’Évangile de l’apôtre Jean.

    Nous analyserons successivement le porche de droite, le porche central puis celui de gauche. Nous évoquerons ensuite les statues – colonnes et les chapiteaux. Dans les trois porches se révèlent d’emblée le mystère trinitaire et le rôle de chacune des trois Personnes divines.

    1. Le porche de droite : la Vierge en majesté

    Le porche de droite, c’est la Porte de la Vierge et de l’enfance du Christ ou encore la Porte de l’Incarnation. Au sommet du tympan, la main du Père, en partie mutilée, engendre la maternité de Marie. Le porche de droite est consacré à la Vierge en Majesté, reine couronnée, assise sur son trône et entourée par deux anges qui l’encensent, qui tient l’Enfant Jésus, son Fils, entre ses genoux, tout en le retenant de sa main droite.

    Entre les linteaux, les tympans et les cordons de voussures qui les entourent, une corrélation existe presque toujours. Diverses scènes de la vie de la Vierge y sont représentées.

    Au linteau inférieur, à gauche, l’ange de l’Annonciation surprend Marie au point que son livre lui a échappé des mains. C’est ensuite la Visitation suivie de la Nativité : Jésus se trouve dans un berceau, posé sur le baldaquin du lit tandis que Marie est couchée et Joseph est à la tête du lit. L’âne et le bœuf n’existent plus mais il reste les deux attaches de pierre qui tenaient leur tête au-dessus du berceau.

    En dessous, l’autre bandeau abrite l’adoration des bergers. Conduits par un ange, ils sont réunis autour d’un lit sur lequel repose Marie qui regarde un berceau placé au-dessus d’elle.

    Le registre supérieur du linteau est consacré tout entier à la Présentation de Jésus au Temple. Dans le bandeau qui se trouve à ses pieds, Jésus est placé sur un socle au milieu d’un groupe de douze personnages dont Marie et Joseph. A droite de Marie, le vieillard Siméon tend déjà les bras pour recevoir l’enfant, mais hélas ils ont été coupés ! D’autres personnages apportent les offrandes prévues par le rite juif en cette occasion.

    Au tympan, la Vierge Marie, siège de la sagesse, présente sur ses genoux l’Enfant-Dieu. Deux anges thuriféraires rappellent la divinité du Christ. Ce tympan est le premier entièrement consacré à la Vierge. Il sera imité un peu plus tard à Notre-Dame de Paris.

    Le premier cordon de voussure retient deux signes du zodiaque, en bas à gauche, tandis que trois anges, de chaque côté du tympan, rappellent, là encore, la présence divine. Dans les autres cordons de voussures sept femmes symbolisent les Arts libéraux (la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique). Placées sous les arts dans lesquels ils s’illustrèrent, sept grandes figures de l’Antiquité : Donat ou Priscien, Pythagore, Ptolémée, Boëce, Euclide, Cicéron et Aristote sont le symbole de la continuité du savoir de l’homme créé par Dieu. Dans son incarnation, le Christ va couronner la noblesse de l’homme et de ses connaissances. Puisqu’Il est, selon l’Ecriture, la Sagesse qui précède le temps, Il est, par son humanité, Celui qui incarne la Sagesse dans le temps des hommes. Leur savoir était une attente, la venue du Christ est son accomplissement.

    2. Le porche central : le Christ et les vieillards de l’Apocalypse

    Au centre, c’est la Porte royale. Elle présente une théophanie, manifestation visible de Dieu. Le thème essentiel du porche central est celui du Christ en Majesté. Le Christ dans sa gloire siège au tympan dans une mandorle. Assis sur son trône, le Christ tient dans sa main gauche le Livre sacré. Il lève sa main droite pour enseigner.

    Il est entouré des quatre Vivants, appelés encore les quatre animaux de l’Apocalypse. Les quatre Vivants étaient décrits dans le livre d’Ézéchiel. Autour du Christ figurent en effet trois animaux et un ange qui symbolisent les quatre évangélistes : le lion ailé, c’est saint Marc car celui-ci situe le début de son évangile dans le désert, lieu des animaux féroces ; le taureau ou bœuf ailé, c’est saint Luc puisqu’il fait commencer son évangile au Temple avec la vision de Zacharie et le termine également au Temple. Or, en ce lieu, le bœuf était l’animal du sacrifice offert à Dieu. Enfin, l’aigle symbolise saint Jean. En effet, cet évangéliste, dans son prologue, rappelle que le Verbe éternel de Dieu quitte la sphère céleste pour descendre sur la terre, comme l’aigle fond sur sa proie puis remonte majestueusement vers les cieux, emportant avec lui l’humanité sauvée. L’homme ailé, c’est-à-dire un ange représente saint Matthieu parce qu’il commence son évangile par la généalogie humaine du Christ.

    La symbolique permet encore d’autres pistes. Les quatre figures ouvrent l’intelligence de l’homme aux quatre grands mystères de la foi : l’homme ailé, l’Incarnation ; le bœuf, la Passion ; le lion, la Résurrection ; l’aigle, l’Ascension.

    Le linteau qui soutient ce tympan comporte une fois encore les apôtres, toujours reconnaissables à leurs pieds nus. Au pied du Christ, les douze apôtres se présentent en quatre groupes de trois. Or nous pouvons dénombrer quatorze statues, tout simplement parce que le premier et le dernier de cette frise seraient Enoch et Elie, grands personnages de l’Ancien Testament. Pourtant, une autre interprétation est possible : le porche central est entièrement inspiré par le livre de l’Apocalypse. Or celui-ci retient certes les douze apôtres pour siéger sur douze trônes, mais il parle aussi de deux témoins envoyés pendant 1 260 jours pour convertir l’humanité avant la fin des temps et le grand Jugement.

    Dans les voussures apparaît le thème roman de l'Apocalypse. L'ensemble est plus harmonieux, la composition plus ordonnée que dans un portail roman. Dans la première voussure, une douzaine d’anges entourent Jésus. Dans les deux autres voussures, vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse célèbrent le fils de Dieu en s’aidant d’instruments de musique de l’époque médiévale.

    3. Le porche de gauche : l’Ascension

    Le tympan du porche de gauche représente l’Ascension du Christ. C’est la Porte de la Manifestation de Dieu aux Hommes. Dans la partie haute de la baie, Jésus, debout sur une traînée de nuages, est tiré par deux anges. Il quitte la terre après sa mort. A ses pieds, quatre anges rassurent les dix apôtres fidèles. Cette scène est inspirée de celle de Cahors.

    Nous percevons ici l’équilibre recherché entre la venue du Christ en ce monde par l’Incarnation (au porche de droite) et son retour vers le Père, dernier acte de la présence du ressuscité auprès de ses apôtres.

    Le linteau inférieur laisse place à dix apôtres. Au-dessus d’eux, quatre anges viennent du ciel et s’adressent à la terre. Le tympan, construit symétriquement à celui de l’Incarnation, comporte comme lui deux anges et un personnage central, mais ici les anges emportent le Christ, dans un nuage, vers les cieux.

    Dans les cordons de voussures, les sculpteurs ont figuré, en les alternant, les signes du Zodiaque, les hommes et les travaux qu’ils pratiquent tout au long de l’année :

    • Janus, avec ses deux têtes et coupant un gâteau, représente le mois de janvier qui regarde à la fois l’année passée et l’année qui vient.
    • Un homme qui se réchauffe devant un feu symbolise le mois de février.
    • Le vigneron garde manteau d’hiver et capuchon, car à Chartres le vent est froid et le ciel changeant. Ces premiers travaux de la vigne symbolisent le mois de mars.
    • Un homme tenant les premières fleurs symbolise le mois d’avril quand surgit le premier bouquet d’épis de la Beauce.
    • Un seigneur tenant un faucon sur son poing symbolise la chasse qui a lieu au mois de mai.
    • A la saint Barnabé, le faucheur s’en va au pré, un chapeau rond sur la tête. Il symbolise le mois de juin.
    • En juillet, le paysan coupe son blé à l’aide d’une faucille mais la moisson continue au mois d’août.
    • La vendange faite, le paysan qui foule le raisin symbolise le mois de septembre.
    • Le mois d’octobre est le mois des semailles.
    • Novembre voit le porcher mener son troupeau à la lisère des forêts .
    • La famille préparant le repas de fête symbolise le mois de décembre.

    Une corrélation existe entre voussures, linteaux et tympan. Dans les voussures, les sculpteurs ont placé le calendrier, signe du temps qui court et les travaux, signe des activités manuelles des hommes. Les travaux manuels sont ainsi situés au même niveau et au même emplacement que les travaux de l’esprit au portail de l’Incarnation. On peut voir en cela l’égale dignité de tout homme, quelle que soit son activité : modeste ou savante.

    Au sommet du tympan, la colombe de l’Esprit Saint dont les ailes ont été brisées préside au temps de l’Eglise.

    4. Les statues - colonnes

    Les colonnes des trois portes sont constituées par des pierres d’un seul bloc dans lesquelles le statuaire a sculpté des rois, des prophètes, des reines de l’Ancien  Testament. Plus grands que nature, étirés en hauteur par les nécessités de la technique architecturale, ces personnages ont une naïve beauté et une allure incomparable.

    Ces grandes et longues statues, appelées « statues – colonnes » attirent le premier regard. A l’origine, elles étaient au nombre de vingt-quatre mais aujourd’hui il n’en reste que dix-neuf dont quelques-unes sont des copies récentes. De nombreuses recherches ont été faites afin de leur attribuer un nom par rapport aux textes bibliques, mais sans résultat ! Toutefois, il semble qu’un certain ordre chronologique préside à leur emplacement.

    On pense voir, à l’ébrasement gauche de la porte gauche, Abraham entre Sarah et Agar tandis qu’à l’ébrasement droit, Moïse, reconnaissable aux Tables de la Loi, ouvre une succession de rois et reines de l’Ancien Testament, en deux groupes de sept.

    Aux ébrasures du portail, des statues longues et hiératiques s’élèvent contre des colonnes très minces. Ce sont encore des personnages de l’Ancien Testament, annonciateurs du Christ comme Salomon, David et la Reine de Saba ; les précurseurs du Christ : soit ses ancêtres royaux, soit des patriarches et des prophètes issus de l’Ancien Testament, avec une frise de chapiteaux au-dessus d’elles.

    La présence de ces grandes statues – colonnes est un des éléments les plus remarquables de l’ensemble de la façade occidentale de la cathédrale. On assiste ici aux premiers essais de l’art gothique qui secoue la gangue romane pour faire jaillir la vie de la pierre. Elles sont surtout un acte d’amour que les sculpteurs du Moyen Age nous ont transmis à travers la pierre. Ces hauts personnages, symboles de l’autorité humaine, drapés dans la raideur des plis de leurs vêtements, sont tous regroupés au pied des scènes divines. C’est le message d’humilité qu’ils veulent nous communiquer.

    La lecture de la frise de chapiteaux se fait de gauche à droite.

    Nous découvrons la vie de la Vierge selon les Évangiles Apocryphes. Peu importe le bien fondé officiel de ces derniers : ils représentent le point de vue d’observateurs de l’époque. Ce qui compte, c’est de réfléchir sur les messages délivrés.

    L’histoire commence de l’ébrasement gauche jusqu’au Clocher Nord.

    La vie du Christ selon les Évangiles canoniques commence de l’ébrasement droit du portail central jusqu’au Clocher sud.

    A droite, la Cène, le baiser de Juda, la Mise au Tombeau et les Pèlerins d’Emmaüs.

    5. Les chapiteaux

    Situés au-dessus des statues – colonnes sur toute la largeur du Portail royal, les chapiteaux sont constitués d’une suite de deux cents statuettes qui, au Moyen Age, étaient polychromes. Cet ensemble raconte l’histoire de Jésus et de sa famille. Pour en suivre le déroulement, il convient de  commencer par le porche central.

    A sa gauche, les scènes retracent l’angoisse des parents de Marie, Joachim et Anna. Stériles, ils se retrouvent après une longue séparation à l’entrée de Jérusalem et donnent ensuite naissance à une fille qui est représentée jusqu’à son mariage avec Joseph.

    Sur le porche de gauche et toujours de droite à gauche, on aperçoit l’Annonciation et le Massacre des Innocents. Il faut retourner ensuite au porche central pour voir, à droite le Baptême et les Tentations au désert. Enfin, la Passion et la Résurrection occupent le porche de droite.

    Les trois porches du Portail royal sont dominés par trois fenêtres ogivales puis par la grande rosace. Tout en haut, sous la Vierge au Pignon entourée de deux anges, et au-dessus de la rosace, la « galerie royale », composée de quinze statues de rois qui, selon la légende locale, représenteraient la lignée des Rois de Juda avec David reconnaissable au lion couché sous ses pieds. Mais selon une autre hypothèse, il s’agirait des Rois de France entourant Pépin le Bref, aïeul de Charlemagne, dont on dit qu’il avait vaincu un lion fougueux.

    En dessous de la rosace, véritable dentelle de pierre, les verrières que nous décrirons dans le chapitre consacré à la visite intérieure de la cathédrale.

    Le Portail royal ayant été conservé lors de la reconstruction de 1194, les maîtres d’œuvre de la nouvelle cathédrale furent obligés de reporter aux portails nord et sud du transept les grandes scènes qu’on était habitué dès lors à voir figurer aux façades des cathédrales : Couronnement de la Vierge et Jugement dernier.

    On y voit, peu à peu, la sculpture évoluer : des Prophètes, proches encore des statues – colonnes du Portail royal au saint Théodore du portail des Martyrs, en cotte de mailles de chevaliers du 13ème siècle. De la rigidité romane on s’oriente vers plus de liberté, plus de vie.

    C'est dans les voussures que l'on voit apparaître la présence d'une pensée plus sophistiquée, inspirée par les maîtres de l'Ecole de Chartres, qui fut au 11ème et surtout 12ème siècle (Fulbert, 1006-1028 ; Yves de Chartres, 1090-1115) un des centres les plus actifs de la spéculation intellectuelle. On y enseigne les «arts libéraux» représentés aux voussures de la porte droite.

    Les penseurs de l'époque tentent de concilier la philosophie des auteurs païens tels Aristote et Euclide avec celle des théologiens chrétiens et proposent une approche plus scientifique de l'univers. Chaque personnage historique qui s'est illustré dans une science ou dans un art est accompagné d'une allégorie (une femme) placée au-dessus de lui (ex. : Aristote et la Dialectique, Pythagore et la Musique ...).

    Depuis le 12ème siècle, dans un angle du Portail royal, se cache un diable. Nulle monographie ne le signale : il a échappé même à la sagacité de l’abbé Bulteau. Un seul livre en a révélé l’existence, c’est un de ceux écrits par l’abbé Guy Villette.

    C’est que, pour le voir, il faut bien le chercher. Il se trouve dans la baie droite, à l’extrémité droite de la voussure externe (végétaux et têtes). Il convient de choisir un temps où les reliefs s’accusent, de lever la tête à la verticale et de plonger le regard dans ce tunnel d’ombre. Sur fond de ténèbres, il est alors possible de voir apparaître le plus grimaçant des démons de l’art roman, cornu, le nez en croupion de poulet, la denture en dents de scie, les pattes disposées ) la façon d’un loup prêt à bondir !

    Autres détails visibles au-dessus du Portail royal, ce sont deux sujets symétriques encastrés après coup au sommet de la partie romane de la façade, à une hauteur de 23 mètres 15, au-dessous de la rose occidentale. Au sommet des deux pilastres qui séparent la porte centrale des portes latérales, couronnant chacun un chapiteau, nous découvrons à gauche un poitrail de bœuf et à droite l’avant-corps d’un lion qui semble tenir entre ses pattes la tête d’un homme mort. Le bœuf, symbole de stabilité, et le Lion, symbole de force, rappellent Yakin et Boaz, à l’entrée du temple de Salomon.

    On est donc ici en présence du portail le plus ancien qui se situe à une période de transition entre le roman et le gothique : roman par la stylisation des vêtements et de leurs plis, la convention des attitudes, l'impassibilité des visages ; gothique par l'adaptation rigoureuse de la statuaire à la structure des portes, par l'ampleur et la cohérence du programme iconographique. A l'époque, tympans, statues, colonnettes étaient relevés de riches couleurs. Cette polychromie aujourd'hui disparue donnait probablement une autre dimension à l'édifice.

    LES DEUX AUTRES PORTAILS

    Lorsque l’incendie de 1194 a laissé en ruine la majeure partie de la cathédrale de Fulbert, le Portail royal n’avait pas été touché. L’architecte a dû tenir compte de son existence pour choisir l’iconographie des portails nord et sud. L’orientation de l’église et son éclairement ont dicté les thèmes du programme sculpté. Les portails nord et sud, situés aux deux extrémités du transept, permettent d’entrer et de traverser la cathédrale transversalement mais ce n’est pas là leur fonction première.

    Construits une cinquantaine d'années après le Portail royal, ces deux portails  offrent un programme iconographique d'une plus grande complexité. Les figures parviennent à se détacher hardiment des piliers, les corps tournent harmonieusement, les visages parlent.

    A chacun de ces deux portails, les trois arcades d’entrée reposent sur des pilastres ornés de bas-reliefs ou sur des colonnes aux gracieuses saillies qui portent des statues en laissant des vides entre elles. Des cordons de statuettes ornent les voûtes et forment les voussures des arcades. Des rinceaux de vignes entourent les colonnes, des branches de chêne décorent les soubassements. Les trois porches s’ajoutant aux portails forment un ensemble éblouissant. Ils sont si étroitement unis à eux qu’ils semblent nés d’une même pensée.

    Le transept s’achève au nord par le portail du Dieu créateur et de l’Ancien Testament, tandis qu’au sud, côté de la lumière, c’est le temps de l’Eglise et le Jugement dernier qui ont été présentés.

    En d’autres termes, une ordonnance très stricte régit ces deux portails : le nord, région du froid, est celui de l’Alliance renouvelée. C’est le domaine de l’Ancien Testament accompli par le Nouveau. Le sud, réchauffé par le soleil, est consacré au Nouveau Testament, illuminé par le Christ enseignant, entouré des Martyrs, Apôtres et Confesseurs en grandes statues. Dans les deux cas, on trouve des personnages qui renvoient au portail opposé, rappelant que l'Alliance annoncée dans l'Ancien Testament est accomplie par le Nouveau.

    Il est des préséances pour chaque statue : le haut est plus honorable que le bas, la droite que la gauche. C’est ainsi que l’ange, symbole de saint Matthieu, figure dans le haut de la composition, à la droite du Christ ; l’aigle, dans le haut aussi, mais à gauche. Le bœuf et le lion doivent se contenter du bas.

    Une stricte hiérarchie des saints est établie : laïcs, moines, prêtres, évêques et archevêques, pape. Un saint pape et un saint empereur apparaissent à la clef de voûte du portail méridional, comme les deux clefs de voûte de l’édifice.

    La cour céleste des anges a, elle aussi, sa hiérarchie. Au portail méridional de Chartres, ils se rangent près du trône de Dieu dans l’ordre suivant : séraphins, chérubins, trônes, dominations, vertus, puissances, principautés, archanges, anges. séraphins et chérubins, voisins du foyer de toute lumière, portent à la main des flammes et des boules de feu.

    AU PORTAIL NORD, UN DIEU CRÉATEUR

    Le Portail nord s’inspire apparemment de celui de Laon. Construit cinquante ans environ après le Portail royal, il nous montre l’histoire du monde depuis sa création jusqu’à la venue du Christ. Il glorifie en particulier la Vierge Marie. Cependant, quelques personnages et sujets traités appartiennent à l’époque du christianisme, apportant une note anachronique dans l’ensemble.

    Si l’on accepte que, dans la cathédrale, tout se parle et renvoie de l’un à l’autre, le portail nord renvoie au portail sud, comme certaines statues renvoient à d’autres leur faisant face. Ce message permanent souligne la continuité du message : le futur se fait sur le passé.

    Petit détail technique, les porches ont été prévus et construits en même temps que les portes.  De même, les statues sont liées aux murs et sont donc inamovibles.

    Nous voici donc au nord, devant cet immense portail précédé de trois porches. Le Portail nord est le plus somptueux de la cathédrale. Il décrit essentiellement des scènes de l’Ancien Testament.

    Le porche de gauche appelée également baie de l’Incarnation offre la promesse de la venue prochaine du Christ dans ses piédroits tandis que le tympan représente la Nativité et l’Adoration des Mages, thèmes communs à beaucoup de cathédrales.

    L’Incarnation du Christ est effectivement à nouveau énoncée. Les grandes statues des ébrasements illustrent, à gauche, l’Annonciation faite à Marie, à droite, la Visitation. L’intensité d’un regard sans prunelle échangé entre Marie et Elisabeth mérite une attention toute particulière.

    Les ébrasements du porche central nous font découvrir l’histoire de la foi de l’homme en Dieu. Il nous présente, dans ses piédroits dix statues qui sont traditionnellement considérées comme des figures du Christ.

    Le tympan nous présente la Vierge aux côtés du Christ. C’est le symbole de la Nouvelle Alliance.

    Le porche droit est consacré tout entier à l’Ancien Testament avec l’histoire de Job dans le tympan ainsi que des personnages de l’Ancien Testament dans les piédroits.

    Les grandes statues bibliques du portail nord ont été choisies par un théologien. Elles sont autant de figures annonciatrices du Christ ou de la Vierge.

    En regardant le Portail nord, de la gauche vers la droite nous analyserons successivement :

    • la baie de gauche avec la Porte de la Nativité ;
    • la baie centrale avec la Porte de la Glorification de la Vierge ;
    • la baie de droite avec la Porte de Job et de Salomon.

    1.   La baie de gauche avec la Porte de la Nativité.

    Située dans l’angle nord-est, la direction de la levée du soleil lors du solstice d’été, l’angle où tout commence et recommence, celui des nouveaux cycles, la baie de gauche est consacrée à la Nativité et est aussi appelée baie de l’Incarnation.

    Commençons par l’extérieur, c’est à dire par l’avant porche.

    A l’avant, quatre statues qui ornaient l’avancée du porche, ont toutes été enlevées durant la Révolution en 1793. Nous le savons grâce à un document du 18ème siècle, qui l’indique.

    A l’extérieur, l’Eglise et la Synagogue :

    • à gauche, la Synagogue avait les yeux bandés comme il est possible de la voir également à Notre-Dame de Paris ;
    • à droite, l’Eglise tenait quant à elle, une petite église. Son socle est le seul restant. Il représente une partie de ce qui était explicité ici : le combat des Vertus et des Vices ;
    • deux socles subsistent à droite :
    • le courage qui terrasse la cruauté (crudelitas) sous la forme d’un lion ;
    • la curiosité (curiositas) sous la forme d’un singe, pourfendue par la discrétion.

    Sous la voussure interne :

    • à gauche, Léa cousait sous la vie active ;
    • à droite, Rachel lisait sous la vie contemplative.

    Une statue qui se situait à l’angle en face a été complètement détruite. Des spécialistes ont estimé qu’il s’agissait de celle de saint Eloi. Elle devait faire le pendant en symétrie à droite avec celle de saint Potentien, premier évangélisateur de Chartres et qui fut évêque de Sens dont Chartres dépendait. Remarquons aussi la statue de sainte Modeste, sa contemporaine chartraine, première martyre de la ville. Enfin, sainte Anne tenant la Vierge enfant, entourée de douze prophètes. Tous ces personnages des écritures sont rassemblés ici, entourés de tous les bienfaiteurs de la cathédrale.

    A l’extrémité gauche de la façade, sur le côté, nous trouvons le roi Dagobert dont la statue a été épargnée par les révolutionnaires, probablement du fait de sa bonne réputation parmi le peuple et d’être relativement cachée.

    En entrant sous le porche, analysons les ébrasements : de part et d’autre de la porte, deux statues tournées l’une vers l’autre comme si elles conversaient. A gauche, la scène de l’Annonciation avec un diable sous l’ange et la Vierge de l’Annonciation sur un socle où l’on voit un serpent dans un pommier tentant Ève.

    A droite, la scène de la Visitation : la Vierge de la Visitation sur le buisson ardent apparu à Moïse. Il brûle sans se consumer et représente la virginité de la Vierge. C’est aussi le symbole du feu divin.

    Quant au personnage versant de l’eau sur le socle de sainte Elisabeth, mère de saint Jean-Baptiste, il représenterait un serviteur qui remplit une cuve baptismale, allusion à ce fils qui baptisa dans l’eau. C’est le symbole de l’eau.

    Les deux premiers personnages, à gauche et à droite ne sont pas identifiés avec certitude. Certains y ont vu le prophète Daniel, d’autres l’archange Gabriel sur un socle en forme de diable ou de dragon (à gauche) et Isaïe (à droite). D’autres auteurs proposent Joseph (à gauche) et Zacharie (à droite), mari d’Elisabeth.

    Le linteau présente deux scènes :

    • A gauche, la Nativité avec la Vierge couchée, au-dessus d’elle l’Enfant-Jésus. L’âne et le bœuf passent leur tête par-dessus le nouveau-né. De l’autre côté de la colonne divisant le linteau, saint Joseph contemple la scène.
    • A droite, les bergers sont tournés vers l’ange qui les appelle. On le voit sortant des nuages figurés au-dessus de la montagne. Un chien se dresse juste derrière les animaux parmi lesquels on distingue bien une chèvre. Une frise ornée d’anges tenant des banderoles décore le sommet du linteau.

    Sur un socle en forme de griffon, le prophète Malachie symbolise la mort et la résurrection de Christ et du pécheur. Il est le signe du renouveau en esprit selon saint Jean et le symbole de l’Esprit : « Il faut naître d’en haut » (Jean III).

    Trois socles évoquent le thème du baptême car, selon saint Matthieu 3-11,  « Celui qui viendra après Jean-Baptiste baptisant dans l’eau, baptisera, lui, dans le Feu et dans l’Esprit ». Le baptême, l’Initiation, efface le péché originel, les erreurs passées, par la purification. Cela ne pouvait être décrit qu’à l’angle nord-est.

    Au-dessus, les trois voussures comportent, en commençant par celle bordant le tympan, c’est-à-dire la voussure la plus basse : des anges avec des chandeliers. A leur gauche, les vierges folles avec leurs lampes renversées. Enfin, les vertus et les vices :

    • à gauche, les vertus cardinales (Prudence, Justice, Force et Tempérance) avec leurs contraires au-dessous ;
    • à droite, les vertus théologales (Foi, Espérance, Charité auxquelles a été ajoutée l’Humilité pour des raisons de symétrie par rapport aux quatre vertus cardinales) avec leurs contraires au-dessous.
    • Vient ensuite un cordon montrant Marie dans sa vie active et dans sa vie contemplative.
    • Les 12 tribus d’Israël, symboles des 12 apôtres, représentées par 12 rois couronnés.
    • Le cordon externe est orné de statuettes évoquant les béatitudes.

    Au tympan, la scène de la Nativité. L’Adoration des Rois Mages, qui viennent du monde entier, représente les repentis qui cherchent à obtenir l’initiation du baptême pour être purifiés. Sur la gauche, ils offrent leurs présents à l’Enfant-Jésus. Sur la droite, deux sont endormis sur leur couche tandis que l’un des deux anges en haut du tympan avertit le troisième roi qu’ils devront éviter Hérode lors de leur retour car ce dernier veut les tuer.

    Au linteau, la nature humaine du Christ est rappelée :

    • A gauche, la Nativité avec la Vierge couchée, au-dessus d’elle : l’Enfant Jésus.
    • A droite, Joseph et l’Annonce aux Bergers. Un chien et une chèvre.

    En haut de l’arc du porche, au gâble, un évêque encense : il représente le pouvoir spirituel.

    En bas des retombées de l’arc, deux rois sont assis dans des niches : ils symbolisent le pouvoir temporel. Celui de gauche a les pieds sur un lion couché. Il est difficile de préciser s’il s’agit de Pépin le Bref ou de David. Celui de droite a les pieds sur un homme maîtrisé : il s’agit d’un rappel de l’Ecriture qui dit qu’« il a fait de son ennemi l’escabeau de ses pieds ».

    L’arc du porche laisse voir une proposition de modèle de vie :

    • A la voussure extérieure, nous pouvons compter quatorze statuettes. Il y a celles qui représentent les béatitudes de l’âme selon saint Anselme. Les bons les recevront.
    • A gauche depuis le bas :
    • La Beauté, avec quatre roses sur son écu.
    • La Liberté, avec deux couronnes.
    • La souveraineté des droits, liberté sur les autres.
    • La souveraineté des devoirs, liberté sur soi.
    • La Considération, puissance spirituelle représentée par deux mitres.
    • La Joie du savoir, acquis par la lecture du Livre.
    • La Volupté, provoquée par l’encens.
    • La Rapidité, avec trois flèches sur son écu.
    • La Force, représentée par le lion sur le blason.
    • A droite en redescendant :
    • La Science, allusion discrète à l’Alchimie. Au socle la bêtise avec une oie.
    • La Sécurité dans un château fort.
    • l’Autorité spirituelle avec trois poissons.
    • l’Autorité temporelle avec trois sceptres.
    • La Longévité avec l’aigle en écu.
    • l’Amitié avec deux tourterelles.
    • La Paix et la colombe de la fin du Déluge.
    • A la voussure intérieure, douze statuettes représentent le travail féminin. Elles sont basées sur la vie de la Vierge.
    • A gauche, la vie active :
    • l’essorage de la laine,
    • le peignage de la laine,
    • le teillage (broyage) du lin,
    • le sérançage (séparation de la filasse) du chanvre,
    • le filage,
    • la mise en écheveau.
    • A droite, la vie contemplative :
    • la prière,
    • la réflexion,
    • la lecture,
    • la méditation,
    • l’appel,
    • la supplication.
    • L’homme est piètrement représenté. Seulement deux personnages au bas des cordons lisses de la voûte du porche : celui de gauche est un cordonnier figurant la vie active ; celui de droite est un moine figurant la vie contemplative.

    2.   La baie centrale avec la Porte de la glorification de la Vierge.

    La Porte de la glorification de la Vierge est également appelée Porte de la Création.

    Au centre, en haut du porche, à l’extérieur, nous pouvons voir le Christ, créant par le Verbe, la Parole. Il est entouré de deux anges. Celui de gauche tient un encensoir ; celui de droite tient un cierge. Un peu plus bas, de part et d’autre, ce sont deux anges qui encensent vers le haut.

    Sur le trumeau figure sainte Anne portant Marie enfant dans les bras. Dans le bas, son mari Joachim garde son troupeau. De part et d’autre sont disposées cinq statues qui sont toutes considérées comme des figures du Christ.

    Le grand portail nord s’ouvre sur la création divine, racontant parfois de manière candide et délicieuse la mésaventure de l’homme. Les ébrasements du porche central nous conduisent à découvrir l’histoire de sa foi en Dieu.

    A l’ébrasement de gauche, le cycle débute avec la statue de Melchisedec tenant une coupe de vin et du pain avec, à ses pieds, une brebis évoquant les sacrifices pratiqués par les Hébreux. A droite, il s’achève avec saint Pierre. Remarquons que saint Pierre et Melchisedec portent tous deux une coupe de vin et le pain.

    Seuls sept personnages de l’Ancien Testament y figurent et côtoient trois personnages contemporains du Christ : Siméon, saint Jean-Baptiste et saint Pierre. Comme pour souligner l’idée de cycle, les deux statues extérieures ont des attitudes symétriques.

    Abraham, fondateur du monothéisme, vit au milieu d’un monde qui sert les idoles par des sacrifices. Il se croit appelé à offrir en holocauste son unique fils, Isaac. C’est à ce moment qu’il est représenté alors qu’il va sacrifier son fils Isaac entravé. Il a la tête levée vers l’ange qui se trouve dans le dais au-dessus de la tête de Melchisedec. Isaac symbolise Jésus Sauveur. Mais Dieu, n’acceptera pas le sacrifice d’Isaac. Aussi, par l’action d’un ange perché sous le baldaquin du personnage précédent et que le Seigneur envoie pour lui dire d’épargner son fils, Dieu arrête le bras sacrificateur. Sous les pieds de l’enfant, le socle présente le bélier qui sera finalement sacrifié et qui symbolise le Christ car Dieu permettra que son Fils sauve le monde par sa mort et sa résurrection.

    Après Abraham, c’est Moïse, le fondateur du peuple de Dieu, celui qui fit connaître la loi divine. Moïse tient une colonne sur laquelle figure le Serpent d’Airain que le Seigneur lui ordonne de faire fabriquer après avoir envoyé les serpents brûlants pour punir les gens d’Israël. Dans Nombres 21, 9, il est écrit que « lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve ». Moïse tient aussi les tables de la Loi alors qu’en dessous le Veau d’Or est figuré au pied d’une montagne symbolisant le Sinaï.

    A côté de Moïse, son frère Aaron, coiffé du voile du sacrificateur, égorge l’agneau de la Pâque juive lors de l’épisode de la sortie d’Egypte. C’est ainsi que sur le socle un petit personnage recueille dans un vase (qui a disparu !) le sang qui marquera le linteau des portes des Hébreux. Tout comme le Christ, l’Agneau de Dieu, donnera son sang pour délivrer les hommes.

    Puis nous découvrons une représentation du roi David qui tient la lance, instrument de la passion du Christ qu’il annonce dans les psaumes.

    Observons à présent l’ébrasement droit du portail. Nous pouvons y distinguer tout d’abord, en partant du centre, les grands prophètes Isaïe, Jérémie, Siméon, Jean-Baptiste.

    Le prophète Isaïe qui, autrefois, tenait une tige dont il ne subsiste que le haut, sur son buste. Cette tige évoquait la prophétie « un rameau sortira de la souche de Jessé… sur lui reposera l’esprit du Seigneur ». De la tige surgit un corps, malheureusement décapité. Il s’agit très probablement d’une nouvelle évocation du Christ. Aux pieds d’Isaïe, Jessé dort, allongé.

    Le prophète de la passion, Jérémie, tient la croix du Christ dans un nimbe, tandis qu’en dessous, un personnage écoute le prophète. Le grand prêtre Siméon est celui qui annonça que le Christ serait le salut d’Israël. Il tient l’Enfant-Jésus dans ses bras.

    Saint Jean-Baptiste, qui foule le mal à ses pieds sous la forme d’un dragon, est sans doute la plus belle statue de cet ensemble et peut-être même de toute la statuaire de Chartres. La barbe mal taillée, son visage émacié est marqué des signes de la fatigue, dus à sa vie ascétique. Il est vêtu de peaux de chameaux. Élancé, il montre de sa main droite l’Agneau la tête tournée vers la Croix et l’Oriflamme.

    Le cycle se termine par saint Pierre dans une attitude semblable à Melchisedech. Il tient le calice dans sa main droite, à son bras pend la clef, symbole du pouvoir de lier et de délier. Il porte la tiare, coiffure des papes. A son cou, le pectoral orné de douze pierres précieuses symbolisant les douze tribus d’Israël. Il est présenté sur un roc rappelant la phrase « tu es Pierre, sur cette pierre je bâtirai mon Elise ».

    En retrait du porche, à droite, nous pouvons encore découvrir Elie sur son char, et, à gauche, une statue qui semblerait être Elisée.

    L’ébrasement s’est ouvert avec la prédication d’Isaïe et se ferme par la prédication de Jean-Baptiste reprenant les paroles du grand prophète.

    Sur le linteau, une colonnette sépare deux scènes. La scène de gauche représente la dormition de la Vierge entourée des apôtres et du Christ que l’on peut reconnaître avec un nimbe crucifère. Jésus esquisse de sa main droite un geste de bénédiction. Sur son bras gauche repose le corps d’un enfant qui symbolise l’âme de Marie. La scène de droite représente des anges qui se penchent pour exhumer le corps de Marie. Sous la frise, deux anges s’approchent en tenant dans un linge le petit corps symbolisant l’âme qui va réintégrer la dépouille de la Vierge Marie.

    Au-dessus du linteau, le Christ couronne la Vierge. Tous deux sont assis sur un trône. Celui de Marie comporte un dossier. Une arcature en forme de trèfle, surmontée d’une Jérusalem Céleste, les encadre. De part et d’autre de cette scène, des anges les saluent. Des lignes ondulées entourent le tympan afin de bien montrer que la scène se passe aux cieux.

    Dans le cordon de l’archivolte contigu au tympan, des anges tiennent des encensoirs, des livres et des seaux d’eau bénite.

    Observons à présent les voussures de l’arc du porche. Elles présentent des premières lignes de la Genèse et constituent le récit et l’illustration de la Création du monde. En regardant les deux voussures externes, les scènes se lisent par niveaux, chacune portant le nom de claveau.

    Les cordons de voussure suivants offrent un bel arbre généalogique dont le tronc se sépare, à gauche, entre les genoux de Jessé en deux branches pour encadrer les ancêtres du Christ. Les deux cordons sont bordés chacun d’un rang présentant des prophètes et des figures de l’Ancien Testament.

    Les cordons du milieu du porche sont composés de quarante-quatre personnages tenant des livres et des banderoles.

    Les voussures extérieures décrivent la création du monde conformément au récit de la Genèse depuis le commencement, à gauche, jusqu’à la chute d’Adam et Ève à droite.

    L’un des deux cordons nous montre le créateur sous les traits du Christ car dans l’Évangile de saint Jean il est dit « toutes choses ont été faites par le fils unique de Dieu ».

    La voussure extérieure représente trois formes du Créateur : Père, Fils et Esprit.

    • En partant du bas à gauche, au sixième claveau, voussure externe, du Dieu créateur jaillit le projet de la création de l’homme. Il est intéressant de noter qu’au même niveau, voussure interne, ce sont les oiseaux et les poissons qui sont créés. L’artiste imagier semble nous dire que, dès la création des vivants, Dieu mène son œuvre vers une créature semblable à lui, réalisée à son image : l’homme.
    • Un personnage coiffé d’un bonnet juif transcrit la Genèse.
    • Dieu, les yeux levés, crée le ciel : des nuages ont été sculptés dans la voussure interne. Remarquons qu’il y a deux couches de nuages, symbolisant la séparation des eaux d’en haut de celles d’en bas.
    • Dieu tient en ses mains un disque qui figure les astres qu’il va projeter. Le croissant de la lune y est très visible. Lui, la lumière, le soleil, crée la manifestation qui ne devient visible que parce qu’il l’a voulu.
    • Dieu va créer les animaux, alors que se profile l’homme à son image derrière lui. Ce détail est important car les animaux ne peuvent être créés qu’après Adam. Il suffit à Dieu de lever la main et bœuf, âne, lion et chèvre apparaissent.
    • Il ne peut alors que créer le paradis terrestre puisque après il va créer Adam.
    • Nous pouvons ensuite observer la création d’Adam qui sort progressivement de la terre.
    • Puis la création des quatre fleuves de l’Eden : Phison, Gihon, Tigre et Euphrate sortent des amphores portées par quatre jeunes gens.
    • Dieu tient le Livre de la Connaissance et regarde Adam qu’il a mis dans le Jardin d’Eden pour « le cultiver », ce qui explique le Livre.
    • C’est ensuite la création d’Ève. La scène est complexe car nous avons deux Adam dont l’un dort. Suggérons que Dieu ne faisant pas d’erreur, figure par le rêve, la création d’Ève, Etre de rêve pour l’Homme. Le côté d’où Dieu tira Ève est encore ouvert. Son bras droit pointe vers Ève dans le claveau inférieur.
    • Dieu chasse Adam et Ève du paradis. Ils prennent conscience de leur acte et essayent de s’habiller de feuilles de figuier. Le serpent relève la tête à leurs pieds, éternel témoin de l’infortune qu’il a causée sur ordre du Divin.
    • Dieu semble bénir Adam et Ève en train de travailler.

    La voussure intérieure représente ses créatures et le rappel de la Genèse.

    • Création du ciel et de la terre, avec les ondulations verticales symbolisant l’évaporation des eaux d’un côté alors que de grosses gouttes symbolisent la pluie de l’autre. Le cycle de l’eau est déterminé au commencement.
    • Création de la lumière, séparée des ténèbres. La Lumière est donc préexistante dans les ténèbres. Elles sont figurées par un jeune garçon tenant en sa main un flambeau, le jour et de l’autre la nuit.
    • Création du soleil et de la lune. La lune n’est visible que parce que le soleil l’éclaire. La lune, croissant sur le cercle, est tenue par la nuit. Elle fait partie intégrante de la nuit.
    • Création de la végétation avec ici des herbes et deux figuiers, mâle et femelle.
    • Création des astres. Les anges portent le soleil et la lune.
    • Création des oiseaux (Apprécions la grande variété), et des poissons.
    • Création d’animaux : cheval, biche, bélier, puis coq, poisson nommés par Adam.
    • Création d’Ève avec la chute. Le serpent tentateur à figure humaine grimaçante, autour du pommier.
    • Au neuvième claveau, Dieu modèle l’homme, avec une tendresse infinie, de ses propres mains. Ce Dieu potier peut nous surprendre. En effet, jusqu’ici la création suit le récit de la Genèse au chapitre I, tandis que la scène de Dieu modelant fait appel au second récit, dans la Genèse au chapitre II, extrait de la Bible. Il était assez fréquent, à cette époque, que l’on puise dans des sources différentes les éléments d’un même récit. L’être humain est placé au point culminant de ce cordon de voussure : c’est le couronnement de l’œuvre divine. Partant du sommet, nous découvrons, du haut vers le bas, dans un mouvement descendant, la chute de l’homme par la faute originelle.
    • Le dernier claveau particulièrement intéressant se situe à la base de la voussure. Adam et Ève qui viennent d’être chassés du paradis terrestre sont condamnés à travailler pour vivre. C’est pourquoi, Adam, une bêche à la main, cultive le sol tandis qu’Ève file la laine sur une quenouille. Ils sont maintenant vêtus de peaux de bêtes comme il est écrit. Remarquons que la sanction liée à la faute ne brise pas l’amour du Père pour sa créature car, dans ce même claveau mais à la voussure extérieure, Dieu bénit le travail de l’un et de l’autre.

    Évoquons encore brièvement quelques sculptures particulièrement fines de l’avant porche dont les sculpteurs avaient le souci du détail :

    • A partir de l’extérieur, à droite : Samuel, et sur le socle, son histoire. Le socle du roi Saül représente la continuation de l’histoire de Samuel. Sous la statue d’Anne, la mère de Samuel, commence l’histoire de l’Arche d’Alliance.
    • Toujours à partir de l’extérieur, mais cette fois à gauche : le prophète Nathan, considéré comme l’historien de David. Sur le socle commence l’histoire de David. Celle-ci se termine par son combat contre Goliath.

    3.   La baie de droite avec la Porte de Job et de Salomon.

    Le porche de droite est consacré à des personnages bibliques de moindre importance mais le tympan doit retenir notre attention tout comme le linteau qui présente le Jugement de Salomon.

    A gauche de la porte se trouve Salomon, la tête haute dans une attitude noble. Par sa sagesse il préfigure le Christ. Sous ses pieds se trouve l’ironique Marcoul, ce Sancho Pança du Moyen Age, dont le bon sens terre à terre répondait par un proverbe trivial à chacune des hautes pensées du roi-philosophe.

    Vient ensuite la Reine de Saba, légèrement tournée vers son voisin, car elle est venue entendre le roi dont on a vanté la Sagesse. Avec Salomon, elle préfigure l’Adoration des Mages. Elle est représentée sous les traits d’un être de race noire qui se trouve à ses pieds, portant dans une calebasse les présents destinés à Salomon.

    Tout à fait à l’extérieur c’est Balaam que l’on voit avec, à ses pieds, l’ânesse qui refuse de lui obéir alors que, juché sur elle, il se rendait auprès de Balaq qui lui demandait de maudire Israël (Nombres 22, 3).  Il prédit l’étoile de la crèche.

    A droite, c’est Jésus, fils de Sirach. Il est représenté dominant le temple de Jérusalem car il était alors considéré comme étant celui qui avait reconstruit ce temple. Il annonce Jésus fondateur de l'Eglise. Sur le socle on peut voir Zorobabel tenant un fil à plomb devant le mur d’un temple en construction.

    La deuxième statue a longtemps été présentée comme étant Judith, victorieuse d’Holopherne, Judith qui ferait pressentir la Vierge victorieuse du péché. Mais il semblerait à présent qu’il faille être réservé quant à cette attribution.

    Enfin c’est Joseph portant à l’index de la main droite l’anneau que lui a passé Pharaon. Il fut vendu par les siens, tout comme Jésus le sera lui aussi. Sur le socle, la femme de Putiphar, toute occupée à écouter le Malin sous la forme d’un Dragon, intriguera pour écarter Joseph. Ce dernier, vendu pour trente deniers par ses frères, annonce le Sauveur livré par Judas.

    Ces statues restent liées à l’architecture et s’éloignent peu de la stricte verticale. Elles serrent sur leur poitrine les banderoles où se lisaient leurs noms. Elles se tiennent en équilibre sur les petits personnages ou les animaux qui forment leur socle. Deux figures s’affranchissent déjà par la liberté de leur attitude : celle de la reine de Saba et celle de Salomon. La reine de Saba, sans éloigner ses bras du corps, passe les doigts de sa main gauche dans la bride de sa tunique. De l’autre, elle retient les plis de sa robe avec un naturel qui annonce le grand art du 13e siècle. Les têtes arrondies diffèrent de tout ce que nous avons observé jusqu’à présent car nous sommes en présence de l’œuvre d’un nouveau sculpteur. L’artiste a renoncé à ces longs visages qui s’éloignaient de la réalité mais qui évoquaient une antique race d’hommes. La reine de Saba est très probablement représentée sous les traits d’une aimable princesse de l’Ile-de-France. Ce n’est plus la reine des solitudes. Seule la statue supposée représenter Judith, serrée dans ses voiles et dans sa robe aux longs plis, a gardé quelque chose de la grandeur de l’Ancien Testament.

    Un Jugement de Salomon occupe le linteau. Entouré de sa cour Salomon rend son jugement. C’est un drame rapide, conçu avec une parfaite clarté. Salomon vient de donner l’ordre de partager l’enfant. A gauche, un personnage dégaine son épée pour couper en deux l’enfant alors qu’une des deux femmes lève son bras pour supplier le roi de l’épargner. La fausse mère accepte la sentence. En un instant, Salomon a discerné la vérité du mensonge. Il tend la main et ordonne au serviteur qui porte l’enfant de le rendre à sa mère. Les anciens d’Israël assis près du tribunal admirent la sentence de leur jeune roi et reconnaissent qu’il a reçu la sagesse en partage.

    Le tympan représente Job sur son fumier. C’est une sculpture d’un réalisme étonnant. Job allongé sur son tas de fumier subit les épreuves que lui inflige le Malin qui tourne la tête dans un geste de défi vers Dieu représenté sous l’apparence du Christ. Le diable tient Job tout entier dans ses griffes. De ses mains il tourmente le malheureux : la main droite du démon enserre la tête tandis que la main gauche gratte la plante des pieds. A sa tête, ses amis et à ses pieds sa femme qui semblent lui dire « comment crois-tu encore à ce Dieu qui t’abandonne ? » Mais Dieu rétablira Job.

    Selon Pierre de Roissy, qui fut chancelier du Chapitre, les souffrances de Job sont l’annonce des souffrances du Christ dans sa Passion. Sa tête sera couronnée d’épines et ses pieds cloués sur la croix. Il semble probable que Pierre de Roissy ait été l’ordonnateur de ce thème.

    Un premier cordon consacré aux anges encadre ce tympan. Quelques-uns d’entre eux, chargés par Dieu de guider les astres dans leur course, portent le soleil, la lune et les étoiles.

    Les autres voussures contiennent toutes un récit. Chacun de ces récits est symbolique et doit éveiller la pensée du Christ ou de la Vierge. C’est ainsi que dans la voussure suivante, à gauche, il est possible de reconnaître, dans une évocation de l’histoire de Samson emportant les portes de Gaza, le Christ s’ouvrant les portes du tombeau. A droite l’histoire de Gédéon commence par un dragon. La rosée baignant la toison de Gédéon pourrait symboliser la grâce divine descendant sur la Vierge.

    Le deuxième cordon à gauche, commençant par la tête d’Assuérus, nous montre l’histoire d’Esther ; à droite, celle de Judith au-dessus de la tête de Nabuchodonosor. Dans ces personnages d’Ester et de Judith, il est possible de reconnaître le salut apporté au monde par la Mère de Dieu.

    Enfin l’histoire de Tobie occupe la deuxième des trois voussures avec les têtes de Sennacherib à gauche et de Salmanasar à droite. Dans le fils de Tobie rendant la vue à son vieux père, il est possible de reconnaître le Christ ouvrant les yeux des hommes à la lumière.

    Les cordons extérieurs comprennent un calendrier zodiacal avec les travaux des saisons.

    Quelques-unes de ces petites scènes sont fort belles. C’est avec une humilité touchante qu’Esther s’agenouille devant Assuréus pour lui demander la grâce de son peuple. Avant de partir pour Béthulie, Judith, dans sa maison, couvre sa tête de cendre et prie avec une  ardente ferveur. Puis la voici sortant de la ville et marchant vers le camp d’Holopherne avec l’assurance de la beauté. Le jeune Tobie s’agenouille devant son père pour lui rendre la vue avec le fiel du poisson, et le vieillard, qui attend la lumière, serre tendrement la tête de son fils. Le chien semble attendre lui aussi, et l’ange demeure pour être le témoin du miracle.

    Chaque voussure ne pouvant enfermer que deux ou trois personnages, l’artiste devait apprendre à condenser sa pensée et à ordonner clairement ses épisodes. Avec de petites figures, il devait donner souvent l’impression de la grandeur. Ce fut là une cause nouvelle de progrès. C’est ainsi que des règles étroites de la poésie a souvent jailli la beauté parfaite !

    Ce grand portail s’est donc ouvert sur la création divine, racontant parfois de manière candide et délicieuse la mésaventure de l’homme. Les ébrasements du porche central nous ont permis de découvrir l’histoire de la foi de l’homme.

    En quittant le portail nord qui illustre l’histoire de l’humanité, de la création à la naissance du Christ, remarquons les traces de l'enceinte qui fermait la cité des clercs depuis le 13ème siècle.

    A la façade méridionale du vieux clocher, deux statues gardaient de la dissipation les écoliers, très nombreux dans une ville dont les écoles étaient célèbres au 12ème siècle : l’âne jouant de la lyre, symbole du clerc inintelligent, et, tout à côté, un ange muni d’un cadran solaire montre la valeur du temps qu’il ne faut pas perdre.

    AU PORTAIL SUD : UN DIEU JUSTE

    Au Portail sud, se poursuit cette étonnante histoire. A l’Ancien Testament succède le Nouveau. Le Portail sud raconte en effet l’histoire de l’église et expose le Nouveau Testament. Les Saints Martyrs (24 scènes de martyre), les Confesseurs (24 épisodes de leur vie) et les évangélisateurs de la Gaule sont là. Le tympan de la porte montre la Résurrection et le Jugement Dernier.

    Jésus est le personnage principal au trumeau de la porte centrale, alors qu’au portail nord, c’est Anne, mère de Marie qui tient cette même place. L’intuition théologique qui préside à l’élaboration de ces sculptures est simple. Le Christ sauveur du monde, au trumeau, écrase sous ses pieds le lion et le dragon, symboles du mal.

    La thématique générale de la façade sud est celle des temps nouveaux jusqu’à la fin du monde. C’est la Nouvelle Alliance scellée par Jésus-Christ délivrant sa parole et enseignant le monde.

    Ici encore, trois porches ont été sculptés.

    Nous analyserons successivement :

    • la baie des martyrs, à gauche ;
    • la baie des confesseurs, à droite ;
    • la baie des apôtres au centre.

    1. Le porche de gauche ou baie des Martyrs

    Le haut du tympan est occupé par le Christ tenant une palme, encadré par deux anges en génuflexion.

    Sur le linteau et dans les premiers rangs des voussures, le martyr de saint Etienne. A  gauche le saint se trouve devant ses juges. Sur le linteau est représentée la scène de la lapidation devant une porte de Jérusalem qui porte toujours son nom. Saint Etienne est agenouillé tandis que ses bourreaux figurent jusque dans le bas des voussures de droite.

    La voussure qui entoure le tympan représente les Saints Innocents. Dans la voussure suivante, les martyrs sont inondés du sang s’échappant de la tête de l’Agneau se trouvant au sommet, suivant la description de l’Apocalypse.

    Observons à présent les ébrasements.

    Dans l’ébrasement de gauche, en partant de la droite :

    • Saint Vincent, martyrisé sous Dioclétien. Sur le socle ont été représentés le fauve et l’oiseau défendant son cadavre.
    • Saint Denis, évêque de Paris, portant crosse et mitre, a à ses pieds un lion car il fut exposé à ce type de fauves. Le sculpteur a eu le bon goût de ne pas le représenter tenant sa tête entre les mains.
    • Nous découvrons ensuite saint Piat, saint martyr des environs de Chartres.
    • Saint Georges est représenté tout à fait à l’extérieur avec, à ses pieds, une roue rappelant le supplice qu’il endura.

    Dans l’ébrasement de droite :

    • Le deuxième personnage est le pape saint Clément portant la tiare conique. A ses pieds, la chapelle sous-marine qui accueillit son corps jeté à la mer, suivant la légende.
    • Il est entouré, à sa droite, du diacre Etienne : sur le socle est représenté un des membres de Sanhédrin qui le fit condamner ; à sa gauche, du diacre Laurent qui domine l’empereur Valérien, qu’il fait périr par le feu tandis qu’il est saisi à la gorge par un démon. Etienne et Laurent portent tous deux l’Évangile qu’ils ont proclamé.

    A l’extrémité de chaque ébrasement, deux chevaliers sont reconnaissables à leur cotte de maille. Ces statues, à l’évidence, ne sont pas dues au même sculpteur. Ce sont deux ajouts ! Au-dessus du Portail sud ont été sculptés en 1224 les rois de Juda qui ressemblent à des rois capétiens. Au-dessous de ces rois de Juda, deux saints chevaliers, saint Georges et saint Théodore ont été représentés. La tête de saint Théodore avait été rapportée de Rome à Chartres en 1120, ce qui explique sa statue qui fait pendant à celle de saint Georges. Au-dessous de ce dernier une roue rappelle son supplice. Pour les hommes du Moyen Age, ces deux saints-soldats sont les types du parfait chevalier.

    Il est amusant de noter l’évolution du piédestal. Ici le socle est horizontal tandis qu’aux autres statues les pieds sont inclinés.

    Si la statue extérieure de gauche fut longtemps considérée comme étant saint Théodore, pour certains chercheurs, elle pourrait plutôt représenter saint Roland ou saint Maurice.

    Nous pouvons aisément remarquer qu’un souci de symétrie dans la disposition et les postures des personnages a présidé au programme du porche, bien qu’un évêque (saint Denis) situé à droite corresponde à un pape (saint Clément) situé à gauche. Apprécions aussi la finesse et la subtilité de la décoration particulièrement évidente dans les habits et les ornements.

    Le pilier extérieur gauche de l’avant porche représente des saints qui complètent cette vision de l’histoire de l’Eglise que nous propose l’ensemble de cette façade.

    Sur la face extérieure, dans l’ordre de haut en bas, nous reconnaissons saint Jean Baptiste, saint Nicaise de Reims, saint Saturnin, un médaillon indéchiffrable, saint Procope, saint Pantaléon.

    Sur le côté intérieur, faisant face à l’autre pilier du porche, nous pouvons voir, tout en haut, le meurtre de saint Thomas Becket assassiné dans la cathédrale de Cantorbéry à la fin du 12ème siècle. Le saint est agenouillé devant l’autel alors que derrière lui s’avancent des chevaliers pour l’exécuter.

    L’art du 13ème siècle répugnait à représenter la souffrance physique aussi bien que les sentiments violents : aussi les martyrs marchent-ils au supplice avec sérénité ; les bourreaux eux-mêmes restent calmes et aucun caractère de bestialité ne s’imprime sur leur visage : les assassins de saint Thomas de Cantorbéry le frappent sans haine et sans colère.

    2. Le porche central ou baie des Apôtres

    Le Portail sud reprend l’histoire du salut depuis la fondation de l’Eglise jusqu’à la fin des temps. Il est donc normal de trouver, au linteau et au tympan du porche central, le Jugement dernier.  Le plus souvent, celui-ci se trouve à la façade occidentale de la plupart des cathédrales, mais ici à Chartres, cette façade existait déjà, conservée de l’édifice précédent et sauvé du grand incendie de 1194. Voilà donc pourquoi le Jugement dernier figure au Portail sud.

    Il convient de lire ici en même temps les claveaux des cinq cordons de voussures. Au deuxième registre, c’est la résurrection des morts : ils sortent des tombeaux pour être jugés. Au centre du tympan, Jésus, les mains ouvertes, montre les stigmates de sa crucifixion. Parce qu’il est le Sauveur, Il est légitimement le Juge de la fin des temps.

    Nous pouvons observer, au centre du tympan, le Christ sur son trône, présentant ses plaies. Il est entouré de la Vierge et de saint Jean qui l’assistent. Marie, à sa droite, et saint Jean, à sa gauche, ont tous deux les mains jointes : ils implorent la miséricorde envers l’humanité.

    Le lien entre la Passion et le Jugement dernier est encore accentué par la présence d’une colonne et d’un fouet, symboles de ses souffrances. A gauche, un ange tient la lance de la Passion tandis qu’à droite un autre ange tient la colonne de la Flagellation.

    Le haut du tympan, au-dessus de Jésus, est occupé par des anges portant la couronne d’épines, les clous de la crucifixion ainsi que la croix, symbole de Rédemption, dont on ne voit que le montant vertical : les bras de la croix sont recouverts d’un linceul. Pour compléter la scène, un ange porte la couronne d’épines et un autre, les clous de la crucifixion.

    Dans les voussures, des anges forment neuf chœurs suivant l’ordre que fixa Denys l’Aréopagite. Ce sont les Séraphins portant des boules de feu et les Chérubins portant des flammes dans leurs mains tandis que les Trônes et les Dominations sont identifiables aux sceptres qu’ils tiennent. Ce sont ensuite les Principautés et leurs livres, les Vertus armées sur un dragon, les Archanges tenant des encensoirs et les Anges avec des cierges.

    Au centre du linteau, l’archange saint Michel pèse les âmes tandis qu’un diable essaie de faire pencher la balance du côté des damnés. A droite, ce sont les damnés qui sont précipités dans la gueule de l’enfer tandis que le premier rang des voussures montre un avare et sa bourse poussé par un diable. Un autre transporte sur son dos une femme nue renversée symbolisant la luxure. Au-dessus, les morts sortent de leurs tombes pour le jugement dernier.

    Du côté gauche du linteau, c’est le cortège des élus. Nous y retrouvons pratiquement les mêmes personnages qu’à droite, y compris un moine et un évêque, comme pour bien insister sur le fait que grands ou petits, puissants ou humbles, personne n’échappera au Jugement dernier.

    Au premier rang de la voussure, Abraham abrite les élus en son sein. Au Moyen Age, le Royaume du ciel est présenté comme le sein d’Abraham. On voit donc ce patriarche au premier claveau de la seconde voussure interne, à gauche, avec trois âmes en son giron. A sa gauche, un ange porte dans ses bras l’âme d’un élu. Sur ce même registre, en allant vers l’extérieur, l’âme a rejoint le corps des ressuscités couronnés.

    Les piliers de l’avant porche de la baie centrale présentent sur leur face intérieure les vingt-quatre vieillards musiciens de l’Apocalypse.

    • Sur les faces extérieures de ces mêmes piliers, les vertus et les vices ont été représentés par groupe de deux : les vertus sous forme de femmes alors que le vice correspondant en dessous est représenté par une petite scène.
    • Sur la face gauche du pilier séparant le porche central du porche de gauche, nous retrouvons les vertus théologales et leur contraire. De haut en bas, la Foi et l’Idolâtrie ; l’Espérance et le Désespoir ; la Charité et l’Avarice.
    • Sur la face extérieure, de haut en bas, la Chasteté et la Luxure ; la Sagesse et la Folie ; l’Humilité et l’Orgueil, jeté à terre.
    • Sur la face extérieure du pilier droit du porche central : en haut la Patience et la Colère ; la Douceur (en agneau) et son contraire représenté par une femme repoussant violemment un serviteur ; et enfin en bas, le Courage et la Lâcheté.
    • En continuant à lire ce pilier, nous trouvons sous la face intérieure vers le porche de droite, toujours de bas en haut avec leur contraire : la Persévérance, l’Obéissance et la Paix.

    La baie centrale est ordonnée autour du trumeau avec le Christ levant la main droite et présentant le livre de sa main gauche. Il foule le lion et l’aspic, symboles du mal.

    Le bas du trumeau est occupé par deux scènes en rapport avec le donateur du portail qui pourrait être saint Louis, comte de Blois. La scène est relative à son mariage. Comme le voulait la tradition, le marié est coiffé d’une couronne faite de fleurs prélevées par son épouse dans le bouquet qu’il lui a offert. La seconde scène concerne le banquet avec des serviteurs distribuant le pain.

    Au portail central, de part et d’autre dans les ébrasements, nous pouvons remarquer que, malgré l’absence de Judas, les statues des apôtres sont néanmoins au nombre de douze. Elles portent chacune leur signe distinctif. Certaines font allusion aux supplices que les apôtres ont subis.

    Dans l’ébrasement de gauche, c’est-à-dire à la droite du Christ, nous reconnaissons saint Pierre reconnaissable à ses clefs et portant une croix. A côté de lui nous pouvons reconnaître son frère André qui tient également une croix, incomplète tout comme celle de saint Pierre. La tradition œcuménique regarde Pierre comme fondateur de l’Eglise d’Occident et André comme fondateur de l’Eglise d’Orient.

    Les autres statues sont généralement présentées comme étant, dans l'ordre : saint Philippe, saint Thomas, saint Simon et enfin, en retrait, saint Jude.

    Dans l’ébrasement de droite, saint Paul au crâne chauve est reconnaissable au glaive qu’il tient contre son épaule et par lequel il périra. A ses côtés nous reconnaissons saint Jean, au visage imberbe, avec l’évangéliaire qu’il tient de sa main gauche. Saint Jacques le Majeur porte un baudrier garni de coquilles ainsi qu’une épée car il fut décapité. Saint Jacques le Mineur tient le bâton au moyen duquel il fut assommé. Puis c’est saint Barthélémy qui fut écorché vif. En retrait figure un autre évangéliste tenant un livre à la main et qui serait saint Mathieu.

    Sous les pieds des apôtres, de petits personnages sont là pour permettre l’identification des statues qu’ils supportent. Les apôtres sont seulement reconnaissables à leurs emblèmes. Par contre, les livres ou les épées que portent les autres statues ne permettent guère de les reconnaître. Tous ont un air de ressemblance avec Jésus-Christ : ils rayonnent d’intelligence et de bonté.

    Rendons-nous à présent au porche de droite, la baie des Confesseurs, pour y retenir seulement quelques grandes figures.

    3. Le porche de droite ou baie des Confesseurs

    Le tympan est constitué de quatre parties regroupées par deux, l’une au-dessus de l’autre.

    La porte de gauche montre saint Martin endormi, son valet au pied du lit. Il voit en songe son manteau représenté au-dessus du lit. En dessous, à cheval, toujours accompagné de son serviteur, il coupe son manteau en deux.

    La partie droite raconte, en bas, l’épisode où saint Nicolas donne une bourse – à travers le montant du lit – pour sauver de la prostitution les trois jeunes filles pauvres qui veillent leur malheureux père alité. Au-dessous des fidèles recueillent le liquide miraculeux qui s’écoule – suivant la légende – du tombeau du saint.

    Les voussures, dans leurs rangs inférieurs, représentent l’histoire de saint Gilles, tandis qu’en haut sont figurés des évêques, des prêtres et des moines représentant les saints confesseurs.

    Observons à présent les ébrasements : à l’ébrasement de droite, il y a d’abord saint Martin avec, sous les pieds, le chien qu’il arrêta d’un mot ; ensuite la magnifique représentation de saint Jérôme traducteur et commentateur infatigable de la Bible, livre saint qu’il tient dans sa main. Il est resté dans l’histoire comme un homme au caractère difficile : voyez son visage ! Tandis que, sous ses pieds, la Synagogue essaie de déchiffrer une banderole qu’elle ne comprend plus : la Synagogue a les yeux bandés pour montrer qu’elle ne comprend pas le sens du texte qu’elle suit et qui descend des mains de saint Jérôme.

    A ses côtés, le pape saint Grégoire le Grand. Une colombe sur l’épaule rappelle sa sagesse et son inspiration réformatrice. La légende dit que le secrétaire de ce grand pape perçut, au-delà de la figure de son maître, l’Esprit Saint lui parlant à l’oreille pour le conseiller. Sous les pieds de saint Grégoire, le diacre Pierre regarde par un trou.

    Dans ce même ébrasement, une autre statue a été ajoutée un peu plus tard : elle figure saint Avit, un saint abbé du diocèse, fondateur d’un monastère.

    A l’ébrasement de gauche se succèdent, de l’extérieur vers l’intérieur : saint Nicolas, évêque de Myre en Asie mineure au quatrième siècle ; puis saint Ambroise qui convertit saint Augustin et enfin saint Sylvestre qui fit cesser les persécutions de Constantin. A l’extérieur, saint Laumer, abbé d’un monastère de la région chartraine.

    Dans la voûte de l’avant porche, on peut reconnaître des apôtres et des confesseurs sur les faces du pilier extérieur.

    Sur la face sud, dans le deuxième médaillon en partant du haut on voit saint Rémi baptisant Clovis agenouillé devant un autel.

    Le linteau reprend à gauche l’épisode du manteau de saint Martin tandis que dans la partie droite, saint Nicolas vient au secours des trois filles que le père, vieil avare malade, voulait livrer à la prostitution.

    Au centre du linteau, l’archange saint Michel procède à la pesée des âmes. A sa droite, le plateau contient le bien, à sa gauche, un petit diable tente de tirer vers le bas le plateau du mal. Les chaînes reliant les plateaux au fléau ont disparu. En effet, celui dont on pèse, à cet instant, la vie, a, sans nul doute, fait plus de bien que de mal et mérite donc le ciel. Le sculpteur a présent en mémoire le Jugement dernier décrit par saint Matthieu.

    L’imagier a traité l’enfer avec brio : à l’extrémité droite du linteau, c’est-à-dire à la gauche du Christ, l’énorme gueule du Léviathan crachant le feu engloutit les réprouvés.

    Observons ce détail amusant : un diable renverse de force une condamnée. Au-dessus de cette horrible scène, deux têtes de démons parfaitement hideux précèdent la kyrielle des bannis.

    En arrière plan, le troisième personnage lève la tête vers les anges célestes et leur tire la langue. Là encore, il faut lire en même temps le premier registre des claveaux de voussures. Un premier démon hideux, mais dont le visage esquisse un sourire enjôleur, accueille une dame de la haute société. Après lui, un autre diable enserre une religieuse. Puis un avare est étranglé par la courroie de sa bourse tirée par un suppôt de Satan. Nous voilà donc avertis des risques que nous prenons par nos choix de vie ! Comment dès lors faire taire cette parole du Christ : « Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers » ?

    Le premier des réprouvés est un roi, suivi d’un évêque, puis d’une courtisane. Le quatrième, un moine et le dernier, un simple manant. A l’inverse, le cortège des élus commence par des hommes sans signe particulier. Cependant, les trois derniers qui vont vers le ciel sont successivement un diacre, un évêque et un roi. Faut-il lire ici une première revendication sociale ? En tout cas, une telle évocation se retrouvera plus tard dans le dessin des danses macabres.

    Le tympan poursuit, à gauche, l’histoire de saint Martin à qui Jésus apparaît, vêtu de son manteau, tandis qu’à droite, c’est l’évocation des miracles sur le tombeau de saint Nicolas.

    Nous ne pouvons quitter ce portail avec ses trois porches sans noter la quasi-absence de la femme, ce qui n’est pas le cas au portail nord. Pourtant elle est présente dans les piliers avancés pour illustrer les vertus : la foi, l’espérance et la charité, tandis que l’homme illustre davantage les vices : l’idolâtrie, l’orgueil et la folie. Il est amusant de signaler que la luxure met en scène l’homme mais la femme pour illustrer l’indocilité. De même, la discorde est représentée par une scène de ménage. Quant à la force, seul un homme pouvait l’incarner, et cet homme est revêtu d’une cotte de maille. Faut-il assimiler la guerre et la force ?

    Parmi tous les saints représentés, il est un fait qui peut surprendre : on ne voit sur les piliers ni les touchantes martyres de Rome, de la Gaule et de l’Afrique, ni les saintes françaises, ni les vierges orientales. C’est qu’à Chartres, il est une sainte qui efface toutes les autres et les fait oublier : c’est Notre-Dame.

    Aussi, prenons un peu de recul. En levant la tête et en examinant les groupes qui décorent les trois gâbles, nous reconnaîtrons, chaque fois, au milieu, la Vierge en majesté avec l’Enfant sur ses genoux ou la Vierge seule sur son trône accueillant un ange qui lui présente le sceptre des reines, ou encore sainte Anne, mère de la Vierge, portant dans un vase un lys qui symbolise sa fille immaculée.

    En contemplant l’ensemble du Portail sud, nous remarquons qu’une galerie de pinacles décorés de dix-huit statues de rois surmonte tous les piliers des porches. Elle est identifiable comme étant celle des rois de Juda, ancêtres de la Vierge, et c’est pour l’honorer qu’ils ont été mis à cette place.

    La première statue qui la commence, sur la face extérieure tournée vers le clocher roman, est celle représentant David, tenant dans sa main la tige de l’arbre généalogique, qui sort de la poitrine de Jessé, couché à ses pieds. Il est aussi reconnaissable à l’instrument de musique qu’il tient.

    Cette galerie peut donner une idée de celle qui était peut-être prévue pour le Portail nord et dont les amorces à la base de chacune des tours encadrent le bras du transept de part et d’autre de la rose.

    Ainsi, cette façade du midi, d’où la sainte est absente, s’achève par le triomphe de la Vierge.

    LES FLÈCHES

    Témoin de la civilisation, but de pèlerinage, repère sur l'horizon, flèche irréprochable, vaisseau posé sur l'océan des blés, qui surplombe la ville en dévoilant son architecture, telle se découvre Notre-Dame de Chartres, parmi les plus célèbres cathédrales du moyen âge.

    Hautes de plus de cent mètres, les flèches de la cathédrale, dominant la plaine, surgissent clairement des champs de blé à vingt kilomètres alentour. Les clochers de Chartres sont sans doute uniques dans le monde. Avec le Porche royal, ils furent construits au 12e siècle, avant l’incendie de 1194.

    Les deux flèches sont comme deux bras lancés vers le ciel et donnent à la façade occidentale une allure très particulière. Les bases des deux clochers sont assez semblables jusqu’au premier étage compris, mais non identiques. Il convient de remarquer les colonnes qui divisent les faces entre les contreforts du « Clocher Vieux » au premier étage.

    LE CLOCHER NORD

    Le clocher Nord, appelé le « Clocher Neuf », date du 12ème siècle. La base de la tour date des environs de 1134. Elle s’élevait jusqu’à hauteur de la galerie des Rois. La partie supérieure a été édifiée vers 1250. Resté longtemps inachevé, ce clocher fut modifié et ne reçut sa flèche qu’à la fin du 14ème siècle mais celle-ci fut détruite par la foudre en 1506, date à laquelle l’architecte Jean Texier, dit Jehan de Beauce construisit la flèche actuelle, véritable dentelle, en style flamboyant.

    Tout festonné de dentelle de pierre, le « Clocher Neuf », avec sa flèche d’une simplicité, d’une sévérité, d’une élégance toutes modernes, s’élève d’un seul élan de 45 mètres s’élève avec hardiesse et légèreté jusqu’à 112 mètres car il fallait l’élever plus haut que celui du 12ème siècle !

    Construite sans charpente intérieure, son ossature est faite de gros blocs de pierre habilement recouverts de petites pierres taillées en forme d’écailles. Depuis huit siècles, la flèche résiste à la furie des éléments. La grande tempête de 1999 n’a pratiquement pas fait de dégâts.

    LE CLOCHER SUD

    Au 16ème siècle, Jehan de Beauce, fut également chargé par le chapitre cathédral de construire le second clocher ouvragé à côté de la magnifique flèche romane du 12ème siècle si bien chantée par le poète Charles Péguy.

    La tour sud, ou « Clocher Vieux » à la « flèche irréprochable » de 103 mètres remplace un clocher de bois foudroyé en 1506.

    Souvent cité comme un modèle d’architecture pour son élégance, ce clocher présente un passage du plan carré au plan octogonal particulièrement habile : les contreforts viennent mourir dans des constructions placées aux angles et se terminent par des pyramides qui conduisent avec les gables des fenêtres vers la flèche. Celle-ci est entièrement en pierre de Chantilly.

    A . B. 

     


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    Avant de visiter la cathédrale de Chartres :

    un peu d'histoire !

    * Avant de visiter la cathédrale de Chartres : un peu d'histoire !

    Les premiers cultes sur le site de CHARTRES

    Sans parler des époques préhistoriques qui ont laissé des traces, Chartres était déjà connue avant l'ère chrétienne. En effet, des découvertes fortuites et des fouilles ont prouvé que le sanctuaire chrétien a pris la place d’un sanctuaire païen. L’Eglise pensait très sagement qu’elle devait rester fidèle aux lieux sacrés, où, depuis des siècles, les foules païennes avaient l’habitude de se réunir, et qu’il suffisait de les purifier en les consacrant à la religion nouvelle. C’est ainsi qu’elle sanctifia les pierres levées en les surmontant du signe de la croix et qu’elle donna le nom des saints aux fontaines.

    Avant la conquête romaine, selon les auteurs romains, la Beauce était peuplée par la tribu des « Carnutes », une tribu celte, qui lutta désespérément contre les légions de César. Leur principale cité, Carnutum civitas, était établie autour d’une grotte d’où coulait une source. Il n’est pas interdit d’imaginer les jeunes filles celtes à la recherche d’un mari venant se baigner dans cette source puisque les druides honoraient dans ce lieu « la vierge qui doit enfanter », Virgini pariturae. Il semble que cette agglomération carnute ait été l’une des principales métropoles druidiques.

    Influence de la guerre des Gaules

    L'œuvre de César, « la Guerre des Gaules », nous permet de mieux comprendre qui étaient les druides. Les druides s’occupaient des affaires de la religion, présidaient les sacrifices publics et privés, réglaient les pratiques religieuses. Les jeunes gens venaient en foule s’instruire auprès d’eux et on les honorait grandement.

    Ce sont les druides qui tranchaient presque tous les conflits entre particuliers. Chaque année à date fixe, ils tenaient leurs assises en un lieu sacré, dans le pays des Carnutes qui passe pour occuper le centre de la Gaule.

    Le point essentiel de leur enseignement, c’est que les âmes ne périssent pas, mais qu’après la mort elles passent d’un corps dans un autre. Ils pensaient que cette croyance était le meilleur stimulant du courage parce qu’on n’a plus peur de la mort.

    En outre, ils se livraient à de nombreuses spéculations sur les astres et leurs mouvements, sur les dimensions du monde et celles de la terre, sur la nature des choses, sur la puissance des dieux et leurs attributions, et ils transmettaient ces doctrines à la jeunesse.

    Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas de lien prouvé entre un culte druidique et l'implantation du christianisme dans l'ancien pays carnute.

    En revanche, des groupes de croyants et même des martyrs ont certainement précédé l'installation d'une église institutionnelle dont les premiers évêques ne sont pas apparus avant le 4ème siècle, tel Gantaume accueillant Saint Martin, évangélisateur de la Gaule, dont la venue parait bien attestée vers la fin de cette époque.

    Il y a eu autrefois dans la crypte de la cathédrale de Chartres un puits profond qui paraît en expliquer l’origine. Son eau avait, disait-on, des pouvoirs merveilleux et, au Moyen Age, les malades venaient lui demander la guérison.

    Ce puits a été retrouvé en 1901. Les historiens y ont reconnu un antique puits celtique qui a très probablement toujours eu un caractère religieux au point d’attirer les foules bien avant l’apparition du christianisme en Gaule. L’eau bienfaisante, fille de la terre et du ciel, fut en effet une des religions de la Gaule. Ce puits a été momentanément comblé au 17ème siècle par un clergé peu favorable aux pratiques de la religion populaire.

    Au même endroit s’est ensuite élevé un temple gallo-romain où l’on vénérait une statue de déesse - mère. A l’avènement du christianisme, les prédicateurs voyaient dans cette effigie une préfiguration de la Vierge. Il semble que les premiers évangélisateurs de la Gaule dont quelques-uns, sous Dioclétien, furent précipités dans la source, purent détourner l’attention publique de l’idole druidique au profit de l’hommage dû à la Vierge Marie, mère du Christ, puisque dès le 3ème siècle, une chapelle fut édifiée dans la grotte de Chartres. La statue de « Notre-Dame sous terre » passa ensuite dans tous les édifices qui se succédèrent sur ce site primitif.

    Les chrétiens firent donc à Chartres ce qu’ils avaient déjà fait si fréquemment ailleurs : ils édifièrent une église dans un lieu consacré par le paganisme au culte des eaux. Une évangélisation précoce permit l’érection d’une première église dès la fin du 4ème siècle. Très tôt placée sous le vocable de la Vierge, elle fut toujours reconstruite, en dépit de plusieurs destructions.

    Entre les 3ème et 5ème croisades, la chrétienté connut une période de succès. Partout des édifices religieux fleurirent à la gloire de Notre-Dame et une chose paraît certaine, c’est que, de bonne heure, la Vierge fut particulièrement vénérée à Chartres.

    Influence du druidisme

    Certains prétendent qu’il n’y a jamais eu de tertre sacré, ni de forêt carnute, ni de statue ancienne ni de puits sacré, et encore moins de dolmen, se basant sur le fait que nous n’avons jamais eu connaissance d’un culte préchrétien à Chartres et que le Moyen Age n’en a jamais parlé.

    D’autres affirment au contraire que c’est sur ce lieu consacré, qu’un siècle avant Jésus-Christ, les druides érigèrent un autel et y placèrent une statue avec cette célèbre inscription : « VIRGINI PARITURAE » (A la vierge devant enfanter). 

    Le tertre de Chartres aurait été un lieu de pèlerinages depuis la nuit des temps puisque la légende locale mentionne le culte de la « Virgo Paritura » des Druides et celui de la Vierge Noire. Coïncidence des mots ou volonté suprême, la déesse terre qui enfante la vie a pour nom Ana, fort proche du nom de la mère de Marie (Anna). Pour expliquer cette croyance, il faut avoir recours à une tradition primitive qui a été transmise à nos premiers parents et par eux à tous leurs descendants.

    Au regard de Chartres, comment ne pas imaginer que les druides y aient établi leur demeure, même si l’on y voit aucun vestige de leurs logements ? Se trouvaient-ils à l’endroit même ou aux environs de la cathédrale actuelle ? Est-ce là que se trouvait le bois sacré où ils tenaient leurs cérémonies ? Faut-il croire ce que nous ont dit les druides ? Ils étaient savants et connaissaient les secrets de la nature. Mais étaient-ils à Chartres... là où est maintenant la cathédrale ? Nul ne peut l’affirmer à ce jour.

    Lieu de régénération spirituelle certes, le tertre est également un lieu physiologique par les effets géobiologiques, telluriques et cosmiques de cette structure construite entre Ciel et Terre, sur la Wouivre des Celtes.

    Une autre légende locale, non contrôlée à ce jour, dit que 14 rivières taillées de mains d’hommes, identiques à celles de Saint Jacques de Compostelle, convergent sous l’autel primitif.

    Quoi qu’il en soit, le site occupé actuellement par la cathédrale de Chartres est un « Locus Fortis », un lieu fort, un lieu d’initiés. S’il n’y a rien de magique à y découvrir, il y a par contre un phénomène bien connu de tous les scientifiques qui s’y manifestent, c’est l’effet de pointe.

    Lorsque dans la plaine de Chartres ressort un éperon rocheux, la foudre a tendance à prendre cette pointe comme paratonnerre. La fréquence plus importante des éclairs sur ce promontoire fera que les habitants croiront que Dieu s’y manifeste plus souvent et donc le préfèrent. Ils y feront des offrandes puis y construiront des autels et enfin des temples.

    A l’origine, le tertre de Chartres fut sans doute un lieu sacré, alors sans construction, mais les morts n’y ont jamais été enterrés. Ce fut longtemps un lieu de « passage » des pèlerins qui voyageaient « de l’Orient vers l’Occident », vers les deux pointes de celui-ci, les deux « Fins de Terre » ou « Finistère » : de Bretagne en passant par le Mont Saint Michel, « passeur d’âmes » souvent représenté en « peseur d’âmes », comme Thot ou Hermès, tous médiateurs entre Dieu et les hommes ; d’Espagne, en passant par Saint Jacques de Compostelle, le « Compostella », c’est-à-dire le champ des Etoiles.

    Les fouilles archéologiques

    Les édifices qui ont précédé l'actuelle cathédrale de Chartres sont connus par des textes et des études archéologiques mais aussi par les vestiges matériels qui demeurent en place et que les fouilles ont permis de mieux connaître.

    La première basilique, datée du 4ème siècle, marque la manifestation de la ferveur catholique après l'introduction du christianisme au 3ème siècle. Elle fut implantée sur le lieu du puits des Saints-Forts, source considérée comme miraculeuse et vraisemblablement emplacement d'un culte païen dédié à Isis, mère d’Horus.

    La première basilique fut incendiée en 743 par Hunald, duc d'Aquitaine. Mais un nouvel édifice fut vite reconstruit, lui aussi détruit en 858, par un incendie allumé cette fois par les Vikings.

    Une réplique exceptionnelle

    A l’époque carolingienne, la cathédrale de Chartres devait être le centre le plus célèbre du culte marial dans le nord  de la France car Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, en 876, lui fit présent d’une relique exceptionnelle, précieuse entre toutes : la Sancta Camisa ou Voile de la Vierge qu’il avait reçu de l’impératrice Irène de Constantinople.

    Cette relique, longtemps connue comme « chemise » ou « tunique » de la Vierge, est encore présente de nos jours dans le Trésor de la Cathédrale et aurait, selon la tradition, appartenu à la mère du Christ.

    Donnée par l'empereur de Constantinople à Charlemagne, elle avait d'abord été conservée à Aix-la-Chapelle avant d'être transportée à Chartres. Elle devint dès lors l’ornement principal de l’église, conservée dans une précieuse châsse dont elle n’était sortie que dans des occasions très rares. On vit ainsi, en 911, les habitants et leur évêque, portant la « sainte chemise » comme étendard, s’opposer aux Vikings qui assiégeaient la ville et contribuer à leur déroute !

    La possession de cette Tunique de la Vierge accrut encore le rayonnement de Chartres et y attira des foules considérables imitées bientôt par les puissants et les lettrés intéressés par l’enseignement qu’y répandait l’évêque Fulbert au 11ème siècle.

    Plus tard, on put constater que la « chemise » était en réalité un voile de soie semblable, de l'avis des spécialistes, à ceux que portaient jadis les femmes de Jérusalem à l'époque du Christ. Le « Voile de la Vierge » fut partiellement détruit en 1793.

    Les premières églises

    A l’emplacement de la grotte – la crypte de l’église d'aujourd’hui – une seconde chapelle fut donc détruite en 858, lors des invasions normandes. L'évêque Gislebert entreprit la reconstruction d'une nouvelle église. Il en profita pour agrandir l'assise et enjamber le rempart gallo-romain en implantant l'abside au-delà. La déclivité du terrain l'obligea à ménager un étage intermédiaire, une « crypte », éclairée par des fenêtres. C'est encore un incendie, dû à la foudre qui, en 1020, détruisit l’église carolingienne. Cette catastrophe, au lieu de décourager l’évêque Fulbert, lui fit concevoir le projet d'une nouvelle cathédrale, aussitôt entreprise.

    De l’église du 9e siècle subsiste toujours le caveau Saint-Lubin, autour duquel l’évêque Fulbert fit construire un édifice déjà magnifique soutenu par la crypte romane. C'est celui dont les vestiges sont les parties les plus anciennes de la cathédrale actuelle : la crypte et le narthex avec sa façade à trois portails sculptés et ses deux tours. Ces éléments faisaient partie de l'édifice sans transept, partiellement incendié au début du 12ème siècle avec l'Hôtel Dieu contigu et une grande partie de la ville.

    Le narthex et la base des deux tours datent en effet de cette campagne de reconstruction, de même que le célèbre Portail royal, repère capital de l'histoire de la sculpture par référence à ceux d’Étampes, de Bourges et du Mans.

    La cathédrale fut consacrée en 1030 par l’évêque Fulbert. Le clocher Sud fut érigé un peu plus tard. Mais cet édifice fut encore atteint à deux reprises par le feu, partiellement en 1134 et plus gravement en 1194. Le désastre ne fut que partiel puisque les tours et la façade du 12ème siècle furent épargnées. L’évêque Renaud de Mouçon entreprit aussitôt de rebâtir un nouvel édifice plus beau que le précédent.

    Sous le règne du roi Philippe-Auguste et soutenus par un grand courant populaire, les travaux de reconstruction de la cathédrale de Chartres commencèrent en 1194, trois jours après l’incendie du 10 juin, après que le voile de la Vierge ait réapparu. Ils avancèrent très rapidement car les dons affluaient et les compétences techniques stimulées par les nombreux chantiers gothiques de la fin du siècle.

    Épargnée, la façade actuelle servit donc de base à la reconstruction de la cathédrale que nous connaissons aujourd'hui et que l'univers entier va reconnaître comme le chef-d'œuvre de l’art gothique.

    Le reste de la cathédrale actuelle fut construit en partie grâce aux largesses des princes et des bourgeois, mais la Beauce étant le grenier à blé de la France, et par conséquent une région très riche, l’argent nécessaire fut aussi fourni par les fidèles, les pèlerins et les corporations de métiers. Les offrandes de ceux qui détenaient la richesse et le pouvoir abondèrent mais la générosité des plus pauvres contribua aussi à l'embellissement du sanctuaire par le travail de leurs mains. La cathédrale fut terminée pour l’essentiel en 1223. C'est le huitième centenaire de cette reconstruction qui a été fêté en septembre 1994.

    Histoire de la partie basse de la cathédrale

    Située au cœur de la Beauce – encore aujourd’hui considérée comme le grenier à blé de la France – région rurale essentiellement agricole, très riche, il n’est pas surprenant d’y trouver un édifice aussi prestigieux que la cathédrale de Chartres. Ce qui explique sa présence, c’est d’une part l’influence économique du lieu de négoce et d’échange commercial (foires) qu’était Chartres, et d’autre part l’influence religieuse que ce lieu a exercée au moins dès l’époque gallo-romaine.

    Entre le 4ème siècle et le 9ème siècle, nous savons qu’il y a eu deux églises, mais dont nous n’avons aucune trace tangible. Peut-être y a-t-il autre chose en dessous mais aucune information vérifiable ne permet de l’affirmer. Sous la cathédrale subsiste un mur romain du 4e siècle visible dans la crypte carolingienne du 9ème siècle. Au-dessus, celle du 11ème siècle : effet gigogne d’édifices religieux qui s’appuient les uns sur les autres en une continuité intéressante !

    Il y a eu des catastrophes mais à chaque fois il y eut reconstruction. Après chaque incendie, une nouvelle cathédrale était remontée, plus haute que la précédente et prenant sur elle son appui. Il en est des constructions comme de l’homme. Il faut s’appuyer sur ce qu’ont fait les anciens pour pouvoir progresser.

    La construction de la cathédrale Notre-Dame et son évolution

    Durant la reconstruction, un nouvel élan de foi se manifesta, touchant toutes les classes du monde médiéval. Les pèlerinages reprirent avec un enthousiasme renouvelé. Les rois, les princes, se succédaient à Chartres, reçus en grande pompe, enrichissant le trésor de la cathédrale, mais les foules populaires n’étaient pas en reste et venaient honorer la Vierge en arborant l’image de la « chemise ». Souvent logés dans la cathédrale même, les pèlerins participaient aux cérémonies dont les plus spectaculaires jalonnaient le calendrier marial.

    En 1215, selon le témoignage de l'historiographie du roi, Guillaume le Breton, les voûtes étaient achevées, ainsi que l’essentiel du gros œuvre en 1220. L’ajout des portails nord et sud étant terminé vingt ans plus tard, la construction a donc été extrêmement rapide et les teintes des vitraux témoignent de l'homogénéité de conception.

    Pendant quarante années, les travaux de décoration et d’aménagement intérieur se poursuivirent. La cathédrale fut consacrée, le 17 octobre 1260 par Pierre de Maincy, 73ème évêque de Chartres, en présence du roi Louis IX (Saint Louis). C’est cette rapidité qui assure au grand œuvre et à la décoration une unité presque unique dans le style ogival. Le massif occidental épargné a été repris dans l'édifice du 13ème siècle, mais des fouilles ont prouvé qu'il a été déplacé, remonté à deux mètres en retrait par rapport à son implantation initiale.

    La cathédrale du 13ème siècle est celle que nous connaissons aujourd'hui. Les recherches en cours sur la datation des bois insérés dans les maçonneries par la dendrochronologie permettent de préciser la chronologie exacte du chantier de construction.

    Son plan en croix latine, son élévation à trois étages, ses voûtes d'ogives à doubleaux et formerets, déterminant la forme des piles de la nef, en font l'un des exemples de l'architecture gothique à ses débuts. Le dallage de la nef a conservé un labyrinthe exécuté en pierre noire, au centre duquel était scellée une plaque précisant sans doute le nom du maitre d'œuvre. Il est malheureusement le plus souvent dissimulé sous de nombreuses chaises !

    A l'extérieur, pour équilibrer la poussée des voûtes, un système de gros contreforts et d'arcs-boutants montent jusqu'à la base des toitures, en deux volées superposées, d'épaisseur décroissante.

    C'est cette cathédrale qui sera dotée d'une série de vitraux, selon la tradition inaugurée à Saint-Denis, qui en font aujourd'hui en partie la célébrité. A l'exception de huit verrières du chœur, déposées au 18ème siècle, et de quatre verrières du transept détruites en 1791, tous les vitraux de Chartres datent du Moyen Age. « Notre-Dame-de-la-Belle-Verrière » et les vitraux de la façade occidentale sont les plus anciens ; ils datent du 12ème siècle et sont des vestiges épargnés par les flammes de la basilique de Fulbert. La plupart des autres vitraux datent, eux, du 13ème siècle, tout comme les deux portails latéraux qui possèdent un décor sculpté d'une qualité exceptionnelle.

    Les siècles suivants verront l'édification d'extensions liées à l'évolution du culte et de la liturgie :

    • la sacristie, construite à la fin du 13ème siècle, entre le croisillon nord et l'abside, avec un escalier en vis ;
    • la salle capitulaire, surmontée de la chapelle Saint-Piat, construite entre 1325 et 1335, reliée un peu plus tard à la cathédrale par un escalier de pierre couvert par une galerie ;
    • la chapelle Vendôme, construite en 1417 entre deux contreforts de la nef, côté sud ;
    • le clocher nord enfin, œuvre du maître maçon Jehan de Beauce, du 14ème siècle, dont les cloches sont reliées à l'horloge du pavillon édifié en même temps sur le côté nord de la cathédrale.

    Les progrès se trouvèrent compromis par les conséquences des guerres de religions et le pays chartrain affecté par les luttes opposant les catholiques au parti protestant. 

    Solidement installée derrière ses remparts, la ville subit deux sièges successifs. Le premier, en 1568, ne permit pas aux Huguenots du Prince de Condé de s'emparer de la cité qui connut, en 1591, un nouveau blocus conduit cette fois par Henri de Navarre. Celui-ci était devenu entre temps le prétendant légitime au trône de France en raison du décès, sans postérité du roi Henri III.

    A la suite de péripéties animées, la ville fut conquise et le nouveau roi, lui ayant pardonné sa résistance, choisit la cathédrale de Chartres pour s'y faire couronner, après avoir abjuré le protestantisme. La cérémonie du sacre eut lieu le 27 février 1594 et le nouveau roi, connu désormais sous le nom d’Henri IV, commença un règne de grande sagesse, marqué par la prospérité de la France et la tolérance religieuse.

    Notre-Dame de Chartres retrouva une fois encore ses grands pèlerinages et la faveur des foules chrétiennes. Comme par le passé, les grands de ce monde continuèrent à lui apporter également leurs hommages et à implorer le pardon de leurs fautes.

    Cette situation se maintint tout au long du 17ème siècle mais, au siècle suivant, commença à se manifester une lente désaffection qui devait trouver son épilogue à l’époque révolutionnaire interrompant pour longtemps l’expression de la foi religieuse. Malgré le retour du culte, il fallut attendre la fin du 19ème siècle, après la guerre de 1870, pour que renaisse un grand sentiment de dévotion mariale.

    En 1836, un incendie accidentel détruisit l'ancienne charpente de bois mais épargna les vitraux. L'architecte Baron proposa et exécuta un comble incombustible : une charpente en fonte de fer et une couverture de plaques de cuivre. C’est l’oxydation de ces plaques qui donne à la toiture une teinte verte qui fait aujourd'hui l'une des singularités de la cathédrale Notre-Dame de Chartres.

    Deux grands noms de la littérature ont beaucoup fait par la suite pour l’illustration de la cathédrale de Chartres. Huysmans fut le premier : il publia en 1898 un ouvrage intitulé « La cathédrale » qui trouva un grand écho dans le monde intellectuel et dont François Mauriac a pu dire qu’il « avait réintroduit Chartres dans la vie spirituelle française ».

    Charles Péguy, le grand poète tombé au début de la première guerre mondiale, fit plus encore en écrivant un long poème intitulé « Présentation de la Beauce à Notre-Dame ». Renouvelant l’antique pèlerinage pédestre, il entreprit lui-même en 1912 et 1913, une marche devenue célèbre de Paris à Chartres.

    Chartres est devenu un lieu symbolique regroupant les catholiques respectant la ligne traditionaliste et se conformant aux idées directrices du pape Jean-Paul II. Chaque année un rassemblement de jeunes y est organisé à la Pentecôte.

    Chartres accueille aujourd'hui beaucoup plus de visiteurs qu'autrefois. Si tous ne peuvent être assimilés à des pèlerins, un grand nombre d’entre eux sont toujours animés des sentiments de respect et de foi dont témoignaient leurs prédécesseurs.

    Les acteurs et les destinataires

    L'histoire chartraine est avare en renseignements concernant les responsables de la construction. Il s'agit essentiellement d'une entreprise collective, comme ce temps en fut coutumier. Les architectes de la cathédrale de Chartres furent sans doute ces Bénédictins qui, au 12ème et au 13ème siècle, étaient établis dans la ville.

    Les constructeurs de Chartres furent incontestablement les croyants qui venaient en foule des régions éloignées pour participer aux travaux, tandis que des souscriptions étaient recueillies dans toute l’Europe. Les rois de France, d’Angleterre, de Danemark comptaient parmi les bienfaiteurs de la cathédrale.

    Les principaux acteurs étaient, d’une part, les évêques et d’autre part, le chapitre. Dès la fin du 12ème siècle, sa puissance politique et financière grandit et les chanoines, qui jouissaient de privilèges et d'une richesse considérable, furent de plus en plus influents.

    Les bâtisseurs, Compagnons de Maître Jacques entre autres, marquaient leur travail de marques lisibles, sur chacune des pierres, sur la face qui allait être cachée lors de la pose.

    De l’étoile à cinq branches en passant par la feuille de chêne et la pédauque, connue sous le nom de patte d’oie mais qui symboliquement représentait l’Arbre de vie, puisant ses racines dans le ciel, toutes ces marques permettaient à l’ouvrier, celui qui faisait œuvre, de percevoir son salaire.

    S’il y avait de nombreux bénévoles, nous avons quelques estimations du nombre de professionnels :

    • 150 travailleurs bâtisseurs à l’extérieur comme carriéristes et manœuvres qui utilisaient de la pierre parcheminée de Berchères-les-Pierres pour le gros œuvre, tel que le pavement. La pierre de Berchères est un matériau lourd, dur, au grain irrégulier.
    • 150 travailleurs intérieurs, charpentiers, maçons et tailleurs de pierre. Ces derniers, pour les sculptures d’extérieur, utilisèrent la pierre de Chantilly pour la façade, alors qu’au nord et au sud ils préférèrent la pierre de Vernon-sur-Eure.

    La pierre de Chantilly est un liais provenant de carrières échelonnées le long de l’Oise non loin de Paris. Il s’agit d’une variété de calcaire compacte, dépourvu de cavité, à grains fins et serrés. Elle est tout à fait indiquée pour réaliser des ouvrages qui requièrent une grande finesse d’exécution.

    • 100 spécialistes dirigeaient les travaux sous la coupe d’un maître d’œuvre.

    Histoire de la partie haute de la cathédrale

    La cathédrale du 4ème siècle a été construite sur le tertre de Chartres et a pris le relais du paganisme, culte de Gaennès, comme ce fut le cas à Saint-Clément de Rome avec le culte de Mithra. Logique du christianisme, qui aux premières heures, n’avait aucune raison de rejeter globalement l’ancien culte !

    Les paroisses naissantes durent longtemps faire face aux invasions germaniques aux 5ème et 6ème siècles, nordiques jusqu'au 10ème siècle. Mais l’Eglise affirma néanmoins sa prépondérance comme le montre le rôle dévolu à l'évêque Ganselme en 911, lorsqu'il repoussa, à la tête des habitants de Chartres, la dernière attaque des Normands contre la ville.

    Le paganisme était encore très présent lorsque s'installèrent les premiers établissements monastiques. Saint-Père de Chartres, Bonneval, Coulombs et plus tard la Trinité de Vendôme, seront le conservatoire des sciences et des arts, en même temps que le ferment de la foi chrétienne.

    Cela ne faisait qu'anticiper l'action de grands évêques, comme Fulbert qui, au début du second millénaire, témoignait de son humanisme et de sa volonté d'enseigner. « L'Ecole de Chartres » fut un temps considérée comme un haut lieu de l'esprit.

    Plusieurs de ses successeurs l'imitèrent, s'attachant à réformer la liturgie et à discipliner leurs prêtres. Malheureusement d'autres furent plus soucieux d'avantages matériels que d'idéal spirituel. Un grand retour de foi et de générosité coïncida avec l'époque des croisades. Le « Livre des Miracles de Notre-Dame » nous en fournit maints exemples et témoigne du renouveau du culte de la Vierge.

    La partie haute de la cathédrale est expliquée par les incendies de 1134, 1194, 1506 et 1836. En 1134, la cathédrale de Fulbert, dans sa partie avant, aurait probablement été endommagée partiellement par le feu en même temps que les maisons de la ville dont beaucoup étaient en bois. Il y avait auparavant, une tour porchée, identique à celle de Saint Benoît sur la Loire, mais qui n’existe plus. A la suite de cet incendie, deux salles basses et deux tours ont été construites.

    En 1194, le 10 juin, est-ce la foudre qui a détruit la cathédrale de Fulbert, à l’exception de la partie en construction ? Toujours est-il qu’elle fut reconstruite en une trentaine d’années, ce qui en fait un ensemble parfaitement homogène d’architecture gothique.

    En 1506, un incendie provoqué par un orage détruisit la charpente du clocher roman. Jehan de Beauce, à la Renaissance, l’a reconstruit en élevant la flèche octogonale à 115 m de haut. Un soleil sur la croix éclaire la lune sur l’autre clocher.

    En 1836, un incendie accidentel détruisit la charpente en bois, « la forêt », et la couverture en plomb. Cloches et beffrois disparurent dans les clochers à l’exception du « timbre » du clocher de Jehan de Beauce.

    Chartres était un lieu de passage et de halte sur le Chemin de Compostelle. Un haut lieu de pèlerinage, un grand lieu commercial et de culture, où l’on venait de toute l’Europe au 10e siècle suivre les cours dispensés par les Ecoles de Chartres ouvertes par les évêques. Clercs et laïcs y reçurent un enseignement supérieur.

    Au Moyen Age, les gens dit analphabètes ne savaient peut-être pas lire des livres, mais ils savaient lire ce qui leur était montré au travers du symbolisme universel. Tout ce qui est montré ici, n’est pas un hasard, car dans cette Cathédrale, chaque partie renvoie au tout et le tout à chaque partie, au travers d’un chemin sans fin, à l’image de la vie. Peut-être est-ce pour cela que les Evêques n’ont jamais été enterrés dans la Cathédrale. Peut-être est-ce une allusion à la fameuse phrase d’Hermès Trismégiste :

    « Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut

    Et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas,

    Pour accomplir les miracles d’une seule chose ».

    Le nombre de statues est important, mais leur organisation l’est également.

    Les guerres de religion, la Révolution et les deux guerres mondiales ont épargné la cathédrale de Chartres. Seul l’incendie de 1836 a ravagé la magnifique charpente des combles qui fut remplacée par une charpente métallique.

    Aujourd'hui l'une des plus célèbres du monde, Notre-Dame de Chartres, plantée comme un épi de blé géant au centre de la Beauce, est un témoignage de foi collective, de ténacité, d’enthousiasme, de génie de l’art du 13ème siècle, témoignage qui a défié le temps.

    L'histoire de la cathédrale en quelques dates

    Vers 350 : la première cathédrale date probablement de cette époque mais il n’en subsiste aucune trace archéologique. Le premier évêque s’appelait Aventin.

    Au 6ème siècle, une cathédrale mérovingienne fut construite. Il en reste quelques vestiges sous le chœur.

    En 743, l’édifice existant fut incendié par Hunald, duc d'Aquitaine. Une autre cathédrale fut érigée sur le même emplacement.

    12 juin 858 : destruction par les Vikings suivie d’une reconstruction en style carolingien dont il reste la crypte Saint-Lubin.

    876 : don de la relique de la Vierge par Charles le Chauve, peut-être à l'occasion de la dédicace de la cathédrale reconstruite.

    962 : dégâts causés par les troupes de Richard de Normandie. Les réparations furent effectuées par l'architecte Teudon.

    Dans la nuit du 7 au 8 septembre 1020 : l’église fut détruite par un incendie accidentel. L’évêque Fulbert inaugura le chantier de la cathédrale romane, une des plus prestigieuses d’Europe et dont il reste aujourd’hui l’église basse, de 220 mètres de long.

    1020 – 1024 : construction de la grande crypte, qui existe toujours.

    17 octobre 1037 : dédicace de la cathédrale qui avait été commencée par l'évêque Fulbert en 1020.

    5 septembre 1134 : la ville fut détruite par grand incendie mais qui n'atteignit pas la cathédrale. Toutefois, on projeta une nouvelle façade.

    1134 (probablement) : fondations de la tour nord.

    1142 : fondations de la tour sud.

    1142 - 1150 environ : construction de la partie centrale de la façade.

    Vers 1150 – 1155 : réalisation des trois vitraux de la façade.

    1170 au plus tard : le clocher sud est terminé avec sa flèche.

    11 juin 1194 : tout comme une grande partie de la ville, la cathédrale de Fulbert est accidentellement détruite par un terrible incendie. Elle renaîtra de ses cendres en une trentaine d’années.

    1194 - 1233 environ : construction de la cathédrale actuelle, en style gothique, avec les portails et les proches du transept. Mise en place des 176 vitraux, vers le premier tiers du 13ème siècle.

    1250 – 1260 : construction de la sacristie, achèvement des pignons du transept et couverture des escaliers à vis, réalisation de la galerie des rois à la façade occidentale et construction du haut étage carré sur la tour nord du 12ème siècle.

    24 octobre 1260 : dédicace de la cathédrale.

    1323 – 1358 : construction de la salle capitulaire, surmontée de la chapelle Saint-Piat, qui reçoit alors ses vitraux.

    1417 environ : construction de la chapelle Vendôme, décidée en 1413.

    26 juillet 1506 : la flèche de charpente du clocher nord est foudroyée et prend feu.

    24 mars 1507 - 5 août 1513 : construction du clocher flamboyant par Jean de Beauce.

    1514 – 1529 : construction de la clôture du chœur par Jean de Beauce. Huit groupes du côté nord et douze du côté sud sont alors en place, avec leurs baldaquins. Continuation des groupes et des baldaquins en plusieurs étapes jusqu'en 1718.

    1763 : destruction du jubé et projet d'aménagement du chœur.

    1773 : mise en place du maître-autel.

    1788-1789 : mise en place des bas-reliefs du chœur.

    4 juin 1836 : un incendie accidentel détruisit tout le comble supérieur qui sera remplacé par une charpente métallique terminée en 1841.

    1er juin - 6 novembre 1918 : dépose de tous les vitraux (sauf les panneaux de bordure indépendants), qui furent remplacés par des toiles jaunâtres. La repose fut terminée en décembre 1924.

    26 août - 5 septembre 1939 : dépose totale des vitraux, remplacés par du vitrex. La repose fut terminée le 13 octobre 1948.

     

    LA CATHÉDRALE NOTRE-DAME DE CHARTRES EN QUELQUES CHIFFRES

    3 portails composés chacun de 3 porches sculptés, uniques en Europe.

    Plus de 2 000 m2 de vitraux des 12ème et 13ème siècles principalement.

    C’est une véritable encyclopédie chrétienne de pierre et de verre faite pour un peuple qui ne savait ni lire ni écrire.

    Les 3 verrières de la façade ouest, magnifiées par la lumière, et le Portail royal, montrent, inscrite sous nos yeux, toute la pensée religieuse de l’époque.

    Cet ensemble rappelle l’importance et le rayonnement extraordinaire des Ecoles de Chartres à travers toute l’Europe médiévale.

     

    Une relique, le « Voile de la Vierge », offerte en 876 par l’Empereur Charles le Chauve,

    a conduit des milliers de pèlerins du monde entier jusqu’à Notre-Dame.

    Préservée lors de l’incendie de 1194, elle a stimulé l’enthousiasme des foules pour la reconstruction de l’édifice gothique.

     

    Principales dimensions de la cathédrale

     

     

    Dimensions

    Observations

    Cathédrale

    Longueur totale

    130 m 20

    chapelle Saint-Piat

    non comprise

    Hauteur totale

    51 m

    jusqu’au faite

    du toit

    Hauteur de la voûte

    37 m 50

     

    Transept

    Longueur

    65 m

     

    Largeur

    13 m 99

     

    Nef

    Largeur de la nef

    16 m 40

    prise d’axe en axe des piles

    Largeur totale de la nef

    32 m 80

    avec ses bas-côtés

    Largeur totale du chœur

    46 m 80

    avec ses doubles bas-côtés

    Hauteur de la grande fenêtre occidentale

    10 m 94

     

    Diamètre de la rose occidentale

    12 m 18

    moulure extérieure non comprise

     

    A. B.

     

    Suggestions de lecture

    Visite de l'extérieur de la cathédrale de Chartres

     

    Visite de l'intérieur de la cathédrale de Chartres

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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